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Dans les groupes de supporters, des femmes très actives, mais encore à la marge

Par Eloïse Bussy
Dans les groupes de supporters, des femmes très actives, mais encore à la marge

Elles représentent entre 10% et 30% des membres des groupes de supporters en France : dans ces environnements très masculins, les femmes restent minoritaires. Certaines essayent de faire bouger les choses.

« À Marseille, c’est une autre mentalité. Fille ou garçon, on nous fait venir au stade très tôt. » Corinne Carême est l’une des membres fondatrices des Dodger’s, groupe de supporters de l’OM. Pour elle, le foot est aussi une affaire de famille : son frère est le président de l’association. « Ma mère y est aussi », indique-t-elle. Sa mère, c’est Colette, 83 ans. Elle est l’une des plus anciennes supportrices du Vélodrome, et a également participé à la création du groupe. Mais est-il pour autant fréquent de voir des femmes, en France, au sein de ces associations qui donnent de la voix dans les stades ? Celles-ci sont encore largement minoritaires. « Nous sommes environ 10% de filles parmi les membres actifs du groupe », évalue Claire(1), 33 ans et qui a rejoint en 2016 le groupe des Red Tigers, à Lens. « Les femmes représentent entre 10% et 30% des effectifs, voire 40% selon les structures. Elles sont d’autant moins nombreuses dans les groupes ultras, qui peuvent aller jusqu’à la démonstration de force pour soutenir leur équipe », précise le sociologue Nicolas Hourcade, qui a notamment travaillé sur le fonctionnement des associations de supporters.

Souvent, on parle de charisme pour désigner ce qui fait un bon chef de groupe. Derrière, il y a des qualités socialement construites, comme le fait de donner de la voix, et une certaine performance de la masculinité.

Le supportérisme, une manière de prouver sa masculinité ? « Les pratiques des supporters sont largement liées à la virilité », pose Stéphanie Guyon. La sociologue a travaillé, entre 2002 et 2005, sur la présence des femmes au sein de ces structures, en suivant les ultras de l’AJ Auxerre. Elle a publié en 2007 un article, dans la revue universitaire Sociétés et Représentations, qui résume son travail ( « Supporterisme et masculinité, l’exemple des ultras à Auxerre » ). « Souvent, on parle de charisme pour désigner ce qui fait un bon chef de groupe. Derrière, il y a des qualités socialement construites, comme le fait de donner de la voix, et une certaine performance de la masculinité », assure-t-elle. Contactés, les Ultras Auxerre n’ont pas souhaité répondre à nos sollicitations. « On est presque des garçons manqués », juge Mimi, l’une des membres des Dodger’s, présente ce soir-là aux côtés de Corinne dans le local de l’association. Une troisième femme les rejoint : Laeticia. « Ce que j’aime, c’est l’ambiance, la folie. On respire », décrit cette dernière. « C’est sûr que l’on n’irait pas en déplacement en mini-jupe. On s’habille comme les mecs pour aller au stade, parce que, si vous allez à l’opéra, vous n’iriez pas en jogging », décrivent les trois femmes. L’engagement de toutes ces filles représente en tout cas une part importante de leur vie. « C’est du 24 heures sur 24 et du sept jours sur sept, raconte Corinne. Hier soir encore(mercredi dernier), on s’est appelées avec Mimi tard dans la soirée pour s’organiser pour le déplacement à Francfort. »

« Les filles ont plus de mal à accéder aux postes à responsabilité »

« En tant que fille, il faut parfois montrer d’autant plus que l’on s’investit, que l’on s’engage pour le club », explique Camille Pérez, une autre membre des Dodger’s âgée de 23 ans. Dans le quotidien, on note cependant quelques différences entre les hommes et les femmes du groupe. « Il n’y aura que très peu de femmes pour le déplacement à Francfort, parce que c’est un déplacement considéré comme dangereux », précise celle qui s’occupe de l’organisation concrète. « On fait attention pour certains matchs, en conseillant aux femmes de ne pas y aller », reconnaît de son côté le capo des Dodger’s, qui a préféré rester anonyme. « Les filles auront plus de mal à accéder aux postes à responsabilité. On note aussi que les femmes ne participent la plupart du temps pas aux scènes de bagarre ou de violence. Ce sont des comportements qui sont plutôt considérés comme masculins au niveau de l’éducation », détaille Stéphanie Guyon. « Une fille capo, c’est vrai que ce serait compliqué, observe Corinne Carême. Au stade, dans le virage nord, je suis devant le capo, pour ne pas être prise dans les pogos. »

« Dans les groupes, les femmes sont rarement aux postes les plus valorisés, mais elles réalisent des actions indispensables pour le fonctionnement de la collectivité », détaille Hourcarde. Corinne va dans le même sens : « Si on n’était pas là, au niveau administratif, je pense que ce serait très compliqué. » « Sans Corinne, rien ne serait fait pour l’organisation des déplacements, les bus, les liens avec les stadiers », reconnaît même le capo. Les femmes interrogées veulent cependant mettre en avant leur bonne intégration au sein de leur groupe : « Les hommes respectent notre engagement », relate Mimi. « J’ai le sentiment d’avoir été bien accueillie. Je n’ai jamais eu de remarque déplacée, on me demande même des conseils, précise Camille Pérez. J’ai parfois le sentiment d’être surprotégée, quand on se demande si je dois faire tel ou tel déplacement. »

« Certaines s’investissent plus que les hommes »

« Je m’éclate, je fais les déplacements comme les hommes, estime elle aussi Claire des Tigers. On organise des tournois de supporters, on récolte des cadeaux. La seule chose que j’aime moins, c’est les fumigènes, mais c’est personnel, je trouve quand même que cela apporte une ambiance exceptionnelle. » Serait-il possible et souhaitable d’inclure plus de filles au sein des groupes ? « Il y en a de plus en plus qui viennent », se réjouit Claire. « Je pense qu’aux Dodger’s, on arrive quand même à trouver notre équilibre, narre par ailleurs leur capo. Nous sommes un groupe familial. Il y a de plus en plus de femmes dans les virages, qui viennent en couple, parfois entre copines. Certaines s’investissent plus que les hommes. On essaie de faire en sorte qu’elles soient aussi bien accueillies. » Corinne conclut en pointant du doigt un certain problème : « On ne cherche pas particulièrement à ce que plus de filles viennent, mais elles sont les bienvenues. C’est vrai que pour s’intégrer parmi les hommes, il faut souvent faire et penser comme eux. »

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Par Eloïse Bussy

Tous propos recueillis par EB

(1) Le prénom a été modifié

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