- Mondial 2022
- Dans les coulisses
Dans le Souq Waqif de Doha : Mohammed Zarei Nejad entre le code pin’s
Véritable attraction du Souq Waqif de Doha, Mohammed Zarei Nejad a une passion : collectionner les pin’s et se balader avec. Entre deux clichés, cet Iranien de 62 ans a accepté de s’offrir une pause pour siffler un soda et nous raconter son histoire avant le coup d’envoi du Mondial.
Plus le temps passe à Doha, et plus un constat se dessine : il va falloir attendre le match Qatar-Équateur, coup d’envoi officiel de ce Mondial 2022 prévu ce dimanche à 17h (heure française), pour que l’effet Coupe du monde s’empare totalement de la capitale qatarie. Ce mercredi, les sept kilomètres de la fameuse corniche étaient dénués de toute ferveur. Pas le moindre food truck ouvert ou trace d’un groupe de supporters (authentiques ou pas) à la ronde. Pour trouver de la vie, il faut se rendre au Souq Waqif. Un marché et lieu de vie du centre-ville qui n’a plus grand-chose d’authentique depuis sa totale rénovation en 2006, mais qui a au moins le mérite de réunir en son sein une esquisse de l’ambiance qui devrait régner dans l’émirat le mois prochain. Au beau milieu des nombreux et bruyants supporters tunisiens, il y a ce personnage recouvert de pin’s de la tête au nombril, une réplique déformée de la Coupe du monde en polystyrène sous le bras, ce qui lui vaut d’être arrêté toutes les vingt secondes pour être pris en photo avec des centaines d’inconnus. « Si je prenais un riyal par photo, je serais riche en une soirée ! », rigole Mohammed Zarei Nejad.
Cet Iranien de 62 ans a autant de dents que le Brésil a de victoires en Coupe du monde, mais bien plus de breloques accrochées au veston et sur son stetson. Un Pepsi dans les mains pour tromper la moiteur de la nuit, il raconte comment lui est venu ce drôle de hobby : « J’ai commencé en 2006 lors des Jeux asiatiques qui se sont déroulés ici, à Doha. C’est en regardant un match à la télé que j’ai eu l’idée de garder un souvenir de toutes ces compétitions auxquelles j’assistais. J’ai commencé par recouvrir un petit chapeau, puis un ami m’a dit :« Ne t’arrête pas en si bon chemin, mon ami, continue ! » » Sur sa veste, le logo du PSG côtoie ceux de la fédération allemande, du Costa Rica ou encore de la sélection olympique canadienne. Pour s’approvisionner, le féru de cocardes bon marché n’achète rien. Il troque avec d’autres collectionneurs rencontrés ici et là, quand il ne récupère pas son précieux directement auprès des délégations. La seule limite que se fixe Mohammed, qui avoue ne pas savoir exactement combien de pièces il a dans sa collection, c’est celle de ne pas en accrocher sur son pantalon. « Certains prendraient mal que leur insigne soit accroché en dessous de la ceinture », explique-t-il avant de prendre la pose.
Cet Iranien qui perce sur la scène mondiale
Lui n’est pas un touriste, loin de là. S’il est un homme reconnu dans la diaspora iranienne du Qatar, il connaît également le Souq Waqif comme sa poche. Quoi de plus normal après tout : jusqu’à il y a quelques années, son père et lui tenaient une boutique de prêt-à-porter au beau milieu de ce bazar. « Je vendais des vêtements pour hommes, des jeans, des tee-shirts, pose Mohammed. Avant, nous vendions des produits plus « authentiques ». Aujourd’hui, je dirais que tout est davantage fait ici pour satisfaire les envies des touristes. Mon père était malade et donc il a vendu sa boutique. » C’est son paternel qui l’a fait venir à Doha, en 1970, après y avoir trouvé du boulot. Mohammed n’a alors que 10 ans et il ne sait pas encore que « la Perle du désert » sera sa nouvelle maison pour la vie et une attraction mondiale quelques années plus tard. « Je pensais alors que c’était l’histoire de quelques mois ou bien d’un an, confie-t-il en se triturant la moustache. Je viens d’Abadan à la base, une ville située dans le sud de l’Iran. J’y retourne régulièrement. J’y suis passé il y a quatre mois encore, cela reste ma maison. »
Cet attachement à sa terre natale se matérialise par une passion farouche pour la Team Melli. Au-delà de ses photos avec Sardar Azmoun ou l’actuel sélectionneur Carlos Queiroz qu’il exhibe avec fierté sur Instagram, Mohammed ne loupe pas un match de l’Iran. Il est régulièrement en tribunes, et sera bien évidemment de la partie face au pays de Galles et aux États-Unis, mais surtout contre l’Angleterre. Malgré le climat tendu en Iran. « Les temps sont difficiles là-bas actuellement, vous avez dû en entendre parler, souffle le vieil homme en allumant sa Pall Mall.Même moi, ça m’a posé un cas de conscience, mais c’est la Coupe du monde, ici à Doha où je vis, je ne peux pas louper ça ! » D’ailleurs, le monde l’attend, d’autres badauds patientant pour lui tirer le portrait. Et au moment de le voir disparaître dans le labyrinthe du souq, il fait demi-tour et tend un objet dans le creux de sa main. Pas de pin’s, oh non, mais un briquet qui nous appartient. « Désolé, je n’arrête pas d’en voler sans le vouloir. » Typiquement ce que dirait un collectionneur de briquets.
Par Andrea Chazy, avec Maxime Brigand et Mathieu Rollinger, à Doha
Photos : Mathieu Rollinger.