- France
- Ligue 2
- 31e journée
- Lens/Sedan (2-2)
Dans la peau d’un Tigre lensois
On a vécu Lens-Sedan avec les Red Tigers. Mis en sommeil durant six mois la saison dernière, le principal groupe ultra lensois est plus que jamais derrière les siens cette année. À quelques jours d'un quart de finale de Coupe de France mobilisateur, l'occasion était bonne d'aller se glisser dans la peau de ces supporters et de constater la ferveur qui les anime.
Il est près de 19h30 lorsqu’on rejoint Pierre, membre du bureau des Red Tigers. Premier constat : les ultras lensois n’ont rien à voir avec ces beaufs qu’on essaie de nous vendre comme terreau. La plupart d’entre eux, jeunes ou pas, novices ou non, sont là par passion, et pas uniquement pour se bourrer la gueule ou pour insulter l’arbitre. Pierre, total look ultra avec son jean 501, un manteau noir et le cheveu ras, passera ainsi une bonne partie de son match sur les grilles du stade à hurler pour soutenir ses couleurs. Mais on n’en est pas encore là. Pour l’instant, le jeune homme semble tendu. La raison ? Une bagarre vient d’éclater suite à une provocation des supporters sedanais. Les Red Tigers, pas forcément impliqués dans cette histoire, craignent toutefois les représailles. Pierre explique : « Dès qu’il y a un problème en dehors du stade, que ce soit avant ou après le match, on est souvent pris pour cible. Mais bon, là, ce que tu as vu, c’est exceptionnel. Ça n’arrive que très rarement à Lens. D’autant plus depuis qu’on est en Ligue 2. »
Friterie Sensas et bière Ch’ti
Autre motif de stress, la (encore) possible relégation en National. Plus que trente minutes avant le match, synonyme de maintien en cas de victoire du RC Lens et de gouttes qui perlent dans le slip en cas de défaite. À sept journées de la fin du championnat de Ligue 2, peu dire donc que les 3 points feraient du bien. D’autant que cela permettrait de préparer en toute tranquillité la venue de Bordeaux dans dix jours, dans le cadre des quarts de finale de la Coupe de France. Un match attendu de pied ferme par les supporters, et par Pierre en particulier : « Là, on sait que notre saison n’a plus grand intérêt. On est trop loin des leaders pour monter, et trop loin du bas de tableau pour descendre. Enfin, je l’espère. Ne reste plus que le match contre Bordeaux pour se lâcher un peu. »
En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, Pierre en profite pour revenir sur la polémique concernant l’horaire de ce match, déjà évoquée ici-même : « On a bien fait de se battre. De toute façon, il était hors de question que le match se déroule à 17h. On a montré que nos revendications étaient crédibles et, grâce à cela, le stade sera de nouveau complet dans dix jours. 40 000 supporters derrière les Sang et Or. » Devant l’une des friteries Sensas présente face à la tribune Marek, Pierre et ses comparses reviennent sur les incidents survenus quelques minutes plus tôt, préparent les prochains déplacements (à Caen, notamment) et, surtout, évoquent le match à venir – un match qui ne semble pas les emballer plus que ça, mais qu’ils préparent depuis plusieurs heures dans une brasserie située à côté de la Gare qui leur sert de QG.
Il est 20h, le RC Lens s’éveille
20h, le coup d’envoi est donné. Pourtant, une bonne majorité des ultras reste postée devant la tribune Marek, finissant la bière qu’ils ont entamée : une Ch’ti, forcément. Ça jacasse, ça rigole, ça se taquine, on se croirait presque à une réunion de famille, mais sans la grand-mère moralisatrice ou l’oncle alcoolique aux blagues toujours salaces. Un Red Tiger confie d’ailleurs que « les matchs ne sont que des parenthèses en quelque sorte. Ce qu’il y a d’intéressant et de beau à voir, c’est l’avant-match et l’après-match. C’est là qu’on sent le lien qui nous unit. » Quand il parle de son club, quelque chose se passe dans l’œil de ce supporter, ses poils se hérissent et ces gestes se font vifs. Un sentimentalisme difficile à suspecter au premier abord tant sa silhouette correspond davantage à celle d’un déménageur qu’à celle d’un adepte des œuvres de Baudelaire. Il dit, tout simplement : « Ce qu’il y a de beau, c’est de voir que les fondateurs des Red Tigers répondent toujours présents. Ça va faire vingt ans qu’on existe, et on a toujours tout donné. » Comme ce logo du RC Lens tatoué sur la poitrine.
L’entrée dans le stade est plutôt délicate, Lens vient d’encaisser un but. Ou plutôt vient de se mettre un but. Merci Alaeddine Yahia ! Pire, Diallo, sur penalty, double la mise pour Sedan un quart d’heure plus tard. La soirée s’annonce compliquée. Mais comme le dit l’un des slogans des Red Tigers, « l’avenir nous appartient. » D’ailleurs, à peine une minute après le but de Diallo, Yoann Touzghar réduit la marque d’une très jolie frappe à l’entrée de la surface. Forcément, l’ambiance repart de plus belle, les écharpes et les drapeaux tendus vers le ciel. Pourtant, Jonathan, alias Pessimiste, alias le capo de la tribune, s’agace : les supporters ne démontrent pas assez d’enthousiasme à ses yeux. Ce n’est pas son cas : qu’il reprenne La Lensoise sur le thème de Fort Boyard ou encore le Santiano d’Hugues Aufray, le gars, casquette et veste de punk à chien, se déchire les cordes vocales, avec ou sans micro. Qu’il se rassure : la mi-temps permet à tout le monde de recharger les batteries.
On refait le match
Qui dit mi-temps à Lens, dit forcément Les Corons : tube niais mais néanmoins célèbre de Pierre Bachelet, et véritable institution du côté de Bollaert. En tant que principal groupe animateur du kop, c’est aux Red Tigers de donner le ton. L’égalisation, on y croit. Même si les coéquipiers de Yohan Demont ne semblent pas avoir les armes ce soir pour forcer le destin. On en profite pour s’imbiber des multiples chants entonnés dans la tribune. Avec une bonne dizaine de lyrics différents, le moins que l’on puisse dire, c’est que les Red Tigers ne manquent pas de solutions pour pousser les leurs. Bon ok, les rimes ont plus à voir avec celles de Goldman qu’avec celles de Gainsbourg, mais elles ont au moins le mérite d’être facilement mémorisables. D’autant que cela alimente l’ambiance. Une ambiance qui ne cesse d’ailleurs de s’accroître jusqu’à la 95e minute, moment choisi par Yoann Touzghar pour égaliser et plonger le kop des Red Tigers dans un craquage réjouissant. Ça se projette à tout vitesse vers les barrières, ça se regarde les yeux dans les yeux pour mieux se réjouir, et ça s’écrase mutuellement pour montrer qu’on est heureux. Et le capo de tenter de rameuter ses troupes pour entonner un dernier hymne. Dans l’espoir d’aider le RC Lens à marquer un troisième but ? Sans doute. Mais ce ne sera pas le cas. Au lieu de ça, la tribune chante ses joueurs, Rudy Riou et Yoann Touzghar tout particulièrement.
Si malheureusement, comme souvent cette saison, la prestation des deux équipes ne restera pas dans les annales, les Red Tigers peuvent au moins se réjouir de s’être époumonés entre potes et d’avoir poussé jusqu’au bout pour permettre aux leurs de décrocher le point du nul. Point précieux dans la lutte pour le maintien en Ligue 2. Et les joueurs, en venant les saluer à la fin du match, ne s’y trompent d’ailleurs pas et honorent de la meilleure des façons le travail accompli par les animateurs du kop sang et or. Ne reste plus qu’à aller boire un dernier verre dans le bar qui leur sert de QG, histoire de fêter à la bière, entre un flipper et une partie de billard, cette égalisation arrachée in extremis.
Par Maxime Delcourt, au stade Bollaert