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Danone et l’ETG, une histoire tombée à l’eau
Partenaires historiques depuis 2005, Danone et l'ETG ont pris des chemins différents ces dernières semaines. Retour sur une histoire qui avait tout du conte de fées, et qui soulève pas mal de questions. Enquête.
Il est possible que Kévin Bérigaud, l’attaquant racé de l’ETG ou Aldo Angoula, la tour de contrôle au club depuis le National, soient friands des Activia, Actimel, Velouté Fruix ou encore des Danacol. Au vrai, on s’en balance pas mal. L’ETG et Danone, c’est l’histoire du couple qui démarre une idylle amoureuse parfaite mais qui, finalement, divorce avant les noces d’étain (dix ans). Mi-mars, le groupe agroalimentaire haut-savoyard a fait savoir à l’ETG, par courrier, qu’il cesserait de financer la section professionnelle du club à partir de la saison 2014-2015. Ce retrait a été rendu possible grâce à un avenant signé l’été dernier par Patrick Trotignon, alors président du club (mais révoqué le 23 décembre) sans l’aval du conseil d’administration. Dans ce document, il est stipulé que Danone peut dénoncer le contrat qui lie les deux parties avant le 31 mars de chaque année et ainsi mettre un terme à sa participation financière. Cette dernière s’élevait à 1 million d’euros par an, sur un budget total de 29 millions.
Le retrait de Danone ? Tout sauf une surprise. « Je ne peux que constater ce désengagement avec la section professionnelle. Cela concerne une enveloppe de 1 million d’euros » , explique Joël Lopez au Dauphiné Libéré le 19 mars. Lopez, arrivé au club grâce à Trotignon, ajoute : « Dans la lettre, le groupe Danone nous souhaite toute la réussite possible pour l’ensemble du club, ce qui nous a bien évidemment touchés. D’autant que Danone poursuit jusqu’en 2017 son aventure avec la section amateurs et le centre de formation. » L’enveloppe destinée aux « jeunes » se chiffre à hauteur de 2,5 millions. Pas rien.
Yves Bontaz, sponsor de l’ETG et à la tête d’un immense empire dans le monde du décolletage dans la Vallée de l’Arve, se montre lucide sur la situation : « Je ne suis pas vraiment surpris. J’avais déjà dit en novembre dernier que Riboud allait s’en aller. À l’époque, il n’avait pas bien confirmé, mais c’était vrai. » Le maire de Publier, Gaston Lacroix, proche du club et du clan Riboud-Trotignon, va dans le même sens. « Cela ne m’a pas du tout surpris non plus. Surtout par rapport à certaines paroles, certaines maladresses qui ont pu être dites sur un partenaire privilégié » .
À la base, un projet sociétal
Flash-back. 2005 : les premiers contacts entre les Croix de Savoie et l’état-major de Danone, Franck Riboud en tête, s’établissent. Le club haut-savoyard va descendre en CFA et se retrouve criblé de dettes. Il faut trouver une solution. « Marc Francina (maire d’Évian-les-Bains, N.D.L.R.) m’avait appelé, se souvient Gaston Lacroix. Il m’avait dit qu’il n’y connaissait rien au foot et m’avait proposé d’assister à la réunion. J’ai la chance d’avoir un relationnel avec Franck Riboud qui dépasse le monde professionnel, c’est un ami » . Dans ces réunions, pour convaincre Danone de reprendre en main le club, les choses sont claires. « Danone voulait créer un projet sociétal, notamment centré sur la formation » , certifie Lacroix, qui appuie l’idée que le sponsor principal veut véhiculer une image positive dans la région. L’histoire est belle. Les Croix de Savoie – devenues Evian Thonon Gaillard – passeront de la CFA à la Ligue 1 en quelques années. Aujourd’hui, le maire de Publier est très amer envers le club. Il a du mal à concevoir que ses amis – Riboud notamment – aient été traités ainsi. « C’est un partenaire que beaucoup d’autres clubs aimeraient avoir. C’est vraiment dommage, il y avait quand même une belle opportunité » , rage Lacroix, qui nous a confirmé qu’il retirait aussi les 50 000 euros de subventions accordées à la section amateurs – donc aux jeunes – de l’ETG.
Le retrait de Danone – froissé après l’éviction de Trotignon -, Pascal Dupraz ne le comprend pas, ne le digère pas. Dans une interview à RMC Sports la semaine dernière, il expliquait : « Danone et son PDG ont décidé de ne plus soutenir le groupe professionnel, mais ils continuent à soutenir l’ETG. Que ce soit l’association ou les jeunes, cela reste l’ETG. Ils soutiennent les jeunes, qui bientôt deviendront professionnels. Donc ils soutiennent des jeunes qu’ils ne soutiendront plus. J’ai du mal à me reconnaître dans tout cela. » Pour Gaston Lacroix, ce soutien aux jeunes est pourtant « essentiel » . « Franck Riboud me disait souvent que son rêve suprême, c’était de gagner la Gambardella » , nous confie-t-il par téléphone. Yves Bontaz est moins romantique quant au maintien de l’enveloppe de 2,5 millions euros. « Ils étaient obligés de toute façon, le contrat va jusqu’en 2017 et ils ne peuvent pas le dénoncer » , explique l’homme chauve aux petites lunettes rondes.
Dès lors, le retrait de Danone a soulevé beaucoup de questions ces dernières semaines en Haute-Savoie. Grave, pas grave ? L’ETG va-t-il s’en remettre ? Le club va-t-il couler ? Dans les faits, Danone n’apportait qu’1 million sur un budget qui en compte 29. Pas de quoi faire boîter le club haut-savoyard. Surtout qu’Yves Bontaz devrait mettre un peu plus la main à la poche. Selon nos informations, il devrait doubler son apport dès l’année prochaine. À hauteur de 400 000 ou 500 000 euros, son apport pourrait donc approcher le million. « J’aimerais bien entrer au capital de l’ETG » , avoue également le patron haut-savoyard.
Quel futur nom pour le club de Haute-Savoie ?
Le retrait de Danone pourrait surtout entraîner le retrait d’autres partenaires, proches de Riboud et Trotignon. Ce dernier a d’ailleurs entamé un travail de sape important depuis le mois de décembre pour en convaincre certains de venir à Grenoble avec lui (Trotignon doit bientôt prendre la présidence du GF38 et est déjà impliqué au club). Lorsque Pascal Dupraz évoquait les « mécréants » qui tentaient de déstabiliser son club, nul doute que Trotignon était dans sa ligne de mire. « Quand on divorce, on se doit de respecter son concubin parce qu’on a eu une vie ensemble et bien souvent des enfants ensemble, imageait Dupraz sur RMC Sports. Eh bien, quand on quitte l’ETG, on doit penser que certes on a divorcé, mais qu’il y a des enfants et que ces enfants sont les 100 employés. Donc, quand on fait du mal à l’ETG, on fait également du mal à des gens qui n’ont rien fait, qui ne font que travailler et croire à ce club » , soupire le manager général du club, très remonté contre son ancien président. « En ce qui concerne Patrick Trotignon, il faut faire l’économie de parler de lui. Je le lui ai dit et je l’ai dit à Franck Riboud : l’unique responsable de nos soucis depuis un an et demi, c’est Patrick Trotignon. » Pan. Gaston Lacroix est persuadé que l’ETG s’est tiré une balle dans le pied en se mettant à dos Danone. « Le problème est plus large que le financement direct. Il y aura forcément des dégâts collatéraux. Des entreprises sont arrivées grâce à Danone. Le réseau de Riboud va forcément manquer à l’ETG. » Et d’accuser sèchement : « Quand on a la chance, l’opportunité, d’avoir un partenaire comme ça, on fait tout pour le garder. Quand on est en construction, il y des virages, des risques à ne pas prendre. »
« Le projet du club, tel qu’on l’avait conçu et présenté, était fantastique. Un club d’amis, je me souviens des paroles de Franck Riboud. Mais ce n’était pas un club d’amis. Ce n’était pas pour les bonnes raisons » , a dit Pascal Dupraz. Ce dernier répète souvent que certaines personnes ont promis de rendre les 300 000 euros sortis à l’époque par son père, Jo, pour sauver le club (voir So Foot d’avril 2014). S’il ne le dit pas ouvertement, tout le monde sait qu’il vise directement Franck Riboud, le PDG de Danone. Entre le groupe haut-savoyard et le club du département, la rupture est consommée. Pour de bon. Présent lors de la remontée sportive, structurelle et financière du club, Danone ferme une page symbolique de l’histoire de l’ETG. Cette portée est difficile à accepter pour la plupart. « On était un club avant eux, on le sera après, on ne va pas commencer à pleurer, nous ne sommes pas en train de mourir » , pose cependant un historique du club.
Dernière question d’envergure, celle du nom du club : Evian Thonon Gaillard. Evian, sans accent donc, puisque c’est la marque et non la ville. Le club va-t-il perdre une partie de son patronyme ? « Je le crains, ça ne m’étonnerait pas » , confie le maire de Publier. Gaston Lacroix nous explique aussi que les conventions stipulent probablement que Danone figure dans le nom en tant que sponsor principal. Et vu que le géant haut-savoyard ne l’est plus… « Je n’ose pas imaginer ce que ça fera ! » , s’inquiète encore Lacroix, qui buvait le café avec Riboud mardi en fin de journée. Pour terminer, Yves Bontaz fait une confidence qui vaut éventuellement comme solution. « Ils voudraient que je prenne la place de Danone… » , croit savoir le patron haut-savoyard. La caution locale, tant soutenue par la famille Dupraz, aurait de la gueule. Elle viendrait renforcer les actionnaires majoritaires, permettrait à l’ETG de se pérenniser financièrement et « remplacerait » Danone sans trop de dommages collatéraux. Reste à savoir si Evian Thonon Gaillard peut s’appeler Thonon Gaillard, Croix de Savoie ou même Bontaz TG. Après tout…
Par Thomas Perotto