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Danny Boyle : « Nous avons inventé les règles de ce sport, puis tout le monde est devenu meilleur »
T2 Trainspotting, la suite des aventures de quatre anciens accros à l'héroïne dans les rues d’Édimbourg, est en salle depuis mercredi. Vingt ans après le premier volet, Danny Boyle filme des personnages plus ou moins assagis, mais toujours fans de foot vintage. Transis d'amour pour une idole indétrônable : George Best. Rencontre avec un cinéaste anglais dont le cœur penche vers l'Irlande du Nord.
D’après l’un des personnages du film, George Best est le plus grand footballeur de tous les temps. Êtes-vous d’accord ?Mon père m’a emmené plusieurs fois à Old Trafford pour le voir jouer. Et puis le premier film auquel j’ai participé était un feuilleton nommé Scout, diffusé sur la BBC. Le film racontait l’histoire de Bob Bishop, un « scout » (un recruteur, ndlr) d’Irlande du Nord. Maintenant, les clubs cherchent à dénicher des joueurs partout dans le monde, mais à l’époque, c’était bien plus rare. Et Manchester United disposait en Irlande du Nord d’un dénommé Bob Bishop, un type chargé de sélectionner les jeunes « lads » pour les faire jouer à Old Trafford. Le feuilleton raconte comment Bishop a sélectionné Best, lequel était joué par l’acteur irlandais Stephen Rea. Depuis, je suis obsédé par George Best. Je sais ce que vous allez dire : comment pouvez-vous le comparer à Messi ou à Zidane ? Pour certains, Best est le plus grand footballeur de tous les temps.
Qu’avait-il de si particulier ?(Il se lève et remue son bassin) Les hanches ! Zidane avait l’élégance. Messi a le centre de gravité très bas, comme Maradona. Et Best, lui, avait un truc avec les hanches, une gestuelle très sensuelle qui déstabilisait les défenseurs. Ils mordaient tous à ses feintes !
Parce qu’il jouait pour la sélection nationale d’Irlande du Nord, Best n’a jamais disputé la Coupe du monde. Peut-on parler de tragédie ?Ryan Giggs est un très grand joueur, mais lui non plus n’a jamais disputé la Coupe du monde, parce qu’il est gallois. Les joueurs comme Best ou Giggs sont si fiers de leur pays ! Et puis l’Angleterre est si nulle qu’il vaut mieux jouer pour le pays de Galles ou l’Irlande du Nord ! Hormis en 1966, l’Angleterre n’a pas tellement brillé… Nous avons inventé les règles de ce sport, puis tout le monde est devenu meilleur.
Votre mère vient de Galway, sur la côte ouest irlandaise. Votre affection pour les joueurs de l’île vient-elle de là ? Sans doute. J’adorais Roy Keane ! Un type féroce, comme l’aime le football moderne. D’ailleurs, ça se retrouve aussi dans mon cinéma : bizarrement, alors que je suis anglais, je choisis presque toujours des acteurs irlandais ou écossais pour mes films.
Avez-vous noté des différences entre les footballeurs écossais ou irlandais et ceux qui viennent d’Angleterre ?Quelque part, quand votre voisin le plus proche est l’Angleterre, vous vivez avec un sentiment constant d’état de siège. Alex Ferguson a joué là-dessus pour forger chez ses joueurs une détermination de fer. Voilà peut-être pourquoi il y a tant de grands coachs venus d’Écosse. Récemment, pour une publicité, on m’a photographié avec le trophée de la Ligue des champions. On dit souvent que Manchester United est la première équipe britannique à avoir remporté cette compétition, en 1968. Mais non, c’est le Celtic, un an plus tôt ! D’ailleurs, les deux équipes étaient entraînées par des Écossais. Le Celtic était construit autour de mecs du coin : tous les joueurs étaient nés à une quinzaine de kilomètres du stade.
Dans le football actuel, pensez-vous qu’il y ait encore des joueurs aussi « rock’n’roll » que George Best ?
L’univers du foot est devenu si complexe. Il y a tellement d’argent, tellement de personnes autour des joueurs. Best a fait beaucoup d’erreurs, avec les filles notamment, ce qui lui a donné cette aura rock’n’roll. Désormais, c’est triste, les joueurs sont constamment surveillés, ils ne peuvent s’amuser qu’en cachette. J’entends parfois certaines histoires. Wayne Rooney s’est amusé à boxer dans sa cuisine avec un joueur de Stoke City, lequel l’a mis KO. La vidéo a fuité via le quotidien The Sun. Et puis il y a aussi cette histoire avec Balotelli qui a brûlé sa maison… Il a jeté des feux d’artifice dedans !
Comment avez-vous vécu l’Euro ? N’est-ce pas décevant de voir sa sélection perdre, sans compter les violences autour des matchs de l’Angleterre ?C’est très décevant, en effet. Notre équipe a été prise dans un cercle vicieux : les joueurs déçoivent, parce qu’il y a beaucoup de pression autour d’eux. À cause de cette déception, les supporters se comportent mal, ce qui engendre encore plus de pression autour des joueurs, et ainsi de suite. Je ne sais pas où se trouve la solution. On parlait d’Arsène Wenger à un moment : si on lui donne cinq ans à la tête de la sélection, je pense qu’il peut changer les choses, même si c’est presque devenu mission impossible de reprendre cette équipe. Et pourtant, il y a des talents : Dele Alli est un futur grand milieu offensif.
Partagez-vous la nostalgie pour le foot d’autrefois qui transpire du film ?
Bien sûr que oui ! Je passe des heures sur YouTube à regarder Paul Scholes ou Dennis Berkgamp marquer des buts pas possibles… Puis je me dis que je perds mon temps. Cela dit, la ferveur pour les équipes anglaises ne s’est pas estompée. À Newcastle, une grande ville ouvrière, le stade est toujours rempli, même si l’équipe a chuté en deuxième division. Ce loyalisme un peu fanatique autour d’un club existe toujours.
Selon vous, le Brexit risque-t-il de changer le football britannique ?Notre football est devenu un business trop puissant et trop international pour que le Brexit l’affecte. La sortie de l’Union européenne pourrait avoir un impact sur les transferts de certains joueurs, mais je suis sûr qu’ils trouveront un moyen de contourner cela. Tout le fric de la Premier League, c’est effrayant. Ils peuvent dépenser plus de 100 millions d’euros pour Paul Pogba. Cet argent, c’est grâce aux droits télé. En Italie, la télévision a ruiné le football dans les stades… Au Royaume-Uni, heureusement, ils sont toujours remplis.
En revanche, le prix des billets a grimpé en flèche.C’est terrible. En Allemagne, manifestement, la situation est meilleure. On m’a dit que les places étaient relativement peu chères, et les stades toujours remplis de supporters locaux. Il y a encore cette passion liée au sentiment d’appartenance, au fait de n’être pas exploité.
Propos recueillis par Grégoire Belhoste et Kerill McCloskey