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Daniela Schmidt : « Ce n’est pas parce que je ne vois pas le match que je ne peux pas insulter l’adversaire »
Si le Borussia Dortmund est avant tout célèbre pour sa légendaire Südtribüne, les Schwarzgelben comptent pas moins de 800 groupes de supporters, et tous ne sont pas ultras. Parmi eux, le BvB Blind Date, qui regroupe une petite cinquantaine de fans atteints de déficience visuelle. Entretien avec sa présidente Daniela Schmidt, qui rappelle qu’assister à un match au Westfalenstadion, c’est avant tout une expérience « magique » et qui se ressent, à défaut d’être vue.
Daniela, quand votre passion pour le BvB est-elle née ?Je suis originaire de la Ruhr et j’ai commencé à suivre le club au début des années 1990. Au départ, j’assistais aux matchs dans la Südtribüne, mais bien évidemment, je ne voyais rien, donc je me contentais de profiter de l’atmosphère autour de moi.
On dit souvent que les personnes qui sont privées d’un sens compensent avec les autres.C’est vrai. Les spectateurs voyants vont avant tout se concentrer sur leurs yeux. Nous, on ressent beaucoup, on entend des choses que les autres n’entendent pas. C’est valable au stade, mais aussi quand on se déplace à l’extérieur.
C’est-à-dire ?Eh bien, il y a des villes dans lesquelles l’atmosphère que l’on perçoit autour de soi permet de se sentir bien ou non. Le temps qu’il fait est également déterminant. Et personnellement, l’odorat joue aussi un rôle très important. C’est pour ça que je trouve qu’il est bien plus agréable de se promener à Barcelone plutôt qu’à Londres par exemple. Ce sont deux grandes villes, mais quand on s’est déplacés en Espagne, j’avais l’impression d’être en vacances. Quant à Paris, c’est une ville qui m’évoque beaucoup de bruit !
Qu’est-ce qu’on ressent pendant le match si on ne peut pas voir le jeu sur le terrain ?C’est difficile à dire, car je ne peux pas comparer avec la situation des voyants. Je dirais que la nôtre a quelque chose de magique. À travers les réactions des gens, que ce soit des cris de joie ou des insultes, on comprend très bien la manière dont le match se déroule. Et cette ambiance agit sur moi comme un aimant, c’est ça qui me plaît le plus quand je vais au stade. Je crois que ce n’est pas si différent que pour les autres supporters : je suis toujours très nerveuse avant le coup d’envoi et je réagis différemment, selon que le match se passe bien ou non.
Vous avez l’insulte facile quand ça se passe mal ?Bien sûr, pourquoi pas ? Quand je suis en mode foot, je peux être très dure envers l’adversaire. Ce que je refuse en revanche, ce sont les insultes gratuites envers nos joueurs. Après, je peux comprendre qu’on en veuille à quelqu’un si, par exemple, il manque une énième passe à la 80e minute. Là, c’est simplement l’émotion qui ressort.
Comment vous est venue l’idée de créer un groupe pour supporters malvoyants ? Êtes-vous personnellement concernée par ce handicap ?Tout à fait. Et quand j’y repense, notre groupe s’est presque créé par hasard. On était en 2002 et lors de retrouvailles avec des anciens de l’école spécialisée dans laquelle j’étais scolarisée, nous avons constaté que nous étions plusieurs à être supporters du BvB et nous nous sommes simplement dit : « Pourquoi ne pas créer un fan-club qui nous rassemblerait ? » Au début, c’était vraiment modeste, nous ne devions être que cinq, je crois. Mais aujourd’hui, nous sommes cinquante ! Et nos membres ne viennent pas seulement de Dortmund et de sa région, mais aussi de l’étranger : récemment, nous avons accueilli un couple de Belges dans le groupe. Ils habitent près d’Anvers. Lui, son oncle l’emmenait faire du groundhopping en Allemagne et il est immédiatement tombé amoureux de l’ambiance de Dortmund dès qu’il y a mis les pieds. Aujourd’hui, il assiste à tous les matchs à domicile et grâce au Borussia, il a même fini par apprendre l’allemand, ce qui facilite la communication entre nous.
Sont-ils eux-mêmes atteints de déficience visuelle ?Oui, mais tous nos membres ne sont pas malvoyants pour autant. Une partie d’entre eux sont des conjoints. Il y a aussi des gens qui apprécient notre initiative et ont décidé de la soutenir en nous rejoignant comme accompagnants, ce qui est très utile, surtout en cas de match à l’extérieur, car chaque supporter malvoyant a souvent besoin d’avoir quelqu’un à ses côtés quand il se déplace dans un environnement qui lui est étranger. Pour le huitième de finale retour, les sept tickets qui nous ont été alloués ont évidemment tous trouvé preneur. À cela s’ajoutent deux de nos membres qui sont en fauteuil roulant et leurs accompagnants. Ce sera la première fois que je serai à Paris pour un match de foot !
Où êtes-vous situés dans le stade ?En 2005, on nous a attribué le bloc 5, qui se trouve en latérale, au bord de la pelouse, juste à côté de la Südtribüne. C’est aussi en 2005 qu’est né ce système de commentaires audio pour les supporters malvoyants.
En quoi consiste-t-il ?Concrètement, on nous donne un casque avant la rencontre et dans la tribune de presse, où un siège nous est réservé, deux reporters se succèdent toutes les dix minutes pour commenter le match en alternance. Pour ma part, je garde un écouteur sur une oreille et avec l’autre, j’écoute l’ambiance de la Südtribüne. Les commentateurs sont situés plus en hauteur que nous, ce qui leur permet d’avoir une meilleure vue d’ensemble sur le terrain. De plus, ils bénéficient d’un écran qui leur permet d’expliquer certaines situations et décisions arbitrales grâce aux ralentis. Ce sont des bénévoles qui ne participent pas à la vie quotidienne du groupe, mais nous avons cependant tenu à les faire membres d’honneur.
Ce système fonctionne-t-il aussi lors des matchs à l’extérieur ?Non, dans ce cas-là, nous utilisons le quota de billets qui nous est alloué en tant que fan-club officiel et nous sommes situés dans le parcage visiteurs avec tous les autres supporters. Ceci dit, le club essaie, dans la mesure du possible, de nous intégrer au bloc réservé aux supporters en fauteuil, afin d’être au plus près du terrain. Il nous est déjà arrivé de faire des déplacements à l’étranger lors desquels nous avons pu bénéficier d’un commentaire audio. Je me souviens par exemple que c’était le cas à Wembley (lors de la finale de la Ligue des champions 2013, N.D.L.R.), à Madrid ou à Milan. Mais autant on arrive à se débrouiller avec l’anglais, autant l’italien est beaucoup plus compliqué à suivre et donc beaucoup plus fatigant.
Vous avez évoqué quelques projets similaires au vôtre. L’inclusion des supporters malvoyants s’est-elle généralisée en Allemagne ?Dans les stades des clubs professionnels, oui, l’assistance audio est très bien structurée. Chaque année, au mois de janvier, la Ligue organise d’ailleurs un séminaire pour tous les reporters afin d’échanger sur leur situation respective et d’améliorer l’offre proposée. Des arbitres interviennent également, par exemple pour expliquer certains points de règlement, faire en sorte que le jeu soit le plus clair possible pour chacun et in extenso, que les auditeurs de ces commentaires reçoivent une meilleure information. Je crois qu’aujourd’hui, il y a presque une centaine de reporters sur l’ensemble des trois divisions professionnelles allemandes. C’est énorme, je trouve ça super. D’autant qu’il s’agit à chaque fois de personnes très engagées et qui se donnent beaucoup de mal.
Le BvB compte environ 800 fan clubs officiels. Avez-vous des contacts avec certains d’entre eux ?Oui, nous avons noué quelques amitiés et sommes invités à certains événements, lors de rassemblements estivaux par exemple.
Nous sommes tout particulièrement liés avec un groupe de supporters sourds. Eux n’entendent pas, nous ne voyons pas, cela crée forcément une connexion. Pour ce qui est des ultras, nous n’avons pas de contact lors des matchs à domicile, mais à l’extérieur, c’est différent. Je me souviens d’un match à Manchester où une rangée de sièges nous était réservée tout en bas du bloc. Au lieu de nous asseoir, nous sommes restés debout et nous avons participé aux animations avec eux. Je pense que cela les a impressionnés, même s’ils ne le reconnaîtront jamais ouvertement, car ils ont tendance à se considérer comme les seuls vrais supporters. Mais depuis ils nous saluent à chaque fois que nous nous retrouvons.
Quelles sont vos autres activités en dehors des jours de match ?Nous nous voyons une fois par mois dans un bar de Dortmund où une table nous est réservée. On en profite pour distribuer les billets de match et bavarder de tout et de rien. Sinon, on est parfois invités à assister à un entraînement exclusif. Il n’y a que nous au bord du terrain, ce qui est naturellement avantageux pour les personnes malvoyantes, car, s’il y avait trop de monde, cela serait difficile de le suivre correctement.
Vous êtes bien accueillis dans ces moments-là ?Cela dépend de l’entraîneur en fait. Pour moi, le meilleur, c’était Jürgen Klopp. Très sympa, drôle et authentique. Il a pris le temps de faire connaissance et de répondre à nos questions, en plus d’inciter les joueurs à venir discuter avec nous. Avec Peter Bosz, c’était un peu différent. Il est venu nous saluer, mais sans plus. Je crois qu’il trouvait ça bizarre d’avoir à côté de lui des fans qui ne voyaient pas l’entraînement. Mais pour sa défense, il faisait très chaud ce jour-là, et les joueurs sont immédiatement rentrés au vestiaire après la session.
Les jours de match, vous arrivez à analyser la partie sans la voir ?Absolument ! À travers les commentaires que nous recevons dans le casque, on comprend comment joue l’équipe sur le terrain, quel style de jeu elle adopte, si elle est dure sur l’adversaire,
ou si au contraire elle est plutôt passive. Actuellement, Favre a tendance à m’agacer avec son coaching très expérimental. Contre Leipzig et Paderborn (3-3 à chaque fois, N.D.L.R.), cela a été une catastrophe. On sent qu’il a ses favoris, comme Akanji par exemple, alors qu’il y a d’autres très bons défenseurs qui mériteraient de jouer. Je n’ai pas l’impression qu’il soit doué pour motiver ses joueurs, comme Matthias Sammer ou Sebastian Kehl arriveraient à le faire.
Malgré tout, Dortmund est toujours bien placé dans la course au titre en Bundesliga.Certes, mais c’est avant tout parce que la concurrence est mauvaise, pas parce que l’on joue bien. On manque de constance et de concentration. On fait trop d’erreurs évitables. Si on pouvait jouer à chaque fois comme le dernier match face à Francfort (4-0), ce serait idéal. Parce que c’est comme ça que l’on gagne des matchs contre de grosses équipes. Le PSG par exemple, ce n’est pas l’Union Berlin, n’est-ce-pas ? Mais j’espère malgré tout une victoire à domicile, histoire de voyager à Paris avec un bon pressentiment. Ce sera possible si nos recrues hivernales sont dans un bon soir.
Qui est votre dernier coup de cœur dans l’équipe actuelle ?(Elle sourit.) Axel Witsel. Quand il est arrivé, je le trouvais vraiment super. Mais il a fini par me frustrer, car à chaque match, j’avais une pancarte sur laquelle je lui demandais son maillot. Et lors d’un match à Bruges, il se tenait à trois mètres de moi, donc il l’a forcément vue. Sauf que finalement, il l’a jeté au milieu des ultras. Mais ce n’est pas si grave, j’avais déjà reçu celui de Neven Subotić.
À propos de lui, je crois savoir qu’il est également membre d’honneur de votre fan club.
En effet, on donne encore de l’argent à sa fondation chaque année. Son siège est à Dortmund, donc il est déjà venu nous rencontrer. Et chaque année, il nous écrit une carte de vœux à Noël, comme aux autres donateurs d’ailleurs. Je suis contente qu’il soit de retour en Allemagne, même si ce n’est pas chez nous. Mais je me suis réjouie pour lui quand il a marqué son premier but avec l’Union Berlin contre Augsbourg.
Puisqu’on évoque les anciens de la maison, attendez-vous avec impatience le retour de Thomas Tuchel dans son ancien jardin ?Non pas vraiment. Je ne garde pas un très bon souvenir de lui. Il ne m’a pas paru très sympathique. Quand on l’a vu à l’entraînement, il ne nous a pas adressé un mot, c’est dommage. C’est un peu comme s’il était étranger à la grande famille du BvB. Mais c’est un bon entraîneur, il n’y a rien à dire à ce niveau-là et je le remercie encore de nous avoir fait gagner la Pokal en 2017. Quand il sera là, je ne l’insulterai pas gratuitement. Je suis là pour Dortmund, pas pour me payer l’entraîneur adverse.
Propos recueillis par Julien Duez
Photos : DR