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Daniel Leclercq, le grand blond avec une chaussure noire

Par Yannick Lefrère
8 minutes
Daniel Leclercq, le grand blond avec une chaussure noire

Daniel Leclercq, décédé la nuit dernière en Martinique à l’âge de 70 ans, demeurera une « icône » du football dans les Hauts-de-France. Sa patte gauche a régalé bien des supporters à Valenciennes, Lens et Marseille dans les années 1970-1980. En tant qu’entraîneur, il restera celui qui a fait triompher le RC Lens sur la scène nationale et internationale à la fin des 90s, et l’homme qui a ramené Valenciennes dans le monde professionnel.

L’annonce du décès brutal de Daniel Leclercq à l’âge de 70 ans, ce vendredi matin, est vécue avec beaucoup d’émotion et de tristesse dans la région Nord-Pas de Calais. Et pas seulement parmi les amateurs de football, tant le « grand blond » était au pays des Ch’tis une personnalité connue et respectée. Pas forcément appréciée de tous, en raison d’un caractère quelque peu taciturne et d’une image d’homme un peu bourru. Qui n’étaient, à ses yeux, que de la « timidité et de la réserve » d’un homme qui « n’aimait juste pas beaucoup parler » .

Comptable ou footballeur

Le natif de Trith-Saint-Léger, près de Valenciennes, était viscéralement attaché à sa région. Dans les Hauts-de-France, il était devenu une icône. « C’est une reconnaissance de ma carrière, confiait-il dans Une histoire de druide en 2016. C’est certainement dû aussi à mon caractère, à ma façon de voir et dire les choses. » « Non, je n’ai pas peur de la mort, écrivait-il encore dans cette biographie,il ne faut pas avoir peur, et puis j’ai quand même bien vécu. » Ce vécu, c’est le football. Tout simplement. Le ballon rond lui a tout donné. D’abord supporter de l’USVA dès son plus jeune âge, dans les années 1960, avec un papa qui ne loupait pas un match à Nungesser. Issu d’un milieu modeste « où l’on n’est pas très sportif » , il prend sa première licence à l’école de foot de V.A.

Il parcourt les cinq kilomètres à pied depuis son quartier du Poirier, à travers champs. Son idole : Joseph Bonnel, l’un de ses éducateurs, avec qui il évoluera plus tard sous le maillot de l’OM. Sous la houlette de Léon Desmenez notamment, il franchit les paliers un à un. La précision de sa fameuse « patte gauche » tape déjà dans l’œil des entraîneurs. Elle fera rapidement de lui un international français dans les catégories de jeunes. Problème : ses parents veulent qu’il devienne comptable. Il entre donc en apprentissage chez Usinor à Denain. Heureusement, l’usine sidérurgique lui accorde des créneaux pour aller s’entraîner au centre de formation de l’USVA. Première titularisation en professionnel à l’âge de 19 ans en 1968 contre Rouen. Mais Daniel a toujours le statut amateur et fait partie des équipes de France amateur et militaire. La carrière pro semble encore loin.

Sous la licence d’un autre joueur

Mais après deux saisons pleines avec les Rouge et Blanc, il revêt le prestigieux maillot ciel et blanc de l’OM. À la suite d’une histoire rocambolesque : en vacances d’été sur la Canebière chez Alain Maccagno, joueur de l’OM et coéquipier en équipe de France militaire, il se retrouve sur les terrains d’entraînement du club phocéen et se voit proposer par l’entraîneur de l’époque, Mario Zatelli, de disputer un match de la coupe d’été. Et voilà comment il intègre l’équipe de l’OM sous la licence d’un autre joueur, Roland Merschel. Il est alors convoqué pour un match – télévisé celui-ci – contre Stockholm au Vélodrome où il éclabousse la rencontre de son talent. Zatelli convainc le jeune milieu de terrain valenciennois (20 ans) de signer à Marseille.

Il intègre alors une machine de guerre portée par le duo offensif Skoblar-Magnusson. Et animée par son idole Joseph Bonnel à ses côtés sur le rectangle vert. Le voilà champion de France à 21 ans. La saison suivante, à la suite d’un changement d’entraîneur, il est prêté à Angoulême. De retour en 1972-1973, il découvre la C1 sous la houlette de l’Allemand Kurt Linder. Il marque même contre la Juventus. Mais à cette époque, déjà, la valse des entraîneurs est une marque de fabrique marseillaise. Le club est instable, Leclercq joue tout de même l’UEFA en 1973-1974. À l’intersaison suivante, il subit l’orientation brésilienne (Paulo César-Jairzinho) prise par l’OM.

L’étoile d’or du meilleur joueur français

Retour dans le Nord en 1974 grâce à Henri Trannin, directeur sportif du RC Lens. « À un moment, ça finit par manquer, car je suis foncièrement nordiste et je ne peux pas m’éloigner trop longtemps » , confiait-il dans sa biographie. À Bollaert, il devient « le grand Blond avec une chaussure noire » en référence au célèbre film de 1972 avec un autre Valenciennois, Pierre Richard. Une totale communion s’instaure immédiatement avec le public artésien. Le Racing vient de remonter de Division 2 et se retrouve finaliste (malheureux) de la Coupe de France contre le grand Saint-Étienne, puis européen la saison suivante. Daniel Leclercq est replacé au poste de libéro où il excelle. Les médias nationaux le comparent à Franz Beckenbauer. Il obtient en 1977 l’étoile d’or du meilleur joueur français devant un certain… Michel Platini. Quand Lens redescend en D2 en 1978, il fait « acte de fidélité » et ramène les Sang et Or parmi l’élite.

Treize ans plus tard, en 1983, il boucle la boucle en revenant à son premier amour, l’USVA. Une petite saison puis, à 35 ans, il met un terme à sa carrière de footballeur. Sa reconversion ? « Surtout pas entraîneur » , raconte-t-il. Avec son épouse, Daniel reprend le café du stade Le Score en face de Nungesser, qu’il renomme Chez Daniel Leclercq. Et se retrouve à refaire les matchs de V.A, mal en point en D2, avec les supporters…

Borloo, Lemerre, Leclercq

Mais il est vite rattrapé par l’appel du terrain. En 1986, quand le président hennuyer, Bernard Moreau, lui demande d’assister le coach Léon Desmenez, il ne peut refuser, par amitié. Quelques semaines plus tard, c’est Jean-Louis Borloo, néo-président, qui vient le voir dans son café pour le propulser en première ligne. Avec l’aval de son ami Desmenez, le futur druide accepte. Histoire de courte durée cependant. Sous sa houlette, l’USVA se maintient puis repart en D2 en 1987-1988 avec une ambition d’accession. Les premiers matchs se passent mal, et Borloo décide de débarquer celui qu’il était venu chercher. Leclercq revend son café et se met à entraîner des petits clubs amateurs nordistes. C’est en 1993 que le directeur sportif du RC Lens, Jean-Luc Lamarche, lui propose de reprendre l’équipe C du club minier. Il obtient des résultats avec les jeunes, rejoint l’équipe réserve du Racing en CFA. Puis, en février 1997, Roger Lemerre, fraîchement nommé entraîneur principal des Sang et Or, veut le grand blond comme adjoint. Daniel Leclercq accepte. Opération maintien réussie, Lemerre s’en va, le président Martel songe à enrôler Guy Lacombe, mais revient sur sa décision et annonce à Daniel Leclercq : « Tu reprends les professionnels, c’est un ordre. »

Coup magistral de Gervais. Leclercq vire trois ou quatre joueurs de l’effectif, s’appuie sur des jeunes qui forgent l’identité du club (Sikora, Wallemme, Magnier, Dehu, etc.), fait venir Ziani et Drobnjak, et termine champion de France 1998 et finaliste (malheureux) de la Coupe de France contre le PSG. L’année suivante, il devient le premier entraîneur français à gagner à Wembley contre Arsenal et remporte la Coupe de la Ligue face à Metz. Deux trophées qui sont encore aujourd’hui les seuls qui garnissent la vitrine du club artésien fondé en 1906. Et tant pis si son improbable binôme avec JPP en 2008 a conduit le Racing dans le précipice (duquel il a d’ailleurs bien des difficultés à ressortir). Le peuple sSang et or ne retient que « les années de gloire, d’euphorie et de plaisir » procurées par l’avènement du druide, comme l’écrivent en ce triste jour les Red Tigers, principal groupe ultra lensois : « Daniel représente tout ce que nous aimons et défendons : la ferveur, le courage, la passion et l’humilité. »

« Quelles nuits, j’en ai souvent pleuré »

À Valenciennes, Daniel Leclercq demeure aussi « une icône » , « l’homme qui nous a ramenés dans le football professionnel » , écrivent ce jour les Ultras Roisters. Les supporters rouge et blanc n’oublieront jamais son retour, à la demande de… Jean-Louis Borloo, l’ancien maire, en 2003. Le druide accepte « pour rendre honneur à ce club et aux supporters après l’épisode marseillais » de l’affaire VA-OM en 1993. VA végète en National. En grand connaisseur de football et en fin technicien, Daniel Leclercq va dénicher des jeunes joueurs ou des revanchards comme Chelle, Savidan, Silvestri, Burle, Saez, Mater… « Je suis d’un naturel ambitieux, dans mes causeries je leur parle de Ligue 2 et même de Ligue 1, car j’ai toujours eu pour principe que, dans le foot, on ne connaît pas ses limites » , expliquait-il en 2016. On connaît la suite : le VAFC retrouvera son lustre d’antan en première division grâce à la plupart de « ses » joueurs.

En conclusion de son livre, en 2014, il s’adressait « aux supporters marseillais, lensois et valenciennois qui m’ont stimulé et glorifié. Quelles soirées, quelles nuits, j’en ai souvent pleuré car ils ont rempli mon cœur d’amour pour eux ! » Depuis ce vendredi 22 novembre 2019 au matin, ce sont ces mêmes supporters qui pleurent leur amour pour Daniel Leclercq.

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