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Daniel Cohn-Bendit : « Neymar, c’est l’irrévérence sublime »

Propos recueillis par Barnabé Binctin
9 minutes
Daniel Cohn-Bendit : « Neymar, c’est l’irrévérence sublime »

Difficile de passer à côté : ce mois-ci, on fête les 50 ans de Mai 68. Éternel adepte du contre-pied, Daniel Cohn-Bendit a forcément choisi ce moment pour sortir une « autobiographie footballistique », intitulée Sous les crampons... la plage, Foot et Politique : mes deux passions. L’ancien leader étudiant avait prévenu : il ne célèbrera pas la révolution des pavés. Sauf si c’est pour parler ballon, donc. Cet été, Daniel Cohn-Bendit sera chroniqueur dans « La Fanzone de LCI », l'émission diffusée de 18h à 20h et présentée par Patrick Chêne.

En mai 68, Manchester United remportait la Coupe d’Europe avec Bobby Charlton et George Best, buteurs en finale face au Benfica. Cinquante ans plus tard, c’est l’autre grand club rouge d’outre-Manche qui se retrouve en finale. Qu’en pense « Dany le rouge » : Liverpool a-t-il une chance de l’emporter ?Difficile de choisir entre Liverpool et le Real ! Ces dernières années, c’est comme s’il y avait une nouvelle règle, il faut changer le fameux dicton de Gary Lineker et le remplacer par : « La Ligue des champions, ça se joue à 22 avec un ballon, et à la fin, c’est le Real qui gagne. » Zidane est un entraîneur très malin, qui expérimente beaucoup et change souvent d’idées de jeu – comme en demi-finale, il fallait avoir le culot de mettre Vázquez arrière… Du coup, ça crée parfois une certaine instabilité, dont Marcelo est un peu l’incarnation : c’est un génie, mais à être un peu partout, il finit par ne pas être toujours là où il faut. En tout cas, la messe n’est pas dite : quand on a Mo Salah dans son équipe, on n’a pas perdu d’avance.

Dans votre livre, vous racontez que Mai 68 a contribué à révolutionner le football, par exemple en transformant le Bayern Munich de « club paternaliste en entreprise capitaliste moderne » . 68 a modernisé la société allemande et a défié directement ce « foot à la papa » .

On dit que l’Allemagne est le pays le plus stable au niveau politico-économique en Europe, mais c’est aussi le cas au niveau footballistique : les clubs sont rigoureux, aucun problème de fair-play financier, les stades sont pleins…

Avant, c’était un peu à la française, avec des présidents qui régnaient façon Nicollin à Montpellier, Tapie à l’OM ou Aulas à Lyon. Quand l’équipe d’Allemagne gagne en 1954, les joueurs étaient tous plus ou moins amateurs. Mais avec l’argent que commençait à engendrer le football et avec la création de la Bundesliga, il a fallu organiser autrement le sport. Très tôt, le football allemand s’est converti à une gestion très économique telle de petites entreprises, avec un contrôle assez sévère de la Fédération allemande de football. Au Bayern, un mec comme Uli Hoeness avait déjà une mentalité de patron moderne en tant que joueur avant de reprendre le club ensuite. On dit que l’Allemagne est le pays le plus stable au niveau politico-économique en Europe, mais c’est aussi le cas au niveau footballistique : les clubs sont rigoureux, aucun problème de fair-play financier, les stades sont pleins… Ce n’est pas seulement du foot-spectacle complètement déficitaire, qui a besoin d’oligarques ou de Qataris.

Vous parlez des « dérives du foot-business, conséquences d’une mondialisation mal maîtrisée » : vous qui avez tant pourfendu la bien-pensance, c’est pas un peu facile de faire la morale en tapant sur l’excès d’argent dans le foot actuel ? Un mec comme Aubameyang a cinq voitures de sport, tu peux me dire pourquoi ? Il est complètement déglingué dans sa tête.

Un mec comme Aubameyang a cinq voitures de sport, tu peux me dire pourquoi ? Il est complètement déglingué dans sa tête.

Dire qu’il y a trop d’argent dans le foot chez les jeunes, c’est pas être moralisateur, c’est un constat. Moi, je plaide pour la régulation de la mondialisation, mais je suis pas contre. Il faut la même chose pour le foot. Platini avait raison quand il parlait du fair-play financier, mais il faut l’imposer. Il faut que Messi soit interdit de jouer s’il est condamné pour évasion fiscale, comme Cristiano Ronaldo ! Si on est révolté par Google et Amazon qui ne payent pas d’impôts, pourquoi ne le serait-on pas également avec les joueurs de foot ?

Et sur le plan du jeu, alors, il a changé le football ?À chaque période ses problèmes. Avant les joueurs marchaient, c’était moins spectaculaire. Aujourd’hui, une équipe comme le Barça, c’est extraordinaire. La paire Iniesta-Xavi, c’est à elle qu’on doit les grands moments du Barça et de l’équipe d’Espagne ces dernières années. Iniesta, c’est le Hamlet du foot. Il a une profondeur et une humilité absolument incroyables. D’ailleurs, la conférence de presse où il annonce qu’il part est à pleurer. Les joueurs en larmes, lui aussi, le staff… C’est fou de dire « je ne jouerai jamais contre Barcelone » . Bon, il va aller en Asie gagner un peu d’argent, pourquoi pas… Je ne dis pas que le foot était mieux avant, hein ! Ce Barça, c’est un peu l’Ajax 73 version 2.0, porté à son ultime dimension. C’est quand même Cruyff qui a un peu changé le football. En tant que joueur, il a permis l’émergence de l’Ajax et de la Hollande comme équipe nationale, la grande équipe de l’époque. Il y avait quelque chose de ludique dans leur jeu, une ouverture qui était dans l’air du temps et qui correspondait aussi à la révolution ludique de la fin des années 1960.

Et aujourd’hui, quel joueur anti-conformiste, provocateur et irrévérencieux, ferait le parfait héritier des valeurs de Mai 68 ? Neymar ?Neymar, je l’aime beaucoup, il se fout de la gueule de tout le monde, y compris de lui-même. Et sur le terrain, je suis tout à fait d’accord, c’est l’irrévérence sublime. Mais en dehors, c’est la cata. Le problème de ce genre de joueurs, c’est ces sortes de mafias familiales qui les entourent. Neymar, son père et ses frères ont fondé sur lui une véritable boîte à fric, avec dix bagnoles de course et que sais-je. Un mec comme Mbappé me paraît beaucoup plus sain dans sa gestion de carrière, je le trouve mieux structuré.

Côté entraîneur, on aurait pu penser à Mourinho, lui qui a cassé les codes de la profession, mais vous le détestez et le jugez « arrogant et détestable » …

Mourinho, sa réputation est surfaite. En fin de compte, qu’est-ce qu’il a gagné ?

Il est méchant et imbu de lui-même, c’est ça que je n’aime pas. Klopp aussi est anticonformiste, et surexcité, mais il n’est pas méchant. Mourinho, sa réputation est surfaite. En fin de compte, qu’est-ce qu’il a gagné ?

Plusieurs grands championnats et quelques coupes d’Europe, peut-être ?OK, il a gagné la Ligue des champions avec l’Inter de Milan (et avec Porto, N.D.L.R.), mais c’était un casse incroyable ! Il est capable de faire un hold-up, c’est vrai, mais son jeu n’a rien de fascinant. Je ne dis pas qu’il n’est pas efficace, mais ce n’est pas un personnage qui m’emballe. Il n’y a qu’à voir son rapport avec Wenger…

Justement, Arsène Wenger est un peu le plus allemand des entraîneurs français. Comme vous avez été le plus allemand des politiques français… Pas trop triste de son départ d’Arsenal ?C’est un peu normal, chaque chose a son temps. J’aime beaucoup Arsène, et j’ai été fasciné par l’Arsenal de Thierry Henry, Vieira et consorts à la grande époque, quand ils dominaient le championnat d’Angleterre. Mais c’est très difficile de rénover quelque chose, et il n’a pas su le faire. Ça se voit avec le jeu d’Arsenal, les deux-trois dernières années montraient bien que c’était une histoire qui se terminait. Il faut savoir tourner la page et partir au bon moment, c’est pour ça que je suis parti du Parlement européen après vingt ans : il faut partir au moment où les gens veulent que vous restiez. Et pas après où on finit, comme c’est le cas pour Arsène, par se dire qu’il aurait pu partir un peu plus tôt.

En 68, vous étiez contre le pouvoir et aujourd’hui, vous êtes à ses côtés avec Emmanuel Macron, dont vous dites qu’il est le « Zidane de la politique » . À la seule différence peut-être que s’il met les gens dans la rue en ce moment, ce n’est certainement pas pour chanter sur les Champs. Mais qui ne met pas les gens dans la rue en France ? Quand Mitterrand est élu et qu’il fait la réforme de l’école privée, il met plus d’un million de gens dans la rue. Et ceux qui sont descendus dans la rue contre le mariage pour tous, ils étaient nombreux aussi. Des gens dans la rue en France, ce n’est pas la démonstration de quelque chose de bien ou de mal. En stratégie politique, comme Zidane a porté l’équipe de France en 1998, Macron a porté cette campagne à des sommets qu’on n’imaginait pas. C’est ce qu’on appelle « le casse du siècle » : personne ne pensait qu’il pouvait gagner l’élection présidentielle. Tout comme Zidane qui va peut-être gagner trois Ligue des champions d’affilée pour commencer sa carrière d’entraîneur. Quand il a repris le Real de Benítez, personne n’aurait pu croire un truc pareil !

L’autre point commun entre les deux hommes, c’est le lien à l’OM.Je me suis foutu de sa gueule sur l’OM, mais il m’a dit « ça, c’est mon enfance » : il avait 13 ou 14 ans quand c’était l’OM de Waddle. Et ça je comprends, c’est vrai qu’on reste fidèle à l’équipe de son enfance.

Emmanuel Macron va-t-il aller à la Coupe du monde en Russie ?Je ne sais pas, je n’espère pas. Peut-être si on va en finale. Ou même s’il y a une demi-finale face à l’Allemagne. Mais je défends un boycott politique : il ne faut pas que les politiques y aillent. Et j’espère qu’il y aura des manifestations pour défendre les droits humains : on pourrait imaginer qu’une équipe s’entraîne avec un T-shirt disant « liberté pour toutes les orientations sexuelles » , en russe.

Et alors le foot, de gauche ou de droite ?Le foot est de gauche si la philosophie qu’il y a derrière est de marquer plus de buts qu’on en encaisse. Et il est de droite si on considère que pour gagner, il ne faut pas encaisser de but. Ça, c’est le catenaccio.

On peut aussi considérer le catenaccio comme un « foot du pauvre » , celui qui rend possible une certaine égalité face à plus fort que soi, en rectifiant un déséquilibre initial, à la façon des grandes épopées amateurs en Coupe de France… Sauf que le catenaccio, à l’époque, c’étaient les riches du foot.

De toute façon, en foot, ce qui est extraordinaire, c’est qu’on peut théoriser tout et son contraire.

Faut pas se foutre de ma gueule ! L’Inter de Milan, ou l’AC Milan, c’étaient pas les pauvres… Le catenaccio n’a pas été inventé à Brescia ou que sais-je. Mourinho, quand il utilise le catenaccio avec l’Inter de Milan, c’était loin d’être l’équipe la plus pauvre. C’est une philosophie de la vie qu’il y a derrière le catenaccio. Évidemment, personne n’ira reprocher à Calais ou aux Herbiers de se mettre à onze derrière, avec deux bus et trois camions devant leur but. Mais c’est autre chose. De toute façon, en foot, ce qui est extraordinaire, c’est qu’on peut théoriser tout et son contraire.

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