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Damaris Egurrola : agent double
Née aux États-Unis d’un père basque et d’une mère néerlandaise, Damaris Egurrola va affronter ce vendredi le pays qui l’a vue grandir : l’Espagne. Internationale avec la Roja le temps d’un match amical, elle a depuis basculé du côté oranje de la force et a des comptes à régler.
Si Marcelo Bielsa avait pour coutume d’espionner ses futurs adversaires, Andries Jonker lui n’aura pas besoin d’envoyer ses sbires dans le camp espagnol. La taupe est déjà dans ses rangs. Le coach néerlandais n’hésite d’ailleurs pas à prononcer le nom de Damaris Egurrola en conférence de presse, lorsqu’il apprend que les Pays-Bas affronteront la Roja : « Elle a joué avec toutes les joueuses espagnoles. Cela nous aidera beaucoup, je lui parlerai ! » L’actuelle milieu défensive de l’Olympique lyonnais, 23 ans, a en effet un sacré CV avec les sélections des jeunes espagnoles : finaliste de l’Euro U17 en 2016, vainqueure de l’Euro U19 en 2017 (une victoire 3-2 face à la France), finaliste de la Coupe du monde U20 en 2018 à Vannes… Avec le numéro 6 de la Rojita dans le dos, elle enchaîne les titularisations aux côtés d’Ona Batlle, Misa Rodríguez, Aitana Bonmatí ou encore Cata Coll, toutes présentes dans l’effectif espagnol pour cette Coupe du monde.
Tension dans la Vilda
Pourtant, c’est bien avec son maillot oranje que la native d’Orlando en Floride entrera sur la pelouse du Sky Stadium de Wellington. Elle qui avait le choix entre trois nationalités sportives, étant née aux États-Unis d’un père basque et d’une mère néerlandaise, a préféré les Pays-Bas, fruit d’un « choix » un peu contraint. Celle qui a grandi à Guernica et fait ses gammes dans les rangs du très local Athletic Club a démarré sous la tunique espagnole un soir de mai 2019, dans une large victoire 4-0 contre le Cameroun. Puis plus rien. Elle n’est pas convoquée par Jorge Vilda, déjà sélectionneur espagnol à l’époque, pour la Coupe du monde française en 2019. La gamine, considérée comme un joyau du football féminin espagnol et en passe de rallier le FC Barcelone, s’impatiente. La rumeur court qu’elle pourrait décider de rejoindre les Pays-Bas ou les États-Unis, qui espèrent profiter de la situation. Sur le point de laisser filer ce talent que les autres grandes nations s’arrachent, le coach espagnol rejette la faute sur la joueuse en conférence de presse et assure que son staff a « essayé de l’appeler deux fois » et « de maintenir un contact téléphonique » sans succès.
« La dernière fois que j’ai été appelée, c’était pour ces matchs amicaux avant la Coupe du monde 2019 et il n’y a pas eu d’autres tentatives de l’équipe nationale espagnole. Personne ne m’a contactée, lui répond Damaris dans une interview pour El Confidencial. Je comprends qu’un entraîneur ait le droit de choisir ses joueurs, mais cela ne lui donne pas le droit de mentir. » Elle n’oublie pas notamment un épisode douloureux remontant à la finale de la Coupe du monde U20, où Jorge Vilda, qui venait observer la partie en tant que sélectionneur de l’équipe première, s’était permis de descendre des tribunes pour critiquer sa façon de jouer à la pause. « À ce moment-là, nous étions très performantes au milieu de terrain et nous prenions beaucoup de plaisir à jouer. Je me souviens être revenue sur le terrain en larmes. » Suffisant pour que la joueuse de 21 ans annonce qu’elle représentera désormais une autre sélection, fatiguée d’attendre sa chance avec le pays de son père.
« Quand ils ont joué contre l’Espagne, je soutenais les Pays-Bas »
Le hasard fait plutôt bien les choses puisque celle qui est devenue le transfert le plus cher du football féminin espagnol en étant envoyée à Lyon contre 100 000 euros, après seulement quatre mois passés à Everton, affronte les Portland Thorns en amical. L’équipe de NWSL est alors entraînée par un certain Mark Parsons, aussi sélectionneur néerlandais à mi-temps. Il lui vend le projet des Leeuwinnen puis, dans le vestiaire lyonnais, Daniëlle van de Donk se charge du reste. « Il voulait que je sois là et j’avais besoin de ça, raconte-t-elle. Lors de mes premiers jours avec les Oranje, il m’a constamment demandé comment je me sentais, si je me plaisais, si je m’intégrais bien dans le groupe. Cela m’a donné confiance, y compris sur le terrain. » Depuis, Damaris Egurrola joue avec la sélection néerlandaise, qu’elle a rejointe officiellement le 8 avril 2022 lors d’un match contre Chypre (12-0) disputé à Groningue. Là où elle allait en vacances tous les étés avec sa mère.
« C’était très émouvant. J’étais très fière de jouer devant elle, confiait-elle à l’AFP en début de mois. Je me suis facilement adaptée malgré le style de jeu différent, la langue ou encore le fait d’avoir de nouvelles coéquipières. » La polyglotte – elle parle espagnol, basque, français et anglais – tente toujours d’ajouter le néerlandais à son CV, interdisant à sa famille hollandaise de s’adresser à elle dans la langue de Shakespeare. Ce qui ne l’empêche pas de compter déjà 20 sélections avec les Pays-Bas, avant une 21e toute particulière. Justifiant son choix dans une interview pour Forbes en 2022, Damaris clamait alors : « Petite, j’avais beaucoup de maillots des Pays-Bas pour les soutenir lors des Coupes du monde. Quand ils ont joué contre l’Espagne, je soutenais les Pays-Bas. » Ironie du sort, elle pourrait même connaître face à la Roja ce vendredi sa toute première titularisation en Coupe du monde, profitant de la suspension de van de Donk. Ses parents, et même son père l’ancien joueur professionnel de pelote basque, ont eux aussi fait leur choix avant ce choc : « Le drapeau néerlandais est accroché devant la maison depuis longtemps. Tout le village est derrière les Pays-Bas. Nous sommes au Pays basque. Ici, ils préféreraient voir un autre pays gagner que l’Espagne. »
Par Anna Carreau
Propos de la mère de Damaris Egurrola issus d'une interview pour RTV Noord