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Dalian Atkinson, la fureur de vivre

Par Clément Brasy, avec Raphaël Brosse
Dalian Atkinson, la fureur de vivre

À Metz, personne ne se souvient de lui. Auteur d’un passage éclair chez les Grenats à l’hiver 1996, Dalian Atkinson a en revanche laissé une trace bien plus visible à la Real Sociedad et, surtout, à Aston Villa. En août 2016, l’attaquant anglais est décédé des suites de coups portés par des policiers. Cinq ans plus tard, l’un des accusés a été condamné à huit ans de prison et, dans le temps additionnel de l’année 2021, la police britannique a présenté ses excuses à la famille du défunt. L’occasion de revenir sur ce drame faisant tristement écho au meurtre de George Floyd. Et d’évoquer la carrière d’un homme qui, apparemment, n’aimait rien plus que de croquer la vie à pleines dents.

Mieux vaut tard que jamais. Fin décembre 2021, les médias anglais révèlent que la famille de Dalian Atkinson a reçu un courrier signé de la main de Pippa Mills, chef de la West Mercia Police, au Royaume-Uni. « Un uniforme de police n’offre pas aux agents une immunité pour agir de manière illégale ou abuser de leurs pouvoirs », est-il notamment écrit. Il s’agit d’une lettre d’excuses, ni plus ni moins. Elle fait suite à un procès bouclé quelques mois plus tôt : celui de Benjamin Monk, reconnu coupable « d’homicide involontaire » sur l’ancien footballeur professionnel, tué dans la nuit du 14 au 15 août 2016.

Une décharge électrique de 33 secondes

Revenons d’abord sur les faits, détaillés pendant le procès. Lors de cette fameuse nuit de la mi-août, la police est alertée par des heurts constatés à Meadow Close, dans la ville de Telford, située dans le comté du Shropshire, à quelque 250 kilomètres au nord-ouest de Londres. Le voisinage constate la colère de Dalian Atkinson, 48 ans, qui se trouve à proximité du domicile de son père. L’ex-footballeur semble en proie à une crise de démence, potentiellement imputable à une consommation récente de drogue. Deux policiers sont mandatés pour intervenir sur les lieux, à savoir Benjamin Monk et Mary Ellen Bettley-Smith. Le premier fait usage de son taser à trois reprises, dont une décharge électrique de 33 secondes – bien au-delà des cinq secondes préconisées – et porte deux coups de pied au visage d’Atkinson, qui sont «  suffisamment puissants pour laisser des empreintes de lacets sur deux zones distinctes du front  », selon l’avocat de l’accusation. La seconde n’est pas en reste et frappe l’homme au sol à plusieurs reprises avec une matraque. La victime décède des suites d’un arrêt cardiaque pendant son transfert vers l’hôpital.

Mary Ellen Bettley-Smith et Benjamin Monk.

En Grande-Bretagne, les personnes noires sont deux fois plus susceptibles de mourir en garde à vue que les personnes blanches.

Même s’ils plaident la légitime défense, les deux agents sont immédiatement inculpés. Le procès se tient au printemps 2021. En juin, la Cour de la Couronne de Birmingham condamne Benjamin Monk à huit ans de prison pour « homicide involontaire dans l’exercice de ses fonctions » , ce qui n’était plus arrivé depuis 30 ans outre-Manche. Mary Ellen Bettley-Smith, elle, devra à nouveau se présenter face au tribunal avant de connaître son sort. Certes, aucune preuve ne permet de donner un caractère raciste à cette macabre bavure policière. Les militants de la cause antiraciste soulignent néanmoins la plus forte propension de la police britannique à faire usage de la force à l’encontre de la communauté noire. « Dalian Atkinson est un homme noir tué par la police. C’est un fait, déplorait peu après le drame Kevin Maxwell, ancien inspecteur de la police du Grand Manchester, et fondateur du mouvement Racism Ruins Lives. Black Lives Matter a pour but de faire prendre conscience de ce fait. Il est clair que nous ne connaissons pas toutes les circonstances de ce qu’il s’est passé, mais les décès de personnes noires en garde à vue sont un sujet de préoccupation. En Grande-Bretagne, les personnes noires sont deux fois plus susceptibles de mourir en garde à vue que les personnes blanches, et 37 fois plus susceptibles d’être arrêtées et fouillées par la police. » Comme un écho à une problématique bien connue de l’autre côté de l’Atlantique, et tristement illustrée quelques années plus tard par l’affaire George Floyd.

En dehors du terrain, Dalian avait deux centres d’intérêt : les voitures et les filles.

Gent féminine, gros bolides et vitesse de pointe

Avant, donc, de succomber aux violents coups portés à son encontre, Dalian Atkinson avait mené une carrière professionnelle haletante. Celle-ci commence à Ipswich, en 1985, où la vitesse de ce joueur offensif est unanimement reconnue comme étant son principal atout. « Il était très maigre, jouait en tant qu’ailier droit avec une vitesse exceptionnelle, et donnait l’impression que tous mes ballons étaient bons. Vous mettiez la balle devant lui, et il l’atteignait », confie Jason Dozzell, ami d’enfance de l’attaquant anglais. Michael Cole, l’un de ses anciens partenaires, le décrit comme « un talent brut, rapide et imprévisible, exubérant et amusant à côtoyer, qui, lorsqu’il s’appliquait, montrait de sacrées capacités ». Au début, les jeunes Dalian et Michael sont tous deux hébergés chez Shirley Crawford. Cette dernière garde en mémoire cinq années de cohabitation, de bons souvenirs et d’anecdotes, notamment concernant le fort intérêt de l’adolescent pour la gent féminine. « Dale, comme nous l’appelions, aimait les filles. Il était au téléphone tous les vendredis soir. Il devait avoir un registre de noms, et si celle qu’il appelait ne décrochait pas, il descendait tout le long de la liste », s’amuse-t-elle. « En dehors du terrain, Dalian avait deux centres d’intérêt : les voitures et les filles », abonde Cole. Avant d’ajouter : « Nous étions deux jeunes Noirs dans une région (les West Midlands) où il n’y en avait pas beaucoup… Je ne pense pas que nous aurions réussi à nous en sortir si nous n’avions pas été ensemble. Nous nous sommes aidés mutuellement à passer le cap des débuts. »

Un été, Dalian Atkinson débarque à la reprise en étant métamorphosé, affichant une carrure imposante, fruit d’un programme de musculation et de prise de poids. La puissance devient un nouvel atout à créditer à sa palette, sans pour autant entraver sa vitesse fulgurante. « Il avait quelque chose en lui quand il est revenu. Il voulait faire partie de l’équipe première », se souvient Cole. L’intéressé est récompensé en mars 1986, entrant en jeu lors d’une défaite à Newcastle (3-1). Deux ans plus tard, il claque ses deux premiers buts pour Ipswich à Barnsley (2-3) puis, en juillet 1989, s’extirpe de la D2 en s’engageant avec Sheffield Wednesday, formation de l’élite. Avec ses dix pions, l’avant-centre aide le club du nord de l’Angleterre à sauver sa peau en première division. À 22 ans, il est temps pour lui de quitter le pays. Atkinson devient ainsi le tout premier joueur noir à signer pour la Real Sociedad, qui vient récemment de rompre avec sa tradition de ne compter dans son effectif que des Basques.

Une légende de l’OM se cache sur cette photo.

Du fromage basque et un but pour l’histoire

Les supporters le surnomment affectueusement El Txipirón (le Calamar) pour sa technique de course languissante. Ils en gardent encore un souvenir impérissable. Pour ses performances sur le pré… mais pas que, l’Anglais étant avide de sorties nocturnes et de virées en grosses cylindrées. Oier Fano, un fan basque, se rappelle un événement survenu alors qu’Atkinson était convié à visiter une peña, où les buts inscrits sont récompensés en nature. Quand son compère John Aldridge reçoit un kilo de viande à chaque but, El Txipirón se voit offrir en remerciement un fromage Idiazábal. Un témoignage d’affection apprécié à sa juste valeur ? C’est ce qu’espèrent les généreux donateurs qui, en saluant chaleureusement l’attaquant au volant de sa Porsche au moment du départ, aperçoivent Atkinson balancer le fromage par sa fenêtre au premier feu rouge. Le palais du Britannique ne devait pas être assez fin pour se délecter de ce met raffiné.

Il a déjà été dit que Dalian Atkinson n’était pas un buteur prolifique pour Aston Villa, mais les buts qu’il marquait étaient souvent mémorables.

Un an après son départ, Dale renoue avec ses racines britanniques en rejoignant Aston Villa. Vainqueur de la Coupe des clubs champions en 1982, le club de Birmingham ne truste plus les premières places du classement lorsque naît la Premier League, en mai 1992. Pourtant, les Villans parviennent à se classer deuxièmes au terme de l’exercice 1992-1993, sous l’impulsion du duo Dean Saunders – Dalian Atkinson. Le 3 octobre 1992 est le jour de la consécration pour le numéro 10 de Villa, qui inscrit à la 77e minute d’une rencontre face à Wimbledon (2-3) le but de l’année 1992-1993, le premier de l’histoire de la Premier League.

Rédacteur pour la Villa Review, Stevie Green brosse le portrait d’un joueur ayant redonné la fierté à un peuple qui croyait ses plus belles heures révolues : « Il a déjà été dit que Dalian Atkinson n’était pas un buteur prolifique pour Aston Villa, mais les buts qu’il marquait étaient souvent mémorables. Sa force, sa vitesse et son attitude spectaculaire en ont fait un favori des fans. » Pour lui, Atkinson est une figure iconique de l’époque : « S’il n’a pas pu contribuer à l’obtention d’un titre de champion, il s’est assuré de jouer un rôle essentiel dans le retour du premier trophée à Villa Park depuis 1982. » Dalian Atkinson est en effet de la campagne victorieuse d’Aston Villa en Coupe de la Ligue anglaise, alors estampillée Coca Cola Cup, en 1994, au terme d’une finale mémorable, à Wembley, contre le Manchester United de Keane, Giggs et Cantona (3-1).

Barré par Kostadinov, zappé par les Grenats

Aux consécrations succède une cascade de blessures. À 27 ans, l’ancien buteur vedette tente de se relancer en Turquie, au Fenerbahçe. Il y pâtit d’une concurrence trop importante, dont celle d’un certain Emil Kostadinov. S’ensuit le fameux essai non concluant à Metz, à l’hiver 1996. Les supporters contactés ont totalement zappé le bref passage de l’Anglais sous le maillot grenat. Quant à Joël Muller, l’entraîneur de l’époque, il se souvient tout juste qu’il cherchait alors « un joker pour remplacer Mariano Bombarda ».

Il est mort dans la rue où il avait probablement l’habitude de jouer au football quand il était enfant.

« À partir de là, il a un peu perdu le fil. Quelques piges à Manchester City, aux confins de l’Arabie saoudite et de la Corée du Sud l’ont vu s’éloigner progressivement du jeu, pour finalement disparaître presque complètement. Il a néanmoins créé Players Come First, une agence de conseil pour les jeunes joueurs, les clubs et les agents », affirme encore son admirateur Stevie Green. La transition vers la « vie normale » est rude pour Atkinson, qui a du mal à s’adapter à l’après-football, ce que corrobore Jason Dozzell, dévasté par la mort de son ami : « Il n’avait personne à qui parler à l’époque, et c’était un peu embarrassant pour lui d’aller se confier à quelqu’un pour exprimer ses problèmes. J’ai entendu dire qu’il était déprimé. Il est mort dans la rue où il avait probablement l’habitude de jouer au football quand il était enfant. »

Pléthore d’hommages suivent l’annonce de son décès, de son ancien coéquipier Dwight Yorke en passant par le consultant vedette Gary Lineker, se souvenant des principaux faits d’armes d’un homme jovial et souriant, signe que le palmarès n’est pas la seule variable permettant de mesurer la trace laissée par un sportif. « C’est la principale raison de se souvenir de lui, note Stevie Green. Pas les buts, ni ce qu’il a fait sur le terrain. Les témoignages de ses anciens partenaires en disent long, et si vous parcourez les nombreux « inside » sur YouTube, vous êtes sûr de le voir avec un grand sourire, qu’il utilisait à son avantage pour draguer les filles au bar. Si Atkinson n’est pas resté longtemps à Villa(1991-1995, NDLR), il y est resté assez longtemps pour passer un bon moment. Je ne l’oublierai pas de sitôt, et j’espère qu’aucun d’entre vous ne l’oubliera non plus. »

Dans cet article :
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Par Clément Brasy, avec Raphaël Brosse

Propos de Joël Muller recueillis par CB, ceux de Kevin Maxwell issus du Guardian, ceux de Jason Dozzell, Michael Cole et Shirley Crawford de la BBC et ceux de Stevie Green de SB Nation.

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