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Daisuke Matsui : « Ce dont j’ai envie, c’est de retourner en France »
Le mois dernier, Daisuke Matsui a mis un terme à sa carrière professionnelle, à l'âge de 42 ans. Depuis son domicile dans le centre-ville de Tokyo, le milieu passé par Le Mans, Saint-Étienne, Grenoble et Dijon revient, entre autres, sur sa jeunesse, sa longue aventure avec la France et ses ambitions. Entretien en français LV1.
Cela fait douze ans que tu as quitté la France, mais tu gardes une bonne cote de sympathie dans l’Hexagone. Comment l’expliques-tu ?
Disons que par rapport aux autres joueurs, j’étais original ! (Rires.) Je pense avoir grandi grâce à la France et ses supporters. Les fans m’ont beaucoup soutenu et apprécié, c’est cette bonne relation sur le long terme qui m’a permis de maintenir un lien d’affection avec ce pays. À 15 ans, j’avais même passé un essai pour intégrer le centre de formation du Paris Saint-Germain. Tout s’était bien passé, j’avais même eu une offre, mais je n’ai pas donné suite et j’ai décidé de rester au Japon. Et quelques années plus tard, j’ai pu accéder à ce championnat où j’ai passé de très bons moments.
Tu viens de mettre un terme à ta carrière professionnelle à 42 ans. Au total, cela fait 24 années de carrière en tant que footballeur professionnel. C’était quoi, ton secret pour durer ?
Déjà, nous avons un modèle de longévité au Japon avec Kazuyoshi Miura (actuellement attaquant de l’UD Oliveirense à 57 ans, NDLR). C’est la référence ultime, même s’il y a eu d’autres joueurs avec une longue carrière. Ces parcours m’ont inspiré, c’est certain. Ensuite, j’ai eu la chance de ne pas connaître de grosses blessures, et cela m’a grandement aidé pour arriver à maintenir un certain niveau de jeu. Il y a aussi la nutrition, mais également le sommeil. C’est une hygiène de vie à maintenir, cela devient de plus en plus important à partir d’un certain âge. Par exemple, je ne bois plus d’alcool. Tout cela m’a permis d’être apte à jouer.
Nous avons un peu perdu ta trace depuis ton départ de Dijon en 2012. Qu’est-ce qui a changé entre le Matsui de cette époque et le Matsui d’aujourd’hui ?
Quand j’ai quitté la France, mes caractéristiques étaient surtout axées sur le dribble. Mais plus tu avances en âge, plus il devient difficile de déstabiliser un adversaire avec des appuis forts. Mon jeu a donc évolué et plus je m’approchais de la fin, plus j’utilisais ma tête quand je jouais. Je suis allé jouer en Europe de l’Est, notamment deux fois en Pologne, mais en fin de compte, j’étais prêt à jouer dans tous les pays pour vivre de ma passion.
Tu as terminé ta carrière dans le pays où tu l’avais commencée, mais tu es un garçon de Kyoto. À quoi ressemblait ta jeunesse ?
Nous faisions partie de la classe moyenne japonaise. Mon père était antiquaire, nous étions trois enfants, moi et mes deux grandes sœurs. Quand j’étais petit, je jouais au foot dans la rue. Il n’y avait pas d’autre endroit pour pratiquer le football de manière simple. Parfois, nous allions au parc où je pouvais exprimer le football que j’aimais. Quand j’étais enfant, je lisais les mangas Captain Tsubasa (Olive et Tom, en VF) et j’observais des vidéos de foot. J’essayais d’imiter les gestes que je voyais comme le retourné, je jonglais dans les escaliers… Mon père m’a toujours aidé dans mes démarches, et ma famille m’a toujours encouragé dans mon parcours.
Tu es né en 1981, l’année où est sortie la série Captain Tsubasa. Qu’est-ce que ce que ce phénomène de société a apporté au football japonais ?
Cette série n’a pas uniquement apporté au football japonais, mais au football en général. Son apport est considérable, beaucoup de jeunes ont commencé à jouer grâce à ce dessin animé et se sont fait influencer par ce biais. Ensuite, la série s’est tournée vers l’équipe nationale japonaise, et son auteur (Yōichi Takahashi, NDLR) a anticipé beaucoup de choses sur l’avenir de la sélection. Aujourd’hui, on peut en parler comme d’un visionnaire. Désormais, c’est un héritage intergénérationnel. Personnellement, j’étais plutôt fan des livres que de la série qui est venue plus tard.
Tu as bien un personnage favori, non ?
Bien sûr, c’est Tarō Misaki (Ben Becker, en VF). Il était indispensable à la Newteam, car il faisait souvent la dernière passe avant le but. Sans les dribbles et les passes de Misaki, Tsubasa n’aurait jamais marqué autant de buts.
Avant le foot, il y avait le base-ball. Comment t’est venue cette envie de changer ?
J’allais souvent au batting center avec mon père, où je prenais une batte et je me mettais en position jusqu’à ce que la balle soit lancée automatiquement. Parfois, nous ne prenions que le gant et nous nous entraînions à faire des passes. Mais au Japon, il faut savoir que les sports se pratiquent beaucoup à l’école. Dans mon école, il n’y avait pas d’équipe de base-ball. À partir du CE2, un ami m’a parlé du football et m’a proposé de m’inscrire dans le club où il jouait. Tout a commencé comme ça.
Quels étaient tes modèles chez les pros à l’époque où tu jouais à Kyoto ?
Dans ma chambre, j’avais un poster de Maradona, mais il y avait un joueur que j’adorais par-dessus tous les autres, c’était Dragan Stojković. J’aimais bien sa conduite de balle, ses dribbles. J’essayais de l’imiter dans sa gestuelle et sa technique. En ce qui concernait les clubs, je n’avais pas de club favori en particulier. En revanche, je me souviens qu’après mon passage en France, j’avais envie de jouer dans un grand club comme Paris ou Marseille.
En parallèle de tes débuts professionnels, tu as réalisé des études de management à l’université de Ritsumeikan. As-tu eu l’impression que les centres de formation au Japon possédaient un temps d’avance sur la France dans l’accompagnement scolaire ?
Non, il n’y avait pas photo : le Japon avait énormément de retard par rapport à ce que pouvait proposer la France. Aujourd’hui, l’écart commence un peu à se réduire, mais en matière d’infrastructures, la France reste un modèle mondial. Ce que j’ai ressenti, c’était la quantité de talents qu’il pouvait y avoir chez les jeunes footballeurs français. Et finalement, c’est cette ressource très importante qu’il manque au Japon. La formation que j’avais faite en management à l’époque n’avait pas été très utile, car j’étais concentré sur ma carrière, je n’allais pas beaucoup à l’université. En revanche, j’ai beaucoup appris directement sur le terrain depuis la France, et je compte bien utiliser ce savoir-faire pour tracer mon propre chemin. Je souhaite obtenir un diplôme d’éducateur et me dédier à la formation des milieux de terrain, des dribbleurs. Je veux me spécialiser dans ce domaine, car je peux enseigner mes aptitudes, notamment dans le duel en un-contre-un.
Ce sont les Jeux olympiques d’Athènes de 2004 qui t’ouvrent les portes de l’Europe. Tu es repéré par la Lazio, Le Mans et le Grenoble Foot 38. Pourquoi avoir choisi le MUC72 ?
La saison d’avant, Le Mans avait connu sa première saison en Ligue 1, mais ils sont directement redescendus la saison suivante. Mon plan de carrière, c’était de signer dans un club de Ligue 2 d’abord, pour m’acclimater à ce tout nouvel environnement. Je savais que Le Mans avait un peu plus d’expérience que Grenoble à ce niveau, donc j’ai choisi Le Mans.
Si tu devais choisir un seul but parmi ceux que tu as marqués en France, lequel choisirais-tu ?
Je pense évidemment à celui contre l’AS Monaco à Louis-II avec la talonnade dans les airs. Celui-là, il est magnifique. Je ne le reproduirai jamais. En plus, c’était le cadre parfait pour le faire, car j’aimais beaucoup le Monaco de cette époque et j’aurais aimé qu’ils me recrutent. Je ne sais plus s’ils avaient parlé de ce but au Japon, mais j’ai le souvenir d’avoir reçu des félicitations en France, où ils m’avaient d’ailleurs mentionné parmi les plus beaux buts de la saison en Ligue 1.
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Quand tu vois le championnat de France que tu as connu, quelles sont les différences avec celui d’aujourd’hui ?
Je regarde les matchs qui passent à la télé depuis le Japon, notamment ceux du PSG. Mais Le Mans, Saint-Étienne ou Grenoble ne sont plus en Ligue 1, donc ils ne sont pas retransmis et ça devient difficile de les regarder ! (Rires.) En revanche, je m’informe grâce à mes compatriotes. J’ai pu discuter longuement avec Eiji Kawashima (gardien du RC Strasbourg, NDLR). Quand il m’explique qu’ils font maintenant très attention au système contre lequel ils jouent, que ce soit des défenses à trois ou à quatre… Honnêtement, nous n’étions pas aussi pointilleux à mon époque. Maintenant que ma carrière est passée, je vais pouvoir me concentrer pleinement sur la Ligue 1. D’ailleurs, il est possible que je commente des matchs depuis le Japon. Quand je vois Ito et Nakamura à Reims, Minamino à Monaco… Il y aura des opportunités pour suivre tout cela.
Tu aurais pu jouer au PSG à un moment de ta carrière…
C’est vrai. Il y a eu cet essai dans mon adolescence, mais aussi quand j’ai dû choisir entre l’AS Saint-Étienne et le Paris Saint-Germain. Le PSG me voulait, le club m’avait laissé le temps de la réflexion pour signer. Seulement, Paris était dans le bas du classement. En parallèle, Saint-Étienne avait aussi fait une offre, le club avait un meilleur classement, mais demandait une réponse beaucoup plus rapide. J’ai choisi Saint-Étienne, c’était une question de timing.
Après ta saison à Sainté, tu rejoins le GF38. Malheureusement, tu subis la crise économique d’Index Corporation et la descente du club en Ligue 2. Avec le recul, est-ce que ce choix t’a empêché de poursuivre durablement ta carrière en France ?
J’ai adoré vivre à Grenoble, et l’accueil des supporters m’a vraiment touché. Le fait que la société mère n’ait pas pu redresser la barre économiquement, c’était un crève-cœur. Dans ce domaine-là, j’ai des regrets, car je pense que le club avait un potentiel pour rester de manière durable en Ligue 1, il y avait l’environnement adéquat pour réussir dans l’élite française. Et puis en fin de compte, à la fin de mes années de contrat avec le GF38, j’ai quand même pu signer à Dijon pour une dernière expérience en France.
Tu es parvenu à t’exprimer très rapidement en français à ton arrivée au Mans. Aujourd’hui, tes successeurs comme Minamino, Ito ou Nakamura utilisent l’anglais. D’après toi, pourquoi ?
Ce n’est pas bien qu’ils ne parlent pas français ! Ils devraient s’y mettre comme j’ai pu le faire. Si je joue en France, je fais le nécessaire pour apprendre le français… Maintenant, l’utilisation de l’anglais peut s’expliquer pour Minamino, Ito ou Nakamura qui ont évolué dans d’autres pays avant. Peut-être qu’ils n’ont pas l’occasion d’apprendre la langue ou peut-être que le championnat de France devient trop international. En tout cas, quand je les entends parler anglais, je me dis : « Attends, mais il parle quelle langue ? » (Rires.)
Au dernier Mondial, la sélection japonaise a vaincu lors du premier tour l’Espagne et l’Allemagne, deux nations déjà sacrées championnes du monde. Qu’est-ce qu’il manque au Japon pour atteindre le dernier carré de cette compétition ?
Déjà, il faut commencer par bosser nos séances de tirs au but ! (Rires.) Nous avons le même souci que l’Angleterre, nous perdons quasiment tout le temps dès qu’il faut passer par cette étape, donc il faut s’entraîner dans cet exercice. Ensuite, quand je compare avec la France, il y a toujours un manque d’expérience dans les matchs à élimination directe, là où la pression est plus forte. Enfin, plus nos joueurs évolueront régulièrement dans les grands clubs des championnats européens, plus nos chances de bien figurer au Mondial seront importantes, car nos footballeurs seront habitués à partager le vestiaire avec les meilleurs joueurs du monde.
Tu as terminé ta carrière internationale sur le titre de champion d’Asie en 2011. Est-ce que c’est le souvenir dont tu garderas le plus ?
Mon plus grand souvenir international reste le Mondial 2010, et plus particulièrement la passe décisive que je fais contre le Cameroun. Malheureusement, nous perdons contre le Paraguay en huitièmes de finale, mais cela reste le souvenir qui me vient tout de suite en tête. Avec moi, c’est toujours une question de dribble et de passe.
De quoi sera faite ton après-carrière ?
C’est toujours difficile de prévoir l’avenir. Ce dont j’ai envie maintenant, c’est de retourner en France pour retrouver mes anciens clubs, mes amis et tous ces gens qui m’ont soutenu. Ce serait une manière de les remercier.
Propos recueillis par Antoine Donnarieix
Entretien réalisé avec Koji Kuriki, traducteur.