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D-Day à Rio, de Copacabana à la favela Chapéu Mangueira

Par David Robert avec FA, JB et SR
5 minutes
D-Day à Rio, de Copacabana à la favela Chapéu Mangueira

Reportage à Rio, à l'occasion du match inaugural Brésil-Croatie (3-1), entre manifs tuées dans l'œuf, touristes sages comme des images, et favelas en feu.

Tout avait démarré pour le mieux. Un bus qui dévale les pentes de Santa Teresa à tombeau ouvert, dans le bruit des freinages brutaux et des changements de vitesse intempestifs, pour déverser sa surpopulation toute de jaune vêtue aux portes du métro Gloria. Quelques stations et des milliers de voyageurs supplémentaires plus loin, voici Copacabana. Changement d’ambiance : les maillots jaunes habillent désormais l’internationale des touristes venus se rassembler vers la plage la plus célèbre de Rio, là où les autorités ont installé la « fan fest » et l’écran géant censé montrer les premiers exploits de Neymar, contre la Croatie, dans le match d’ouverture de la Coupe du monde.

Il est bientôt 17h heure locale, le match va démarrer dans une ambiance de kermesse qui tient davantage de Paris-Plage que d’une compétition de football. Il y a là des Argentins, qu’on annonçait belliqueux, mais qui se font prendre en photo par des jeunes Brésiliennes ; des Français en maillot 98, qui attendent le coup d’envoi allongés dans des chaises longues sur le sable en lisant la presse de leur pays ; des Mexicains, débarqués avec leur sens inné du déguisement baroque ; des Équatoriens, des Chiliens, des Anglais ; et des Américains, Australiens, Néo-Zélandais, davantage venus passer du bon temps dans ce qu’on leur présente depuis toujours comme le « pays du football » que pour regarder un match de Coupe du monde.

Quelques filles agitent leurs fesses siglées « Brasil » sous le nez des touristes, des types passent avec des plateaux de caïpirinhas déjà prêtes à la main, un groupe d’Américaines demande combien de temps dure une mi-temps : même au Brésil, la « fête du football » tient désormais plus de la fête que du football. Une marche anti-Mondial tente bien de durcir le ton, en passant exprès devant l’immense écran géant au moment précis où, à São Paulo, les vingt-deux joueurs donnent le coup d’envoi du Mondial. Mais en vain : les protestataires sont moins nombreux que les journalistes venus se payer un petit frisson inaugural (ils arborent fièrement l’intégrale « masque à gaz, gilet pare-balle et casque bleu » ), et leurs cris sont couverts par le bruit des trois hélicoptères qui patrouillent entre les nuages noirs et la cime des palmiers, donnant à la scène un petit air de Saïgon 1975. Début de match : quelques frissons, puis, sitôt l’égalisation de Neymar acquise, plus rien. La foule, réunie en petits groupes d’amis, ne pousse pas les siens, ou si peu. Dean, un Australien en chapeau et débardeur, s’étonne : « Je viens de me faire engueuler par un Brésilien parce que je demandais aux gens autour de moi de se lever pour regarder les matchs. Ils préfèrent regarder assis. Quand ils regardent, parce qu’ils passent plus de temps à discuter. Je n’aurais jamais cru ça du Brésil. »

Des billets dans le soutien-gorge

Vrai. Le Brésil – ou du moins Rio de Janeiro – n’était pas descendu à Copacabana hier pour lancer son Mondial. Il était resté chez lui, dans les hauteurs qui encerclent le rivage carioca. Par exemple à Chapéu Mangueira. Surplombant Leme, à l’extrémité est de la plage de Copacabana, les habitants de cette favela s’étaient donné rendez-vous au « Punto de encontro » pour « se faire » le match. Soit une buvette-terrasse abritée par des manguiers, au sommet d’un long escalier qui doit atteindre les 25% de pente pour grimper le flanc de la colline de Babylone. Au sommet, une vingtaine de personnes, des enfants, des mamans, des papas, des adolescents. Une communauté jaune et verte. On se met bien à la bière, au Johnny Walker et à la Churrascaria, le barbecue brésilien. Les pétards et les fusées s’envolent au-dessus de la végétation. Peut-être parce que le match ne se suffit pas à lui-même, les habitants ont organisé un concours. Dix reais pour avoir le droit de tirer un papier sur lequel ils ont inscrit le nom de tous les joueurs de la sélection. Celui qui détient le nom du premier buteur brésilien du match d’ouverture remportera le pot. Personne n’imagine qu’un Croate puisse être celui-là.

Alors que les joueurs sortent du tunnel de la Corinthians Arena, on entend les premiers « Vai Neymar » . Assis sur les premières chaises, quelques enfants chantent mollement l’hymne national, loin de la dévotion visible sur l’écran de la télévision. Une maman de 50 ans, qui prétend s’appeler Baby, fait tourner le plateau de Churrascaria pour lequel les habitants se sont cotisés. Les pétards continuent de craquer dans le ciel. Vite éteint par le but de la Croatie. Quelques « caralho » sortent des bouches empéguées par la graisse des saucisses grillées et le whisky. Adriana, 30 ans, trois enfants, un appareil dentaire et très légèrement vêtue, prévient : « Celui qui a tiré Marcelo n’a pas le droit de gagner. » Une adolescente crie : « Moi, j’en ai rien à foutre de cette Coupe du monde. » Adriana : « Si tu continues à faire de la merde, je vais demander aux flics de t’embarquer. » Un flic de la police militaire regarde le match appuyé contre un mur. Deux de ses collègues, pistolet à la main, patrouillent pépère dans les ruelles de l’une des premières favelas de Rio pacifiées – c’était en 2009. Égalisation de Neymar, un DJ envoie un son, un « Brasil » qui semble avoir été créé pour servir de jingle à chaque but de la sélection. Adriana, qui avait tiré le nom du joueur barcelonais, monte sur les épaules de son homme, bouge les fesses et enfourne les billets du concours de pronostics dans son soutien-gorge. 1-1 à la mi-temps. Henrique n’est pas inquiet. « Ils ont été nerveux pendant dix minutes, après ils se sont détendus. En deuxième mi-temps, tout va bien se passer, l’affaire est dans le sac. »

Pendant la mi-temps, toutes les filles, les femmes, les mères se mettent à danser sur la terrasse en faisant tourner leurs fesses comme un ventilateur. Retour des équipes. Entre légère alcoolémie et confiance absolue dans leur sélection, personne ne stresse. Quand l’arbitre japonais, Yuichui Nishimura, siffle le penalty de Neymar, personne n’entrevoit l’ombre d’une décision scandaleuse. Nouvelle salve de pétards, de fusées, de churrascaria et de whisky. Une odeur de poudre flotte dans la favela. Le troisième but d’Oscar provoque l’explosion. Adriana, qui a mis une banane entière dans son verre de Johnny Walker pour « donner du goût » , s’étonne : « Ah bon, il y a 3-1 ? » Son analyse du match ? « Croatia, caralho ! » Que la fête continue.

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