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CVC, le CSC de la LFP ?
La manne des droits télé s’annonce bien plus maigre que le fameux milliard escompté. Les clubs ont donc repris leurs calculettes. Et d’un coup, le deal conclu avec le fonds d’investissement CVC leur paraît beaucoup moins attrayant, voire handicapant. Une prise de conscience tardive ?
Le football professionnel français a toujours cultivé une perception très particulière de son économie et de son rapport au capitalisme. Son refus d’une fiscalité constamment jugée trop lourde, rognant sa compétitivité, n’a jamais empêché d’exiger davantage d’aides de l’État dès que les choses se gâtent (Covid, etc.). Récemment, l’échec de l’appel d’offres pour les droits télé nous a valu la vieille rengaine du « il faut soutenir le foot français », les yeux tournés vers un Canal + quasi accusé de trahison nationale (cocasse venant de clubs pour la plupart appartenant à des propriétaires étrangers, voire sous régime de la multipropriété). Personne n’avait pleuré – on avait parfois même souri – quand le groupe de Bolloré avait été le dindon de la farce du fiasco Mediapro. Désormais, le retour de bâton casse des dos dans les couloirs de la LFP. Il ne s’agit finalement que de commerce, et le fair-play ne caractérise pas vraiment le monde des affaires.
CVC, un sauveur inéquitable et à court terme
Le cas de CVC risque d’ailleurs d’en fournir une nouvelle et cruelle illustration. Pour mémoire, le fonds a apporté 1,5 milliard d’euros à la Ligue, en échange, car ils sont tout sauf des mécènes, de 13%, à vie, du résultat net (dont également les droits commerciaux et les droits des paris en ligne) de la société commerciale, valorisée alors à 11,5 milliards. L’opération faisait grand garçon pour la LFP qui donnait ainsi l’impression de rentrer dans la cour des grands du business footballistique. C’est ce que laissait entendre le communiqué triomphateur de la Ligue à propos d’un accord qui « vient renforcer l’ambition de la LFP de repositionner à moyen terme la France sur le podium mondial des ligues de football, tant sur le plan sportif que sur le plan économique ». Son président Vincent Labrune basculait sa fausse modestie dans le dithyrambique : « Ce projet constitue une étape majeure pour le développement du football français et une avancée historique pour le sport en France. » Avant de « remercier personnellement et au nom du football professionnel français le président de la République et son gouvernement pour avoir permis la réalisation de ce projet au niveau législatif ». Tous complices…
Sauf que les termes semblent désormais un peu moins excitants dans le contexte actuel, plutôt morose. Ils avaient pourtant bénéficié d’un beau consensus lorsque « le 18 mars 2022, l’Assemblée générale de la LFP réunie ce jour a(vait) approuvé à l’unanimité la création de la filiale commerciale et l’engagement ferme d’investissement par CVC d’un montant total de 1,5 milliard d’euros au capital de celle-ci, destiné à soutenir le développement de l’ensemble de l’écosystème du football français ». Désormais, certains, et surtout les « petits clubs », s’interrogent, anticipant la déception à venir des négociations de gré à gré pour les droits télé. En cause, les modalités de redistribution de cette somme, qui risque de devenir d’autant plus nécessaire. Ainsi, en montant en Ligue 1, le HAC n’a reçu que 1,5 million d’euros, deux fois moins qu’en restant en Ligue 2. Le Havre a donc envoyé deux assignations à la LFP, remettant en cause pour plusieurs motifs l’accord, et exigeant en référé la suspension du dispositif d’aide de CVC, en l’occurrence celle que doivent recevoir en 2024 les gros : PSG, OM, OL, Monaco, Lille, Rennes et Nice. Le tribunal judiciaire de Paris se penchera dessus le 28 novembre.
De fait, au-delà d’estimer dans quelle mesure la LFP a signé, précipitamment, un très mauvais deal, pressée de rassurer ses membres et d’oublier le mirage du milliard, c’est bel et bien l’incapacité du foot français à penser son développement économique qui se retrouve exposé au grand jour. Il semble persister une sorte de foi irrationnelle dans l’argent magique des droits télé, ou dans la certitude que toujours quelqu’un viendra, ou doit, éponger les déficits. La Bundesliga a su par exemple drastiquement réduire sa télédépendance. La seule réponse à l’échec de Mediapro semble être d’avoir cherché le prochain « sauveur ». CVC ne sera de la sorte qu’un énième épisode symptomatique, un bouc émissaire facile, sans véritable remise en question, quelle que soit l’issue de la procédure havraise.
Le Havre respire et étouffe MontpellierPar Nicolas Kssis-Martov