- Top 100 : les buts contre son camp qui ont marqué l'histoire
CSC inoubliables (1er) : Escobar, prénom Andrés
Dix jours après avoir marqué contre son camp au Mondial 94, le Colombien Andrés Escobar s'est fait assassiner sur le parking d'une boîte de Medellín. Vingt-cinq ans plus tard, le mobile n'est pas clair, mais une chose est sûre : le CSC n'y est pas étranger.
#1 - Andrés Escobar - 1994
États-Unis-Colombie (2-1), Coupe du monde, 22 juin 1994
John Harkes a repéré son coéquipier américain qui lève le bras à l’entrée de la surface adverse. Il centre du pied gauche au ras du sol, mais le défenseur colombien Andrés Escobar anticipe et coupe la trajectoire de la passe. Au lieu d’écarter le danger, le malheureux tacle le ballon dans son propre but, son gardien Óscar Córdoba est pris à contre-pied. Après sa défaite surprise d’entrée contre la Roumanie (1-3), la Colombie, qui s’avançait parmi les favoris de la compétition, vit une nouvelle désillusion dans ce deuxième match du groupe A du Mondial 94. On joue la 35e minute au Rose Bowl de Pasadena et les États-Unis mènent 1-0 contre la Colombie à la faveur d’un CSC d’Escobar.
La sœur d’Andrés regarde le match à la maison en famille. Dans le documentaire The Two Escobars, sorti en 2010, elle se souvient du moment fatidique : « Un de mes fils, qui avait neuf ans à l’époque, a crié : « Maman, ils vont le tuer« . Je lui ai dit : « non, mon trésor. On ne tue pas quelqu’un pour ça. Andrés est aimé en Colombie. » Je n’avais pas compris que mon fils exprimait ce que la Colombie était en train de vivre. » En 1994, le pays détient alors selon Amnesty International le plus fort taux de criminalité au monde.
Un samedi soir, en sortie de boîte
Dix jours après son CSC face aux États-Unis et une défaite 2-1 qui élimine précipitamment les Cafeteros de la Coupe du monde, Andrés Escobar, le capitaine de l’équipe nationale de football de la Colombie, se fait descendre sur le parking d’une boîte de nuit de Medellín, un samedi soir, à 3h 30 du matin. L’homme qui a tiré s’appelle Humberto Muñoz Castro. Il a vidé le chargeur de son calibre 38 dans la poitrine du joueur. À chacune des balles tirées, le meurtrier aurait crié « Gol ! » .
Humberto Muñoz Castro est alors le garde du corps des frères Gallón, deux gangsters notoires suspectés d’être les commanditaires de l’assassinat, mais qui n’ont pas été inquiété par la justice. Ces deux-là ont-ils donné l’ordre à Muñoz Castro de tirer pour se venger d’avoir perdu beaucoup d’argent « à cause » du CSC d’Escobar, après avoir parié sur la Colombie ? C’est une hypothèse.
Un ami de la victime, qui était avec lui ce soir-là, avance une autre hypothèse : Escobar se serait fait charrier en boîte par l’un des frères Gallón ( « Félicitations pour le but que tu as marqué » …), mais ne se serait pas laisser démonter. On l’attendrait ensuite à la sortie, l’embrouille aurait dégénérée, ce qui expliquerait pourquoi Humberto Muñoz Castro aurait défouraillé. Cette version est corroborée par le commandant de la police métropolitaine de Medellín de l’époque dans le documentaire The Two Escobars.
Andrés et Pablo, destins croisés
Dans les années 1960, le jeune Andrés a grandi dans une famille de la classe moyenne à Medellín. Enfant, il pouvait jouer au ballon avec ses potes du quartier de Calasanz du matin au soir. Décrit par sa sœur comme un ado « sensé et équilibré » , « il était plus que doué. Il incarnait la culture, la droiture » selon le profe Francisco Maturana, qui l’a lancé à l’âge de 20 ans en équipe première à l’Atlético Nacional. Deux ans après ses débuts, en 1989, le défenseur central remporte avec le club de sa ville la grande compétition de clubs du continent sud-américain. En finale retour de la Copa Libertadores, c’est même lui qui marque le premier tir au but d’une séance épique, marquée par les exploits des deux gardiens, et qui sacre l’Atlético Nacional face aux Paraguayens de Club Olimpia.
Le footballeur Andrés Escobar Saldarriaga n’a aucun lien du sang avec le célèbre Pablo Emilio Escobar Gaviria, mort sous les balles du « Bloc de recherche » de la police colombienne, le 2 décembre 1993. Le destin croisé des « deux Escobars » raconte l’histoire violente de leur époque en Colombie. D’un côté, le sanguinaire Pablo, le plus célèbre des narcotrafiquants colombiens. De l’autre, l’élégant Andrés, surnommé el caballero de la cancha (un « chevalier sur le terrain » ). Au tournant des années 1980 et 90, à une période où les narcos colombiens voyaient dans le football un moyen de blanchir l’argent du trafic, l’un était le boss officieux de l’autre au sein du club de l’Atlético Nacional. Et puis, les deux hommes ont été réunis par la mort à quelques mois d’intervalle.
Un jour, Andrés Escobar a dit ceci : « Dans le football, au contraire des combats de bêtes sauvages, la mort n’existe pas. Personne ne meurt, personne ne se fait tuer. Il n’y a que du plaisir. » Il est mort le 2 juillet 1994. Il avait 27 ans, cumulait 50 sélections en équipe nationale et devait signer cet été-là à l’AC Milan, champion d’Europe en titre.
Par Florian Lefèvre
À lire : le long et passionnant article « Vie et Mort du "Toque" » dans le SO FOOT #88, à retrouver aussi dans le SO FOOT hors-série Tactique.
À voir : le documentaire The Two Escobars, réalisé par les frères Jeff et Michael Zimbalist, sorti en 2010.