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Croatie, à qui profite l’épopée ?
Finaliste du Mondial russe, la Croatie réalise la meilleure performance de son histoire. Un succès qui pourrait prendre encore plus de poids dimanche soir en cas de victoire contre la France. Pour quelles retombées dans la société croate ?
En atteignant la finale de la 21e édition en Russie, la Croatie devient le plus petit pays à disputer une finale de Coupe du monde de football depuis l’Uruguay, vainqueur de l’édition 1950 au Brésil. Quatre millions de Croates vont donc croiser les doigts pour faire pleurer plus de 67 millions de Français en quête d’un deuxième titre mondial. À peine vingt-six ans après son indépendance, le pays balkanique confirme avec cette épopée russe qu’il est en avance sur tous ses voisins de l’ex-Yougoslavie, après avoir atteint le dernier carré – déjà contre la France – il y a vingt ans.
Loïc Trégourès, professeur à l’Institut catholique de Paris et spécialiste des relations entre football et politique dans les pays de l’ex-Yougoslavie, rejette l’idée que cette place de finaliste serait une victoire contre les rivaux serbes, car « les deux équipes ne se sont pas rencontrées dans le tournoi, et tout le monde sait que la Croatie est nettement plus forte » . Reste que la possibilité de voir la Croatie sur le toit du monde n’enthousiasme pas les supporters serbes : « Ils peuvent nourrir une pointe de jalousie en voyant des gens pas si différemment organisés qu’eux réaliser une telle performance. » Plus que la réussite croate, la vraie claque pour les Aigles blancs de Serbie est leur défaite contre la Suisse « avec les célébrations dont on a déjà trop parlé » …
« L’hyperpolitisation du football sous Franjo Tudjman, c’est terminé »
Pendant que les Serbes grimacent, les Croates ont le sourire. Mais pour Loïc Tregourès, le bénéfice dans la société croate se limitera au bonheur passager, à une hausse du moral et peut-être à un « léger baby boom dans neuf mois » . Quant aux espoirs de développement du tourisme ou de l’économie grâce à la nouvelle visibilité du pays, le spécialiste des Balkans ne s’enflamme pas : « Le tournoi n’a pas eu lieu sur place, donc il y a zéro retombée, et question tourisme, le potentiel est déjà exploité à fond. » Même la récupération politique – véritable sport national en France – sera limitée sur le sol croate. « Le temps de l’hyperpolitisation du football sous Franjo Tuđman est terminée, mais bien sûr au moment des élections, tu verras des clips de campagne avec Kolinda Grabar-Kitarović(la présidente de la République, N.D.L.R.)et son maillot, qui embrasse Dalić(le sélectionneur, N.D.L.R.), pour montrer qu’elle est proche du peuple. Mais ça ne change rien aux équilibres politiques qui se structurent sur d’autres enjeux et temporalités. »
Seul le crime paie
La Croatie pourrait vivre un été euphorique à une époque où son football est secoué depuis des mois par le scandale Zdravko Mamić, l’ancien boss du Dinamo Zagreb reconnu coupable de détournement de fonds sur différents transferts dont un concernant Luka Modrić. « Grâce aux résultats, toutes les magouilles autour de la Fédération vont redevenir inaudibles pendant un moment. Mamić a quand même financé la campagne et la fête d’anniversaire de la présidente ! Qui, en Russie, était accompagnée de Damir Vrbanović, le secrétaire général de la fédé, lui-même condamné à de la prison ferme en même temps que Mamić. Tout ça va être oublié un moment, alors que si la Croatie était sortie au premier tour, on serait revenu là-dessus. » Le grand nettoyage attendra que la fête soit terminée.
Par Nicolas Jucha
Propos de Loïc Tregourès recueillis par Nicolas Jucha