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Crivelli, l’autre Apache
Un physique de taureau, une tronche de catcheur, on le surnomme « l’Apache » en référence à sa queue de cheval, mais cela correspond aussi à son côté sauvage. Auteur de dix buts en Ligue 1 la saison dernière avec Bastia, Enzo Crivelli défend désormais les couleurs du SCO Angers. Portrait d’un mec qui ne triche pas avec l’effort.
Au rugby, il serait pilier. « Jeune, il n’était pas aussi grand, mais il était déjà super costaud. Il avait plus un physique de rugbyman » , s’amuse aujourd’hui Enzo Miglierina, l’un de ses meilleurs amis. Enzo Crivelli aime le combat en première ligne. Celui des hommes qui n’ont pas peur des coups, qui aiment en donner autant qu’en recevoir. À 22 ans, l’attaquant du SCO Angers n’est pas le plus technique des footballeurs. C’est un fonceur, un finisseur, un guerrier. Qui d’autre est aussi généreux dans l’effort ? En Ligue 1, presque personne.
Tous ses entraîneurs le disent : à chaque match, Crivelli lâche ses tripes pendant 90 minutes. « Il est à l’extrême de ce qu’il peut faire sur le terrain. C’est devenu un joueur atypique aujourd’hui, parce que l’être humain a du mal à se faire violence, note Francis Gillot, qui l’a lancé en pro à Bordeaux en 2013-2014. Souvent, quand on est jeune, on se fait discret. Enzo, ça ne le dérangeait pas de mettre des coups aux pros aux premiers entraînements. Il n’a pas peur, il fait ce que bon lui semble. » Quand l’attaquant s’engage dans une action, c’est sans retenue, « mais ce n’est pas de la méchanceté, c’est plus de la maladresse, précise Philippe Lucas, son coach en U19 chez les Girondins. En tant que coach, on préfère toujours devoir canaliser ce trop-plein d’énergie. On l’a vu lors du dernier match avec Angers… » Soit quand Crivelli a joué aux auto-tamponneuses avec Bryan Dabo, le 10 septembre dernier. Résultat : deux matchs de suspension.
Premier carton rouge en benjamin
De Rouen, sa ville natale, le jeune homme garde un penchant pour le rouge. « De temps en temps ! Bon, je parle des cartons hein, pas du rouge à boire, parce que ça, le vin, jamais ! » recadrait l’intéressé à SO FOOT en 2015. On parle d’un joueur expulsé pour la première fois en première année de benjamin. « C’était le même style de tacle que celui sur Jérémy Pied qui lui a valu un rouge à Nice, il y a deux ans » , se rappelle Enzo Miglierina, son pote d’enfance, à Antibes. À cause de son tempérament de feu, le gaillard a bien failli ne jamais remporter la Coupe Gambardella avec les Girondins, en 2013.
D’ailleurs, l’Apache avait pris soin de changer de coupe de cheveux après chaque qualification, comme pour montrer que chaque match était une nouvelle bataille à mener. « Une semaine avant la finale, on joue un dernier match de championnat sans enjeu contre Nantes, pose Philippe Lucas. Le gardien sort, Enzo va le découper en dehors de la surface. C’est un miracle s’il ne s’est pas fait expulser ! » Quelques mois plus tard, à l’Île-Rousse, en Coupe de France, Crivelli fait un aller-retour sur le banc pour sa première apparition en pro. Francis Gillot se souvient : « Je l’ai fait entrer en seconde période. Il a pris un carton jaune. Il ne se calmait pas, alors je l’ai sorti avant qu’il ne se fasse expulser. »
Cette fougue, presque sauvage, est ancrée en lui depuis tout petit. À dix ans, Enzo débarque d’Albi à Antibes. Patrice Rouillon, son entraîneur des U10 aux U12 à l’AS Fontonne, est tout de suite frappé par la motivation exacerbée du jeune garçon. Replacé avant-centre alors qu’il préfère les espaces
offerts par les ailes, Enzo devient vite obsédé par le but. « Souvent, à cet âge-là, on baisse la tête quand on perd. Lui, au contraire, il criait partout pour remobiliser ses coéquipiers » , raconte l’actuel directeur sportif du club azuréen. Devenu buteur en série, Enzo n’en oublie pas son goût pour le sacrifice collectif. « Je me souviens d’une finale d’un tournoi contre Nice, narre Patrice Rouillon. J’étais emmerdé, car j’avais deux blessés en défense, des fractures du poignet. J’ai mis Enzo défenseur et il a tenu la baraque ! » Ce jour-là, le club antibois s’inclinera seulement aux tirs au but.
Il faut dire que, si par malheur Enzo manque de hargne, il y a toujours quelqu’un derrière pour le booster : son père. « Son papa était très passionné, un mec formidable, qui faisait tout pour son fils. Il le poussait dans le bon sens, témoigne son ancien entraîneur. « Il le suivait partout, à domicile, à l’extérieur, dans les quartiers un peu chauds de Marseille, il s’en foutait. Et c’était un phénomène.(Rires.)On l’entendait sur le bord du terrain, il passait 90 minutes à crier partout, se souvient Enzo Miglierina. Il a tout transmis à Enzo : l’amour du foot, son fort caractère, cette envie de tout arracher, de tout prendre. » Si les deux hommes évoquent le père Crivelli à l’imparfait, c’est parce que « ce personnage » est décédé il y a maintenant cinq ans. Quelques jours avant le dix-huitième anniversaire d’Enzo, il succombe à un malaise cardiaque. « C’est forcément quelque chose qui l’a vachement touché. Il a su faire de ce malheur une force. Aujourd’hui, il se bat pour lui, pour le rendre fier comme s’il était encore là. »
« Des maillots Crivelli dans tout Antibes »
Dix ans après son départ d’Antibes, Crivelli revient encore le plus régulièrement possible dans sa ville de cœur, où sa famille vit encore. « Il était là pas plus tard que ce week-end » , précise l’autre Enzo. Très proche de sa famille, Crivelli aime se ressourcer sur la Côte d’Azur. « Il a les mêmes fréquentations, va boire des cafés dans les mêmes endroits. C’est une des vitrines de la ville d’Antibes » , explique son ami, quand son ancien coach assure qu’il y a « des maillots Crivelli dans tout Antibes » . « Au supermarché, quand il me croise, il me prend dans ses bras, il me fait la bise, il est très attaché à cet endroit » , prolonge Rouillon. En 2007, quand trois de ses potes filent à l’OGC Nice, Crivelli préfère l’AS Cannes. Il est temps de convertir sa rage en réussite.
Mais Enzo ne reconnaît plus son corps : il a contracté la maladie d’Osgood-Schlatter, une infection du genou. « Tu n’arrives plus à marcher ! J’ai vu des médecins qui m’ont dit qu’il fallait que j’arrête de jouer pendant quelques mois, tandis que d’autres me conseillaient d’arrêter le foot complètement… » , confie Crivelli. Mais le gaillard s’en sort et se lie d’amitié avec Jérôme Prior, également de la génération 1995. Les deux jeunes hommes au fort caractère se comprennent, passent leur temps libre ensemble, entre la plage de Mandelieu, les balades au centre-ville et les ravitaillements au McDonald’s. La complicité se ressent sur le terrain. « Dès que j’avais le ballon, je le cherchais automatiquement, c’était un réflexe, explique Prior, qui est pourtant gardien. À Cannes, on n’a pas remporté de titres, mais on a passé de supers moments. Il n’y avait pas énormément de moyens, le groupe était super, on partait en équipe de trente à la plage.(Rires.) »
Du yoga ou de la relaxation
Puis Franck Chaumin vient superviser Jérôme Prior pour les Girondins de Bordeaux. Le recruteur tombe sous le charme du gardien, mais également de l’attaquant de l’AS Cannes. Après une concertation avec Patrick Battiston, il décide de repartir avec les deux gamins dans les bagages. Prior intègre directement la CFA, tandis que Crivelli débute tranquillement chez les U19. Philippe Lucas, le coach des jeunes, fait alors la connaissance de ce gosse de 17 ans, aussi fonceur que Taz des Looney Tunes. Au bout de quelques semaines, il lui conseille même de faire de la relaxation ou du yoga. Alors ? « Je crois qu’il ne m’a pas écouté, éclate de rire le coach. Il n’est pas capable de rester en place, à la limite, il pourrait faire du kick-boxing… »
L’aventure se termine par une victoire en Coupe Gambardella. « En finale, on marque à la 87e, rembobine Philippe Lucas. À la 93e, Sedan a un dernier coup franc. Je me rappelle encore de son visage déterminé à faire un dernier effort pour défendre ! »
La saison suivante, la blessure de Guillaume Hoarau pousse Francis Gillot à scruter un renfort en équipe réserve. Crivelli lui tape dans l’œil. « Parmi ceux des équipes de jeunes, il est le seul à me faire bonne impression » , dit-il à l’époque. Crivelli attrape le train des pros. En 2015, il remporte le Tournoi de Toulon avec l’équipe de France U20, et décide l’année suivante d’aller chercher du temps de jeu en prêt. Direction le Sporting Club de Bastia. Le guerrier Crivelli et la furia corse étaient faits pour s’entendre.
Fait pour Bastia
« Le révélateur, c’est le premier match à Furiani. Il était galvanisé par l’ambiance, se remémore Gilles Cioni. Quand c’était tendu, Enzo ne s’est jamais dit :« Je vais pas me faire mal, je retourne bientôt à Bordeaux. » » À l’aise comme un lion dans l’arène bastiaise, l’attaquant guerrier plante sa dizaine de buts malgré une blessure aux ischio-jambiers (24 matchs de Ligue 1 en 2016-2017). « Je suis absolument certain que si on l’avait eu toute la saison, on se serait sauvés en allant chercher les trois points qui nous manquaient » , affirme Gilles Cioni.
Le Corse, qui continue l’aventure au Sporting en National 3, rejoue les adieux avec Crivelli après la défaite fatale au Vélodrome lors de la 38e journée : « Le lendemain, quand on a mis le pied à Bastia, on savait qu’il n’y aurait plus d’entraînement. Je le revois comme si c’était hier à côté du tapis à bagages de l’aéroport. Il était très touché par la relégation. Il est venu nous prendre dans les bras, Yannick(Cahuzac), Jean-Louis(Leca)et moi. Il nous a dit« Merci ». On lui a répondu unanimement« Non, merci à toi », parce qu’il n’a pas triché de la première à la dernière journée. » Cet été, Crivelli a fait le choix de quitter les Girondins pour trouver plus de temps de jeu au SCO Angers. Le plan de carrière ? Quel plan de carrière ? « Il ne se pose pas de questions, et on ne va pas s’en poser pour lui, lâche son nouvel entraîneur, Stéphane Moulin. Enzo ne gamberge pas, il ne réfléchit pas à où il sera dans quelques années. » Vivre le moment présent, à fond, comme toujours.
Par Kevin Charnay et Florian Lefèvre
Tous propos recueillis par KC et FL sauf mentions.