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Cristiano Ronaldo, Al-Nassr et l’appétit saoudien
La signature de Cristiano Ronaldo à Al-Nassr confirme les ambitions saoudiennes sur l’échiquier sportif, aux relents géopolitiques, en contre-offensive du modèle développé par le Qatar.
La fin de ce mois de janvier 2023 pourrait voir le football offrir un nouveau numéro de cirque. Durant sa tournée hivernale, reportée depuis deux ans en raison du Covid, le PSG devrait effectivement affronter Al-Nassr en match amical. Le Qatar contre l’Arabie saoudite, et en second plan, leurs ambassadeurs respectifs : Lionel Messi face à Cristiano Ronaldo. Suffisant pour alimenter le feu provoqué par la signature du Portugais à Riyadh, mais surtout confirmer les ambitions saoudiennes, à même d’emboîter le pas au modèle qatari, implanté depuis une décennie maintenant, et ce dès les lendemains du Mondial 2022 dans la péninsule voisine. Cette joute illustre également le rapprochement étatique, du moins en surface, de deux monarchies en froid depuis 2017. « Les rapprochements sont de façade. L’Arabie saoudite a choisi de faire profil bas, en acceptant la« réussite »du Mondial qatari, en envoyant même toute une délégation ministérielle à Doha. Pour mieux redorer son image et lancer son processus de développement par la suite », entame Raphaël Le Magoariec, membre de L’Équipe Monde arabe et Méditerranée (EMAM) à l’université de Tours. La victoire de l’Arabie saoudite devant l’Argentine en Coupe du monde en a d’ailleurs été une large illustration, puisque l’émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al-Thani, n’a pas hésité à s’afficher avec un drapeau saoudien sur les épaules.
Étape par étape
Passé la surprise de l’arrivée de Cristiano Ronaldo en Arabie, force est donc de constater que ce choix ne paraît finalement guère surprenant. La manne financière locale aidant, convaincre CR7 de rallier la Saudi Pro League s’est avéré moins difficile que prévu. « On ne parle pas d’Éver Banega ou Vincent Aboubakar, partis se faire plaisir au Moyen-Orient, poursuit Raphaël Le Magoariec. Avec Cristiano Ronaldo, l’Arabie saoudite a franchi un cap énormissime. Comme une onction sacrée, venue donner au pays la crédibilité nécessaire à ses projets. » Dans la lignée du processus entamé par Mohammed ben Salman. Le prince héritier a ainsi enclenché la seconde, au niveau rayonnement international, avec le football en tremplin d’envergure. Une posture logique, pour celui qui s’affirme en « modernisateur » d’un Royaume englué dans une piètre réputation. De légères réformes, concernant le droit des femmes notamment (autorisation de conduire, assouplissement du système de « tutelle » ), en dépit d’une réalité toujours aussi austère. Derrière ces micromouvements sociétaux, l’établissement d’un soft power lié au sport a donc fait office de nouvelle vitrine, siglée MBS.
Première étape, il y a un peu plus d’un an désormais, avec le rachat de Newcastle United. Porté par le PIF (Public Investment Fund), le fonds d’investissement étatique saoudien, dont la fortune est estimée à 400 milliards de dollars, cette acquisition est ainsi venue grignoter le territoire exclusivement occupé par les Émirats arabes unis (City Football Group) et le Qatar (QSI). « Il faut tout de même préciser que les Émirats arabes unis ne jouent pas dans la même catégorie que l’Arabie saoudite ou le Qatar. Les Émirats fonctionnent en règlements différents, avec Abu Dhabi qui a une visée internationale, et Dubaï qui s’impose en fleuron interne. En Arabie saoudite, le principal concurrent, c’est le Qatar, et l’objectif est de remettre le Royaume au centre de l’échiquier régional. Les Saoudiens n’ont que très peu goûté cette mise en retrait, dans les décennies précédentes, au profit de pays beaucoup moins importants géographiquement », précise Le Magoariec. Dans le bon wagon pour accrocher une qualification en Ligue des champions, les Magpies pourraient d’ailleurs bénéficier du premier effet « Cristiano Ronaldo » . Tel qu’avancé par Marca, le contrat du Lusitanien à Al-Nassr – également propriété du PIF – inclurait une clause l’autorisant à rejoindre Newcastle en cas de place en C1. Un billard à trois bandes, profitable à chacune des sphères concernées, symbole du modèle de diffusion vorace, aujourd’hui enclenché par l’Arabie saoudite.
Monarchie à long terme
Pour Raphaël Le Magoariec, « les Saoudiens ont tout fait dans la temporalité de la Coupe du monde 2022, histoire de marquer le coup. D’abord avec l’acquisition de compétitions de moindre envergure(la Supercoupe d’Espagne notamment), le rachat de Newcastle quelques mois avant le Mondial, et la signature de Cristiano Ronaldo dès la fin du tournoi. » Car derrière cette diplomatie sportive carnassière, l’arrivée de Cristiano Ronaldo à Riyadh constitue l’ultime levier activé par les Saoudiens, dans le sillage des pétromonarchies voisines. Le Qatar en priorité. CR7 a ainsi accepté d’endosser le costume d’ambassadeur saoudien à l’international, avec l’organisation de la Coupe du monde 2030 en ligne de mire. Pour Ben Salman, tous les coups sont bons pour ne laisser aucune miette à la concurrence, se racheter une image et faire mieux que le martelage médiatique réalisé par Doha avant, pendant et après le Mondial 2022.
Dès lors, quoi de mieux que les deux meilleurs joueurs de la dernière décennie ? Car oui, en plus de Cristiano Ronaldo, Lionel Messi – joueur du PSG et donc sous pavillon qatari – a également été recruté en qualité de tête de gondole de l’office du tourisme saoudien, au mois de mai dernier. « J’ai le plaisir d’accueillir Lionel Messi en Arabie saoudite. Nous sommes impatients de vous faire découvrir les trésors de la mer Rouge, la saison de Jeddah et notre histoire ancienne. Ce n’est pas sa première visite au Royaume et ce ne sera pas la dernière », se félicitait Ahmed al-Khateeb, ministre du tourisme local. Un paradoxe, dont semblent pourtant se satisfaire les deux parties. « Je suis venu pour développer les choses. Aller au-delà du football », détaillait à ce titre Cristiano Ronaldo lors de sa présentation. Wait and see désormais.
Par Adel Bentaha
Propos de Raphaël Le Magoariec recueillis par AB.