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Rachid Zeroual, daron noir

Par Quentin Ballue et Raphaël Brosse

Entre le départ soudain de Marcelino, la mise en retrait des dirigeants et la possible démission de Pablo Longoria, l’Olympique de Marseille traverse une crise aussi violente que soudaine. Au milieu de ce bazar, le nom de Rachid Zeroual, leader ultra à la légitimité incontestée et à l'influence indéniable, revient en boucle.

Rachid Zeroual, daron noir

Au départ, ce n’était pourtant qu’une simple réunion. Lundi soir, la direction de l’Olympique de Marseille recevait les représentants des associations de supporters à la Commanderie. Un rendez-vous prévu de longue date, mais qui a eu le malheur de tomber au lendemain d’un piteux match nul contre Toulouse (0-0), achevé sous la bronca du Vélodrome. Alors, la réunion s’est transformée en procès. Sur le banc des accusés, Pablo Longoria en a pris pour son grade. Acculé, incapable d’en placer une, le président olympien s’est vu reprocher ses mercatos très agités, sa gestion du centre de formation ou encore ses relations avec certains agents, supposés très proches de lui. Le ton était peu amène, le fond ne laissait aucune place à la nuance, le tout a forcément choqué les dirigeants. L’un des leaders présents leur a même chaudement suggéré de démissionner. Il s’agit de Rachid Zeroual.

« On posait des questions et on n’avait pas de réponse, donc c’est vrai que je leur ai dit : “Si c’est vrai et que vous ne nous donnez pas de réponse, moi je demande votre démission, parce que c’est beaucoup plus grave” », a raconté ce dernier à l’AFP, mercredi. Le moins que l’on puisse dire, c’est que son discours très offensif a mis le feu aux poudres. Effrayé par les échos qu’il a eus de cette réunion et pas franchement serein à l’idée d’évoluer dans un contexte aussi explosif, Marcelino, l’entraîneur nommé trois mois plus tôt, a décidé de s’en aller. Les dirigeants phocéens, eux, se sont mis en retrait, après avoir dénoncé dans un communiqué qu’ils « ne peuvent tolérer des attaques individuelles et toute forme de diffamation publique infondée », ce qui confirme l’hypothèse selon laquelle les propos tenus lundi soir ont allègrement dépassé le cadre d’une réunion de travail cordiale et constructive. Face aux menaces de mort qu’il aurait reçues, Longoria aurait même fortement songé à démissionner. Quant à Zeroual, il apparaît constamment comme étant le principal responsable de la situation improbable dans laquelle se trouve l’OM. Mais comment cet ultra peut-il avoir suffisamment d’influence pour mettre un tel bazar dans le club qu’il soutient ?

Pablo Longoria en compagnie de Marcelino.
Pablo Longoria en compagnie de Marcelino.

Bouledogue, tifos et antiracisme

Pour commencer, il faut déjà chercher d’où provient sa légitimité. Celle-ci repose d’abord sur son ancienneté. Car Rachid Zeroual fait partie du paysage ultra depuis trois décennies. Il rejoint les South Winners peu après leur création, en 1987. Il se lie d’amitié avec Dany Kebaili, l’actuel président de l’association, côtoie assidûment Patrice de Peretti (dit « Depé », décédé en 2000), icône des tribunes marseillaises. Au fil du temps, Zeroual joue un rôle central dans le développement et l’affirmation du groupe. La tête de bouledogue comme symbole ? C’est lui. Le magazine Massalia 2600, créé en 1996 et distribué gratuitement aux supporters ? Il est encore dans le coup. Aujourd’hui, ce quinquagénaire à la barbe blanche parfaitement taillée passe une bonne partie de son temps au local des Winners, situé dans le quartier populaire de la Belle de Mai, où il supervise notamment la conception des tifos. Quand une animation est prévue dans tout le stade, son expertise s’avère précieuse. « Dans la préparation des tifos communs avec les autres groupes, on le voit souvent s’exprimer pour donner les consignes », constate un habitué du virage sud. Charismatique, doté d’une aisance naturelle à l’oral que d’autres n’ont pas, celui qui est la figure du principal groupe d’ultras marseillais en nombre d’abonnés (7200, selon l’AFP) est forcément écouté. Sa seule autorité permet de maintenir l’ordre, en tribunes comme en déplacement. Et le respect que les ultras phocéens lui portent n’est pas feint. « Si tu es marseillais, quel que soit ton groupe, il te défendra coûte que coûte. Il n’hésite pas à aller à la bagarre malgré son âge », lâche un autre supporter, qui n’est pas encarté chez les South Winners et a déjà vu l’intéressé faire le coup de poing lors de brûlants voyages européens.

Les South Winners, en 2021.
Les South Winners, en 2021.

Au-delà de son côté bagarreur, Zeroual transmet, éduque, éveille les consciences et nourrit le « marseillisme ». « Dans tous les stades où on allait, je voyais ressortir ces fameuses bâches “Marseillais, bienvenue en France”. Le mouvement d’extrême droite nous le sortait constamment. J’expliquais aux ultras pendant les déplacements en car que Marseille a 2600 ans, que ce n’était pas la France qui avait créé Marseille et les immigrés, les Phocéens étaient là d’abord. Je leur expliquais qu’ils devraient être fiers de ça », confiait ce fervent défenseur de l’antiracisme dans le livre Gouverner Marseille (La Découverte, 2005). Dans sa mission sociale, l’an dernier, Zeroual accompagne le lancement du Protis Club, une association œuvrant pour préparer les jeunes, dont certains recrutés dans le virage, aux grandes écoles. « Sans lui, rien n’aurait été possible », reconnaît Jules Sitruk, le président, auprès de MadeInMarseille. C’est même le vice-président des Winners en personne qui trouve le nom de Protis, en référence à un immigré qui aurait participé à la fondation de Marseille. « Avec ce projet, c’était pour nous, et pour moi particulièrement, une revanche sur la vie. C’était pouvoir donner une chance à certains, à travers les Winners, d’accéder à de grandes études », commente Zeroual, issu du milieu ouvrier et titulaire d’un CAP menuisier. « C’est un peu le daron, toujours bienveillant, pose un abonné du virage sud, qui préfère garder l’anonymat. Quand il faut dire merde, il le dit, mais il n’est pas galère. Il fait des petites piqûres de rappel au stade, “attention aux enfants, attention aux femmes”. Bon, parfois il parle beaucoup pendant le match, mais c’est pas grave. Quand il coupe le capo en plein match pour prendre le micro, même le capo ferme sa gueule, alors que normalement, c’est lui le boss. » Son statut de pilier du mouvement et son rôle de « daron » lui ont permis d’asseoir sa légitimité auprès de tous les acteurs marseillais. Et de gagner en influence.

Zeroual en son royaume

Zeroual a en effet tissé sa toile bien au-delà de sa tribune. Politiquement, on le dit proche de Samia Ghali, adjointe au maire de Marseille et figure de la gauche locale. Pourtant, lors des élections municipales de 2020, il roule pour Martine Vassal, la candidate des Républicains. Histoire d’engranger des subventions et d’obtenir logements et emplois pour des membres de son association. Au tournant des années 1980 et 1990, Bernard Tapie aide les Winners à se développer et délègue aux groupes d’ultras la vente des places dans leur virage. Un privilège unique en France – retiré depuis – qui renforce leur importance. Zeroual devient d’ailleurs un interlocuteur incontournable des présidents qui se succèdent à la tête de l’OM. Il y a ceux avec lesquels ça se passe plutôt bien (Pape Diouf, Robert Louis-Dreyfus, Jean-Claude Dassier)… et les autres. En 2021, il est en première ligne du front opposé à Jacques-Henri Eyraud, qui aboutit à l’assaut donné à la Commanderie. Accusé, avec Christophe Bourguignon (leader du CU84), d’avoir organisé cette manifestation qui a totalement dégénéré, le numéro 2 des South Winners est condamné à neuf mois de prison, dont cinq avec sursis.

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Malgré tout, Zeroual affirme sa stature. « C’était moi le plus proche d’Eyraud, je savais ce qu’il se passait, glisse-t-il à RMC. Jusqu’à la veille de la Commanderie, j’étais au téléphone avec Eyraud. Le soir même des incidents, j’étais avec Eyraud au téléphone. » Les dirigeants savent qu’il est un acteur clé, avec qui il faut échanger, pour s’assurer un tant soit peu la paix. « Quand je suis devenu président de l’OM, en juin 2009, on m’a conseillé de le rencontrer », confirme Jean-Claude Dassier dans L’Équipe. L’ultra a d’ailleurs été salarié de l’OM, en charge des relations avec les supporters. Un contrat rompu en 2004, après une rixe avec d’autres supporters. Faiseur – ou plutôt défaiseur – de présidents, Zeroual aurait eu la peau de Jean-Michel Roussier, Yves Marchand ou encore Christophe Bouchet, comme énuméré par Le Monde en mai 2021. Avec des méthodes parfois très limites, pour utiliser un euphémisme. Malgré le titre ramené au club en 2010, Didier Deschamps n’a certainement pas oublié les tentatives d’intimidation qu’il a subies lors de son passage comme entraîneur. Dans un documentaire de France 3, Zeroual le qualifiait de « petit napoléonien » et reconnaissait ouvertement son coup de pression : « Il était parti dans un restaurant, et je suis allé dans ce restaurant pour le remuer un peu. Je lui ai donné un conseil, c’était de partir de l’Olympique de Marseille. Je l’ai fait trembler de tout son corps. Je lui ai dit que je lui décapsulerais la tête de ses épaules. » Résultat ? Usé par les tensions internes avec José Anigo (très proche de Zeroual), Dédé fait ses bagages à la fin de la saison.

Pablo, c’est un putain de président, ils vont nous mettre qui à la place ? Sur ça, Zeroual, il a fait de la merde.

Un abonné du virage sud

Rien d’étonnant, dès lors, à ce que le vice-président des Winners puisse peser autant sur l’avenir de Pablo Longoria dans les Bouches-du-Rhône. Sa prise de position ne fait cependant pas l’unanimité. Parce que contrairement à certains de ses prédécesseurs, le dirigeant espagnol jouit encore d’une certaine popularité à Marseille, et les résultats enregistrés depuis qu’il tient les rênes du club parlent pour lui. « On comprend qu’il en veuille à Marcelino, parce qu’il est claqué au sol, il propose un jeu de merde. Par contre, on ne sait pas ce qu’il a contre Pablo », s’interroge un abonné du virage sud. Avant d’ajouter : « J’ai parlé avec pas mal de potes des Winners. Si Pablo se barre, il y en a plein qui ne vont plus aller aux matchs pour se désolidariser de ça. Pablo, c’est un putain de président, ils vont nous mettre qui à la place ? Sur ça, Zeroual, il a fait de la merde. »

Le côté imprévisible et sanguin de celui qui a grandi à Aix-en-Provence peut donc susciter le rejet de certains. Même si cela fait partie intégrante du personnage. « Quand il anime les tribunes, quand il fait le “Marseille populaire”, quand il fait jouer sa notoriété pour récolter des dons en faveur du Maroc et de la Libye, on est bien contents qu’il soit là, tempère un observateur avisé de l’actualité olympienne. C’est difficile de ne vouloir que les côtés cool et pas les moments où il est un peu turbulent. » En revenant sur la réunion houleuse du début de semaine, ce même interlocuteur indique que « si les mecs des autres groupes n’étaient pas d’accord avec le fait d’appeler les dirigeants à la démission, ils étaient en capacité de le dire. Ce n’est pas Rachid Zeroual qui a convaincu tout le monde de partir en croisade. » Contactés, les leaders d’autres mouvements ultras ont refusé de s’exprimer ou n’ont tout simplement pas répondu, à l’instar de Zeroual. Celui-ci a malgré tout assuré à l’AFP qu’il n’avait jamais « proféré des menaces de mort à quiconque ». En attendant, l’Olympique de Marseille navigue en plein brouillard. Longoria est toujours là. Pour l’instant.

Pablo Longoria en conférence de presse.
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Par Quentin Ballue et Raphaël Brosse

Tous propos recueillis par QB et RB, sauf mentions.

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