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Crack ou déception : et si Cherki n'était ni l'un ni l'autre ?
Il sort à peine de l’adolescence, mais Rayan Cherki traîne ses bras ballants et son sourire en coin sur les pelouses de Ligue 1 depuis déjà quatre saisons et récolte les critiques habituellement réservées aux joueurs plus âgés. Pas aidé par une médiatisation envahissante, le prodige doit reprendre le cours d’une carrière d’un jeune de son âge.
Aussi vaste soit-elle, la région lyonnaise s’accorde sur un point : jamais elle n’a vu un plus gros talent que Rayan Cherki. À 6, 13 ou 16 ans, le gamin des Buers, quartier de Villeurbanne, a impressionné tout au long de sa jeunesse. Alors qu’il soufflera, en août prochain, sa 21e bougie, l’éternel espoir n’éblouit plus grand monde, ou seulement par intermittence – en témoigne son joli match contre le LOSC ce mercredi –, au point de s’interroger sur la trajectoire d’une carrière qui paraît déjà presque gâchée. À l’heure où certains joueurs de son âge n’ont encore aucune expérience, lui comptabilise déjà 124 rencontres professionnelles et le spleen qui va avec. Comment expliquer que le premier joueur né en 2003 à fouler les pelouses de Ligue 1 et le plus jeune buteur de l’histoire de l’Olympique lyonnais, à 16 ans et 140 jours, face à Bourg-en-Bresse en Coupe de France, ait vu Warren Zaïre-Emery, de trois ans son cadet, lui griller la priorité, au même titre que Bradley Barcola ou Castello Lukeba, malgré son avance accumulée durant leur formation commune ? La faute à ces années au centre où son style de jeu dicté par le dribble n’a pas été parfaitement complété et à la surmédiatisation de ses premiers exploits sur les parquets de futsal ou les terrains annexes de Tola Vologe qui lui ont brûlé les ailes.
Formation d’un soliste
Dix ans avant ses débuts en professionnel, le talentueux Gone tape dans le ballon au bord des terrains de Saint-Priest et tape directement dans l’œil de Roger Martinez, qui gère alors les U8 de l’ASSP. Depuis, ce dernier tend toujours sa carte de visite avec la même fierté. « Je suis le premier entraîneur de la carrière de Rayan Cherki ! », adresse-t-il à qui veut bien l’entendre. À 78 ans, les souvenirs s’emmêlent un peu, mais Roger Martinez garde les yeux qui brillent en racontant chaque prise de balle de son protégé, déjà surclassé. « Pied droit, pied gauche, il savait tout faire, rejoue-t-il. Il est né avec ce talent de dribble, derrière il frappait bien des deux pieds. Il était au-dessus de tout le monde. »
Mais celui qui partira à l’Olympique lyonnais dès la fin de sa première saison, symbole d’un bouche à oreille fulgurant, a déjà conscience de ses qualités et n’en fait qu’à sa tête du haut de ses six printemps. « J’essayais de lui expliquer : “Rayan, tu élimines, tu donnes ton ballon.” Mais je n’y suis jamais arrivé, il gardait quand même la balle pour dribbler, fulmine son premier éducateur. Ça reste une petite frustration parce que si je l’avais eu deux ans de plus, j’aurais réussi à lui inculquer ça. » Cette problématique est alors devenue une constante, ayant raison de nombreuses mèches de cheveux des formateurs qui ont croisé sa route. Gilles Rousset, ancien entraîneur adjoint des U19 de l’OL, garde même une certaine amertume. « Rayan a toujours été doué, mais il n’a pas été formé. Certains au club considéraient que vu qu’il était doué, il fallait le laisser jouer comme il le voulait. On avait des ordres d’en haut à respecter. On voit qu’il a pris de mauvaises habitudes. Il aurait fallu qu’il apprenne que le football ne se pratiquait pas qu’avec le ballon », a-t-il indiqué à 20 Minutes.
Les successions de dribbles, tête dans le guidon, ne sont donc pas nées en Ligue 1, mais les espaces restreints de l’élite le contraignent davantage. Face aux défenses repliées, Rayan Cherki semble souvent ne pas savoir quoi faire du cuir lorsque les roulettes ou les crochets ne passent pas. Stéphane Roche, entraîneur principal des U19 de l’époque, contredit son ancien adjoint et ne regrette pas son management : « Il fallait le laisser dribbler, comme j’ai laissé Nabil Fekir le faire. Un joueur qui peut éliminer trois joueurs, c’est indispensable pour un entraîneur à ce niveau-là. Je n’avais pas à le brider, si personne ne l’a fait avant moi, ce n’est pas pour rien. Pour moi, c’est un faux débat. »
Marche à l’ombre
Le problème de Rayan Cherki est justement d’alimenter ces discussions. « Depuis qu’on a 13 ans, tous les projecteurs étaient braqués sur lui, constate un de ses anciens coéquipiers du cru 2003 du centre de formation lyonnais. Pendant nos tournois et nos matchs, tout le monde ne parlait que de Rayan. Finalement, ça nous arrangeait bien parce que ça nous enlevait de la pression, mais ça mettait tout sur lui. » Derrière son côté je-m’en-foutiste, pour ne pas dire arrogant, le prodige cacherait-il des failles liées à sa trop forte exposition ? « À cet âge, j’ai aussi connu Xavi Simons qui était surmédiatisé très tôt. On voit que pour lui aussi les critiques sont parfois nombreuses. Il faut absolument les regarder comme des joueurs de 20 ans », réclame Stéphane Roche. Celui qui l’a propulsé en Youth League à 15 ans et 33 jours, face à Manchester City (victoire 1-4 avec une réalisation du Gone entrant dans l’histoire comme le plus jeune buteur de la compétition), ne regrette pourtant pas son choix. « Je suis encore persuadé que je ne le lance pas trop tôt. Il est déjà en avance et a la capacité de tenir son rôle et d’influencer le match. Il le montre dès le départ. » Un nouveau match référence face aux jeunes Barcelonais en quarts de finale lui ouvre les portes du groupe professionnel à l’heure où ses potes jouent encore en U17.
C’est alors que le chemin devient sinueux. Après une progression aussi linéaire que fracassante, le meneur de jeu polyvalent stagne pour la première fois. Hormis une prestation XXL à Nantes (3-4), en janvier 2020 en Coupe de France, le jeune traîne les lourdes attentes comme un boulet dans le monde pro. Ses entrées percutantes ont laissé place à des matchs irréguliers où il se fait surtout remarquer pour ses invectives envers des coéquipiers bien plus expérimentés ou des pertes de balle à la suite de grigris. Ces dernières semaines, l’OL a encaissé des buts, face au Havre et Rennes, après de tels gestes superflus de l’international Espoirs. Mais Rayan Cherki maîtrise l’art du contre-pied comme personne et a répondu à sa mise au ban par un nouveau festival contre le LOSC… en Coupe de France (2-1).
C’est avec les Bleuets et dans ces matchs en semaine, à des horaires où personne n’est au stade ou devant sa télé, qu’il (se) régale, comme pour éviter d’être de nouveau propulsé sur le devant de la scène. Son ancien coéquipier dans les catégories jeunes qualifie son jeu de « cyclique », tandis que Stéphane Roche avoue le voir « performer en deçà des attentes de tous les éducateurs du centre ». Depuis Saint-Priest, Roger Martínez a aussi de nombreux échos des prestations individuelles de son poulain. « On vient me dire : “Rayan, il n’est pas bon, il en fait trop.” Alors, je suis allé le voir contre Nantes et, franchement, ce n’est pas ça, hein… » Qu’il se console, Lyon est bien parti pour faire bonne figure en Coupe de France, le terrain de jeu préféré d’un jeune qui veut avancer à son rythme et dans l’ombre.
Par Enzo Leanni
Tous propos recueillis par EL, sauf mentions.