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Coutinho, sens et indécence
Après plusieurs mois de négociations, Philippe Coutinho a donc bien quitté Liverpool et est désormais un joueur du FC Barcelone, devenant au passage le troisième joueur le plus cher de l’histoire du foot. Un transfert qui permet d’enfin libérer un bijou qui souhaite désormais briller ailleurs, mais qui place aussi le Barça face à l’incohérence de ses discours.
Alors Philippe, que s’est-il passé ? « Ce qu’il s’est passé, c’est une offre d’emploi et parfois, dans la vie, cela peut vous intéresser ; parfois, non, et dans mon cas, tout le monde sait que j’ai été intéressé, ma famille aussi. » Parce qu’on a trop décrit le footballeur moderne comme un homme qui ne s’appartiendrait plus, que la vie aurait transformé en produit, on en aurait presque oublié la sensibilité. Instant transparence dans les couloirs d’Anfield, le 16 septembre dernier, après le nul concédé par Liverpool à domicile face à Burnley (1-1) : après quelques semaines d’absence, Philippe Coutinho vient alors de remettre son nez au milieu de la Premier League et de s’agiter pendant un peu moins de quatre-vingt minutes. « Cela a été un mois un peu compliqué pour moi, mais je dois dire que recevoir cette offre a été un honneur, tout comme porter ce maillot est un honneur, donc ce qu’il me reste à faire est de bosser et d’être honoré d’être sur le terrain.(…)Je suis ici, et je vais donner le maximum, comme toujours. »
Depuis, Coutinho avait repris les platines du jeu des Reds, s’agitant le plus souvent pour faire briller le trident offert par ses dirigeants (Salah, Mané, Firmino) et inscrivant douze buts toutes compétitions confondues, entre autres, ce qui est à tempérer, le Brésilien ayant plus souvent participé à la fête que donné la victoire. Un détail. Saoulé par les rumeurs et le virage pris par un sport dans lequel il affirme souvent « ne plus se reconnaître » , Jürgen Klopp se contentait alors de profiter de son meneur brésilien, et d’attendre. Bingo : le Barça est revenu dès la reprise du mercato hivernal et, cette fois, Liverpool n’a pas résisté. Cinq ans après son arrivée en Angleterre en provenance de l’Inter, où il n’aura jamais réussi à installer la moindre ampoule, Philippe Coutinho est devenu le troisième joueur le plus cher de l’histoire du football. Soit un homme à quelque 160 millions d’euros, Liverpool ayant exigé que le Barça verse plus que pour Ousmane Dembélé.
Héritage et non-sens
Plusieurs questions se posent, mais une seule sort sa tête de la mêlée : pourquoi maintenant ? Pourquoi rejoindre le FC Barcelone en janvier tout en sachant que Coutinho ne pourra pas disputer la deuxième phase de la Ligue des champions, le Brésilien l’ayant déjà joué avec Liverpool ? Une réponse, simple : voilà maintenant plusieurs mois que Philippe Coutinho veut partir alors, pourquoi le retenir ? Peut-être parce que les dirigeants des Reds connaissent parfaitement le joueur, qu’il ne les aurait jamais convoqués au bras de fer, qu’il n’a pas la personnalité d’un Luis Suárez et qu’il serait resté, malgré tout, jusqu’à l’été prochain avec un engagement total. On se dit aussi que Liverpool avait tout intérêt à attendre la prochaine Coupe du monde et ses effets financiers classiques, qui auraient fait certainement encore grimper d’un cran supplémentaire l’indemnité de transfert du joueur.
Le Barça, non, justement : c’est une histoire de coup à frapper, mais aussi d’héritage – celui d’Andrés Iniesta – à préparer. Prendre Coutinho maintenant, c’est permettre à l’international espagnol de se reposer en championnat pour le sortir du placard en Europe. Toute cette histoire a un sens sportif et une logique économique pour le Barça, une dose de non-sens dans la gestion des négociations du côté de Liverpool, qui aura ainsi perdu plusieurs joueurs de la sorte lors de la dernière décennie : Xabi Alonso, Javier Mascherano, Fernando Torres, Raheem Sterling. Seule différence, le club n’aura pas besoin de recruter pour pallier ce départ, Klopp ayant déjà dans son jeu Lallana – ce qui va stabiliser le pressing demandé par l’entraîneur allemand, moins intense sans l’international anglais – et l’arrivée de Naby Keita étant déjà actée pour l’été prochain.
Pisser sur sa propre langue
Puis un coup d’œil sous la couverture, car le transfert de Philippe Coutinho au Barça permet de faire revenir dans les conversations un certain Kia Joorabchian, l’homme de la société d’agents de joueurs Sports Invest UK, dont Olivier Létang était devenu l’éphémère directeur général avant de devenir président du Stade rennais en novembre dernier. Qui ? Kia Joorabchian, contre qui Interpol avait émis il y a quelques années un mandat d’arrêt international, homme derrière les transferts de Tévez et Mascherano en 2006 et donc au début de la tierce-propriété dans le foot, et surtout bonhomme qui bosse sans licence d’agent tout en multipliant les passeports et les identités. Une crapule en somme, qui avait d’ailleurs géré le départ de Mascherano au Barça en 2010.
C’est une histoire dans l’histoire, et aussi une raison de la pression mise par l’entourage de Coutinho dans les négociations. Histoire qui prend aussi une autre ampleur quand on se remet en tête les discours moralisateurs de l’été servi par le président de la Liga, Javier Tebas, au moment de l’arrivée de Neymar au PSG – « C’est comme si le PSG pissait dans le lit ou dans la piscine. Eh bien, Neymar est monté sur le plongeoir et a pissé dans la piscine. Nous ne pouvons pas le tolérer. » Drôle quand on repense à la loi Beckham, supprimée en 2010, et qui permettait il y a encore quelques années aux clubs espagnols d’attirer les plus grands joueurs du monde grâce à un système fiscal très avantageux, mais aussi quand on se rappelle que le fair-play financier a décidé de ne pas prendre en compte les dettes des clubs à un moment où le Barça et le Real les accumulaient. Le même Barça qui s’est amusé l’été dernier à hurler sur tout le monde et qui aura donc dépensé plus de 350 millions d’euros depuis juillet 2017 (dépenses à mettre en balance avec les recettes des droits TV et les quelque 230 millions d’euros récupérés avec les ventes de Neymar, Tello et Mboula, ndlr). Ou comment jouer et pisser sur sa propre langue, sans sortir des barrières, malgré tout.
Par Maxime Brigand