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Cours de morale laïque appliquée aux Bleus
L’équipe de France est donc réunie à Clairefontaine. Et puisque Didier Deschamps a voulu placer cette nouvelle transition tricolore sous le double emblème de l’exemplarité et de « l’état d’esprit », il doit forcément vibrer, en bon hussard du foot français, à l’appel de Vincent Peillon. De la « morale laïque » inculquée aux Bleus (de Jérémy Ménez à Franck Ribéry), voilà un beau et véritable challenge pour le « réarmement moral » du pays. N'est-ce pas...
Respirons et expirons l’air du temps en proposant une petite explication de texte et « dans le texte » des intentions ministérielles à l’usage du sélectionneur national, car, comme l’a dit le premier des instituteurs de France, « (…)le redressement de la France doit être un redressement matériel, mais aussi intellectuel et moral » . Après tout, cela peut se révéler aussi puissant que Laporte faisant lire la dernière lettre de Guy Môquet…
1 – « La morale laïque, c’est comprendre ce qui est juste, distinguer le bien du mal, c’est aussi des devoirs autant que des droits, des vertus, et surtout des valeurs (…), la connaissance, le dévouement, la solidarité, plutôt que les valeurs de l’argent, de la concurrence, de l’égoïsme. »
Une cape ne doit plus se résumer à la seule perspective des entrées d’argent qui sont censées en découler. L’équipe de France se doit d’incarner les mythes mobilisateurs (merci Georges Sorel) autour desquels la nation désire encore communier, même après cinq ans de sarkozysme. Bref, nous sommes, ou du moins nous aimons le vendre au reste du monde, la patrie des droits de l’homme, de la sécurité sociale et de la fiscalité redistributrice. En conséquence, si le football pro qui vous nourrit, chers joueurs, ne semble pas véritablement compatible avec cette image de la France, faites gaffe, l’Hexagone (Corse et DOM-TOM y compris) risque en retour de s’éloigner du ballon rond. Et la passion demeure encore aujourd’hui le principal carburant économique. On ne peut pas endosser le maillot bleu comme on vire au blues de Chelsea. On ne choisit pas son drapeau, il ne vous choisit pas non plus. Vous auriez pu plus mal tombé. Et réciproquement.
2 – « Je pense, comme Jules Ferry, qu’il y a une morale commune, qu’elle s’impose à la diversité des confessions religieuses, qu’elle ne doit blesser aucune conscience, aucun engagement privé, ni d’ordre religieux, ni d’ordre politique. »
Ne vous inquiétez surtout pas, personne ne vous demande d’arrêter de pratiquer votre religion ou de cesser de jouer à la PS3. Et, évidemment, le droit de vote n’est pas un devoir. Maintenant si vous arrivez à comprendre cette phrase, n’hésitez pas à la tweeter… Ce sera un premier pas vers la « morale commune » .
– « Si la République ne dit pas quelle est sa vision de ce que sont les vertus et les vices, le bien et le mal, le juste et l’injuste, d’autres le font à sa place. »
Et quand ces autres se trouvent être les agents, les présidents ou les entraîneurs de vos clubs, ou, encore mieux, les journalistes du CFC, effectivement le danger s’avère grand de ramer comme des bagnards juste pour obtenir le service minimum. Ce serait un peu comme de confier le travail législatif au MEDEF ! Après, à l’instar des croyances religieuses ou des quêtes de transcendance, ce que vous tripatouillez une fois retournés dans vos pénates de Premier League ou de Liga ne regarde que vous. La laïcité s’arrête aux frontières de la France, comme le Trésor public.
– « Il ne s’agit pas d’autoritarisme, mais d’une autorité qui se fonde sur des qualités morales et intellectuelles. »
Franchement, ce serait bien d’éviter de vous faire suspendre constamment, les gars, ou de finir devant les commissions de discipline ou d’éthique de la FFF. Ce n’est quand même pas insurmontable d’arriver à moucher un journaliste de l’AFP sans dire de gros mots.
– « Pour donner la liberté du choix, il faut être capable d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel, pour après faire un choix. »
Oui, au-delà de votre coach, de votre agent et de Saint-Bernès, vous pouvez penser par vous-même. Pour être sincère, cela peut vous coûter cher, à vous de voir ! Les fils d’OS ont des déterminismes, les Cadres Sup un capital culturel, et, pour info, Pôle Emploi compte désormais trois millions de chômeurs qui ne se recupèrent pas vraiment parmi les actionnaires de vos clubs…
– « Il faut enseigner aux enfants la différence entre être patriote et nationaliste. Nous devons aimer notre patrie, mais notre patrie porte des valeurs universelles. »
Là, concédons-le, il s’agit de rentrer dans du lourd : Renan, De Gaulle, une certaine idée de la France, etc. En gros, comme l’expliquait Jaurès , « un peu d’internationalisme vous éloigne de la patrie, beaucoup vous y ramène » . Partir s’engraisser ailleurs, certes, mais il serait profitable de se souvenir, au moins de temps en temps devant les caméras ou les micros, que la patrie de Molière, Hugo, Debord et Zidane conserve quand même quelques qualités uniques qui ne se limitent pas seulement à la gastronomie et aux centres de formations de L1.
– « Apprendre notre hymne national me semble une chose évidente, les symboles comptent, mais il ne faudra pas croire que l’apprentissage mécanique d’un hymne est suffisant dans cette éducation à la morale laïque. »
Tout le monde aime vous entendre chanter la Marseillaise. Cependant personne n’est dupe. Alors s’il vous plaît, prenez aussi des cours de chant.
Par Nicolas Kssis-Martov