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Coupe du monde tous les deux ans : maintenant, tout est clair…
Le projet délirant de la FIFA semble poursuivre sa course folle. La Coupe du monde de football tous les deux ans devient l’enjeu majeur de la présidence Infantino. Pour convaincre ses ouailles, et passer outre l’opposition de l’UEFA, un État dans l’État, le président a sorti l’artillerie lourde lors d’une réunion au Qatar : l’argent. Des douches de dollars pour tout le monde. Au moins, tout est clair...
La FIFA a un statut trop souvent oublié, celui d’une organisation, d’une association, à but non lucratif basée en Suisse, à l’abri d’un climat fiscal tempéré et bienveillant. Or cette illusion juridique, ce storytelling gavé de valeurs universelles et d’amour du jeu, s’apparente de plus en plus au portrait d’un Dorian Gray. Au fil des décennies, l’avarice et l’appât du gain ont vérolé et abîmé la belle image de la grande maison du football mondial. L’épisode que nous vivons aujourd’hui avec le projet d’une Coupe du monde tous les deux ans a au moins le mérite de l’éclairer sans fard ni faux-semblants. À l’instar de la Superligue, qu’Infantino ne regardait pas d’un si mauvais œil, il n’est finalement plus question que de monnaie sonnante et trébuchante. Le football, sa culture, son patrimoine, l’amour des peuples et des fans se réduisent juste à de la valeur ajoutée pour vendre le produit. Si les matchs de Coupe du monde de ballon de baudruche marchaient aussi bien, beaucoup de costards cravates de Zurich changeraient de crémerie sans remords ni regrets.
Corruption officielle
Lundi dernier donc, la FIFA a susurré à l’oreille des 211 fédérations affiliées (et qui décideront finalement comme lors de l’attribution de l’événement) un agréable conte de fées selon lequel elles recevront chacune 19 millions de dollars (16,8 millions d’euros) supplémentaires sur quatre ans si elles consentaient à ce nouveau rythme biannuel. La plus efficace des corruptions s’effectue toujours aux yeux de tous. Ce chiffre magique provient d’une étude du cabinet Nielsen, dont la fiabilité et les certitudes n’ont guère été questionnées. Ce rapport table sur 4,4 milliards de dollars (3,9 milliards d’euros) sur quatre ans (billetterie, droits TV et partenariat commercial). Sur cette somme, la FIFA prélèverait 3,5 milliards de dollars (3,1 milliards d’euros) pour un fond de « solidarité » . Le tout également dopé par le passage, déjà surréaliste, de 32 à 48 équipes à partir de 2026. À l’instar de la Superligue et ses faramineuses promesses financières, aucune certitude un peu tangible, juste des projections et des intimes convictions. Mais peu importe, les dirigeants des fédés, surtout les plus petites, et donc les plus nombreuses, imaginent déjà leur budget gonfler d’un coup, avec un nouveau train de vie à l’avenant.
Le problème, c’est qu’en ce domaine, celui de la puissance économique, il existe déjà une place forte sur la planète foot : le Vieux Continent. Et l’UEFA regarde avec beaucoup d’hostilité un projet qui pour ce qui la concerne va surtout perturber sa propre logique de développement et le bien-être capitaliste des grands clubs – au bord de la scission pour quelques-uns – qui en assurent la force et la puissance. Pour tacler la FIFA, elle avait commandé une étude – oui, on adore les Powerpoint dans les grandes instances de ce sport – qui au contraire alertait sur une chute de 3 milliards d’euros sur quatre ans de ses revenus avec le nouveau format du Mondial, et jusqu’à 8,5 milliards de dollars (7,5 milliards d’euros) par saison pour les championnats domestiques. On comprend qu’avec ce genre de guerre, arbitrée par des boîtes spécialisées dans « l’expertise » et la « prospective » , et qui pour l’instant sont les seules à s’enrichir, la guerre froide devient de plus en plus inévitable.
Et le foot ?
Étrangement, aucune interrogation n’est survenue pour se demander si le foot et ses instances avaient vraiment besoin de gagner toujours davantage, notamment en cette période, ou au contraire de plus de sobriété et de soutien envers le foot amateur, l’immense cohorte des vrais croyants. Quant au respect du rôle spécifique, social, culturel ou historique, du foot des nations de nos jours… Personne n’a enquêté pour savoir si les amoureux du ballon ou même les « jeunes générations » allaient continuer éternellement à suivre cette fuite en avant qui détruit un a un les piliers fondamentaux de cette religion laïque, transformée en une attraction pour stimuler les paris en ligne. L’UEFA ne vaut guère mieux au passage, qui a instauré une Ligue des nations – preuve que les calendriers sont un beau prétexte – pour des raisons assez similaires. Enfin, quand est-ce qu’un gouvernement, l’Union européenne ou même la Suisse vont-ils forcer la FIFA à changer son statut en entreprise ou société anonyme et payer les impôts relatifs à la réalité de sa véritable nature, y compris les taxes ordinaires pour une activité commerciale lors de la tenue des coupes du monde ? Cela réduirait sûrement d’un coup l’intérêt de basculer vers un Mondial tous les deux ans.
Par Nicolas Kssis-Martov