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Coupe du monde en novembre : des joueurs au top de leur forme, vraiment ?
C’est la dernière ligne droite. Après une dernière trêve placée notamment sous le sceau de la Ligue des nations pour les équipes européennes, les sélections nationales ne se retrouveront qu’au moment de s’envoler pour le Qatar. D’ici là, au milieu d’un calendrier surchargé en club et alors que les blessures se font déjà nombreuses, les joueurs vont devoir trouver comment arriver au meilleur de leur forme pour le tournoi. Quitte à y laisser des plumes pour le reste de la saison.
Dimanche dernier, 17e minute de jeu à l’Ernst-Happel Station de Vienne. Dans une rencontre de Ligue des nations qui opposait l’Autriche à la Croatie (1-3), Marcelo Brozović s’écroule sur la pelouse, contraint de laisser sa place. Le lendemain, le verdict tombe : le milieu de l’Inter Milan souffre d’une lésion aux ischio-jambiers et devrait « manquer trois à quatre semaines de compétition » comme l’explique le médecin du staff croate. Une longue absence que les dirigeants nerazzurri ont du mal à accepter. Comme l’explique le Corriere dello Sport, l’Inter reproche à la Croatie d’avoir accordé trop de temps de jeu à Marcelo Brozović (notamment 90 minutes contre le Danemark), alors que ce dernier n’était pas au top de sa forme.
Cette trêve internationale crispe encore un peu plus les relations entre clubs et sélections, chacun défendant ses intérêts sportifs. En l’espace d’une semaine et demie, la liste de blessés s’est allongée pour de nombreux clubs : Jules Koundé, Ousmane Dembélé, Ronald Araùjo, Frenkie de Jong et Memphis Depay pour ne citer que l’exemple du Barça. Les clubs vont désormais enchaîner les rencontres à un rythme infernal, à l’image du Napoli, qui compte dans ses rangs sept potentiels participants à la Coupe du monde et devra disputer pas moins de douze matchs jusqu’au 12 novembre prochain. Avec des rencontres qui s’enchaînent, une exigence de performance physique et mentale élevée, comment les joueurs peuvent-ils arriver au Qatar dans les conditions optimales ?
« En cinq jours, on ne prépare rien »
Alors qu’habituellement, les sélections disposent de trois semaines pour se préparer de la meilleure des manières aux grandes compétitions, pour ce Mondial, la préparation durera une semaine, pas plus. Pour Franck Brocherie, chercheur à l’INSEP et spécialisé dans le stress environnemental, il est encore difficile de se projeter réellement sur la forme des joueurs : « Il existe un paradoxe. Lorsque les compétitions internationales se déroulent l’été, beaucoup de joueurs, malgré la fatigue, sont sur des rythmes de jeu élevés, notamment avec les finales européennes et nationales. Mais surtout, on dispose de plus de temps de préparation en juin. Là, avec une semaine de préparation, on a certes des joueurs plus frais, mais qui n’arrivent pas au même rythme que lors d’une fin de saison. » Ancien préparateur physique de l’équipe de France, du PSG et de l’Olympique lyonnais, Alexandre Marles « ne voit pas de son côté comment les joueurs pourraient être au top physiquement. Cette Coupe du monde vient se greffer à un calendrier déjà très chargé. Si on prend l’exemple de l’équipe de France, elle dispute son premier match le 22 novembre, et les dernières journées de championnat se jouent le week-end du 12 novembre. Ils seront à Doha cinq jours avant leur premier match. C’est simple, en cinq jours, on ne prépare rien. »
Au-delà de la préparation, l’acclimatation au Qatar s’annonce aussi être une nouvelle épreuve pour les joueurs. « Même si les conditions risquent d’être plus favorables à cette époque, il va malgré tout faire très chaud. On parle de températures avoisinant les 30 degrés, il va y avoir un contraste climatique avec la vague de froid en Europe, qui risque d’affecter les systèmes immunitaires », développe Franck Brocherie. Les joueurs sont tous dotés de staffs personnels, et cela entre forcément en ligne de compte. Normalement, ils devraient être encore mieux préparés qu’auparavant. (…) Avec des joueurs qui jouent et qui s’entraînent tout le temps, il faut réussir à leur laisser la possibilité de récupérer tout en maintenant un niveau d’entraînement qui leur permette de rester dans le rythme. C’est tout l’art de la planification et ce n’est pas simple, parce qu’il y a les objectifs du club et ceux de la fédération, qui ne sont pas les mêmes. »
Une coopération impossible ?
Face à cette situation inédite, les intérêts divergents entre des clubs dont la saison se joue en grande partie d’ici au 20 novembre et des sélections qui ne verront plus leurs joueurs avant le début des hostilités compliquent la donne. « Pour les entraîneurs, l’objectif est de gagner les matchs chaque semaine, donc ils vont faire jouer les meilleurs joueurs, c’est-à-dire ceux qui sont en sélection, assure Alexandre Marles. C’est difficile de dire « On se prépare pour la Coupe du monde », alors qu’on ne fait qu’enchaîner les matchs. » Une coopération difficile entre différents acteurs et un dialogue rarement fructueux. « Il n’y a rien qui est mis en place. Ça existe dans le rugby, et encore avec beaucoup de divergences, mais pas vraiment dans le foot, poursuit le préparateur physique. Vous ne pouvez pas dire à Christophe Galtier : « Tu ne vas pas faire jouer Mbappé contre Benfica ou la Juve. » »
Difficile dès lors d’imaginer les staffs médicaux des équipes nationales être en mesure de suivre au plus près les joueurs pendant les semaines qui arrivent. Et à l’image du sélectionneur danois Kasper Hjulmand, qui n’a pas hésité à regrouper ses joueurs pour leur demander une grande vigilance à l’issue de la victoire contre l’équipe de France, l’inquiétude est présente. « On a de plus en plus accès à des bases de données via des applications spécifiques, que l’on peut récupérer via les clubs s’ils souhaitent collaborer, tempère Franck Brocherie. Cela peut permettre d’avoir une idée un peu précise du niveau de forme des joueurs. » Un suivi à distance qui sera le lot de tous, et qui ne devrait pas être sans conséquences une fois le tournoi lancé. En particulier pour les sélections dont les joueurs auront été sur le pont jusqu’à la dernière minute. « La situation va être difficile pour les pays européens, prévient Alexandre Marles. Ce sont les nations les plus fraîches qui s’en sortiront. Si on parle de l’Asie et de l’Océanie, la préparation risque d’être plus optimale puisqu’ils arrivent en fin de saison pour la plupart.(La fin du championnat japonais est prévu pour le 5 novembre, le championnat sud-coréen se conclura le 23 octobre, alors que le championnat australien n’aura débuté que depuis six journées, NDLR.) »
Déjà penser à l’après
Pourtant, si des pépins physiques ne sont évidemment pas à exclure pendant la compétition – comme au fil de chaque édition –, les préoccupations concernent plutôt l’après. « Le fait d’aller au Qatar, c’est plutôt une bonne chose pour tous les joueurs qui jouent en Europe, ce sera bien meilleur d’un point de vue musculaire, assure encore Alexandre Marles. En revanche, le retour va être compliqué : vous allez revenir fin décembre avec des terrains gelés, il va faire deux degrés… On peut s’attendre à une hécatombe. » Ce sont alors les clubs qui pourraient payer le prix fort de cette Coupe du monde en plein milieu de saison.
« Pour moi, le risque est plus sur la reprise du championnat que sur la compétition en elle-même, appuie Franck Brocherie. C’est surtout au moment du retour en club que ce sera plus compliqué pour les joueurs, ils auront emmagasiné une fatigue qui les rendra plus vulnérables. » Un retour en club qui sera forcément progressif, surtout pour ceux qui seront allés jusqu’au bout de l’aventure au Qatar (la finale se tiendra le 18 décembre). « Quoi qu’il arrive, ils auront au moins une semaine ou dix jours de récupération, anticipe Alexandre Marles. Ils reprendront sans aucune préparation spécifique, et pour eux, la saison va être très longue. » Et s’ils arrivent à être en forme en novembre pour le Mondial, il est peu probable qu’ils le soient encore en juin au moment de gagner des titres en club.
Par Tristan Pubert et Tom Binet
Tous propos recueillis par TP et TB.