- Mondial 2026
Coupe du monde : 48 nuances de billets
C'est acté, la Coupe du monde de football se jouera à 48 dès 2026. Pour la démocratiser, l'ouvrir aux petits pays, et concerner l'ensemble de la planète. Et par la même occasion faire grossir un peu plus la poule aux œufs d'or tout en préparant ses arrières politiques pour Gianni Infantino. On aime, ou pas...
Année 1930, première Coupe du monde, en Uruguay. Treize pays répondent à l’appel, plus par compassion pour l’inventeur Jules Rimet que par réel enthousiasme. Il faut dire que pour les participants européens, comme la France ou la Yougoslavie, c’est un trajet en bateau de plus de trois semaines qui s’impose. Il s’effectue sans les petits soins aujourd’hui à disposition des stars du ballon rond, l’international français Numa Andoire se plaignant à l’époque de n’avoir pu se faire masser qu’une seule jambe pendant la traversée… Un voyage à l’arrache, comme une première édition du Mondial au format bancal : quatre groupes, le premier avec quatre équipes, les trois autres avec trois. À l’image des débuts de la Coupe du monde, à la recherche de la bonne formule jusqu’à l’édition 1998 et ses 32 participants. Loin aussi de la machine marketing et financière qu’elle est devenue sous la houlette de João Havelange puis Sepp Blatter. Depuis son intronisation comme patron de la FIFA, Gianni Infantino défendait un élargissement pour continuer d’ouvrir l’épreuve reine à l’ensemble de la planète. Certains, comme Samuel Eto’o, y avaient été de leur soutien pour porter le message du petit peuple du ballon rond. Mais qu’on ne s’y trompe pas, avant d’être un choix philanthropique, le passage à 48 relève avant tout du business.
« La logique de la FIFA est industrielle »
« En économie, il y a deux grands principes qui dominent. D’un côté l’organisation de la rareté : si on ne préserve pas la rareté, la valeur diminue. De l’autre côté, il y a la logique de la croissance : c’est une logique purement industrielle, produire plus pour gagner plus. La logique de la FIFA ici est clairement industrielle. » Éditorialiste économique pour BFM Business – et aussi supporter du SC Bastia –, Emmanuel Lechypre avertit cependant : vouloir la croissance peut amener quelques désagréments. « Dans certains cas, vouloir « massifier » son activité peut nuire à une marque, notamment quand on diminue la qualité pour augmenter la quantité. » Passer de 32 équipes à 48 pour une phase finale de Coupe du monde, c’est donc un vrai choix stratégique, avec ses perspectives et ses risques de lasser le public. À la différence, selon le journaliste économique, qu’en passant de 64 à 80 matchs, « le projet est très cohérent, car ils n’augmentent pas trop le nombre de matchs, mais étendent leur influence géographique avec plus de pays directement concernés » . Et des droits télés en hausse dans l’escarcelle, car « la force du football, c’est le direct, c’est le seul type de produit avec une soirée électorale qui réunit les gens devant leur écran. »
La FIFpro adoube le Mondial à 48
La nouvelle réforme prévoit donc 48 participants, 16 groupes de 3, et des matchs à élimination directe à partir des seizièmes. Bingo pour Philippe Piat, le président de la FIFpro. « On accueille la nouvelle favorablement car il y aura plus de joueurs concernés, et pour un joueur pro, c’est exceptionnel de dire que l’on a fait une Coupe du monde. » Le syndicaliste assure que son camp « regarde en priorité l’aspect sportif, et quand on fait la balance entre les moins et les plus, il y a plus de positif » . Notamment la perspective de ne plus voir un Zlatan Ibrahimović privé de phase finale par un Cristiano Ronaldo comme en novembre 2015 avant l’Euro. « Ce type de duel aura lieu pendant la phase finale, nous, on est favorables au brassage maximal. » Avec un gain de visibilité pour les joueurs concernés, et donc la possibilité de taper dans le juteux gâteau, à savoir 1,6 milliard d’euros de revenus supplémentaires entre l’événement lui-même (environ 700 millions), les droits télé (environ 500) et les retombées marketing (environ 400) ?
2026 c’est loin
Tout le monde semble content, y compris Gianni Infantino lui-même qui, avec une telle mesure phare, a quasiment assuré sa réélection pour 2019 en s’octroyant les faveurs des petites fédérations. Un choix « politique » que n’aurait pas renié Sepp Blatter, chantre de l’ouverture sur le monde de la FIFA, mais aussi symbole de ses écarts. Celui-là même avec lequel Infantino devait assurer la rupture. Aujourd’hui, personne ne s’interroge encore sur le système des poules à trois équipes, qui poseront forcément problème tôt ou tard, avec un remake du RFA-Autriche de 1982 à prévoir. Il faut dire que 2026, c’est loin. « Beaucoup d’eau va couler sous les ponts » , assure Piat. Alors que le paradoxe est pourtant là. « Cela va ouvrir le droit de participation, mais un gigantisme qui réduit le nombre d’organisateurs potentiels » , prévoit déjà Emmanuel Lechypre. La FIFA aura tout loisir de confier l’organisation à la Chine ou tout autre gros marché dont les dirigeants rêvent à haute voix, sans forcément s’inquiéter de la fréquentation des stades ou de la possibilité des supporters à faire les déplacements. « Dans leur modèle économique, est-ce grave si les stades ne sont pas remplis ? Y aura-t-il aussi une offre adaptée quant au prix des billets pour les supporters des pays les plus modestes ? Il va falloir bien ajuster les curseurs » , estime l’éditorialiste de BFM Business. Aujourd’hui à 32, dans dix ans à 48, et dans vingt-cinq ans avec 64 équipes peut-être, la Coupe du monde n’a peut-être pas encore totalement fini sa crise de croissance. Parce que l’immense produit qu’est le football n’a pas fini de développer tout son potentiel, selon l’expert : « Ils ont un monopole, il n’y a qu’une seule Coupe du monde, chaque compétition est unique, ils peuvent encore aller plus loin, car finalement, pour beaucoup de compétitions, on reste encore sur un modèle marketing très artisanal. » On en oublierait presque que le football est avant tout une passion.
Par Nicolas Jucha
Tous propos recueillis par NJ