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Coupe du monde : 22 affiches, 22 histoires

Par Chérif Ghemmour

Cela passe souvent inaperçu, mais chaque Coupe du monde offre aussi son affiche officielle. Et chacune d'entre elles, de 1930 à 2022, raconte un pays, une époque, une mode. On rembobine.

#1 - Uruguay 1930

Coupe du monde 1930 – Uruguay
Auteur : Guillermo Laborde

Verticalité. Le gardien de but qui s’envole renvoie aux exploits de l’aviation avec les traversées atlantiques de Lindbergh, puis de Mermoz. Le stade du Centenaire de Montevideo est surmonté d’une tourelle qui monte au ciel. Dans le grand 1 (première Coupe du monde), une flèche en forme d’éclair pointe aussi vers les cieux. Céleste est le surnom de l’Uruguay, victorieuse du tournoi ! Les gardiens étaient alors souvent les héros du football. Sur l’affiche conçue par Guillermo Laborde, le graphisme calligraphique Art déco se détache sur un fond pastel de ciel bleu clair, pas vraiment couleur chaude : en juillet, c’est l’hiver austral. Il a neigé lors du premier match de ce Mundial !

#2 - Italie 1934

Coupe du monde 1934 – Italie
Auteur : Gino Boccasile

L’affiche de Gino Boccasile est le reflet totalitaire de l’Italie mussolinienne : au lettrage noir et massif du bas est accolé le faisceau du régime fasciste. Le maillot bleu de la Squadra Azzurra du footballeur, ainsi que le drapeau italien derrière l’assignent implicitement à un triomphe final. La pose de ce joueur à la musculature hypertrophiée de ses jambes renvoie à une nation virile, en mouvement (il shoote un ballon énorme) et à l’expression sinistre des dictatures modernes (il ne sourit pas). Sa statuaire un peu figée imite l’antiquité romaine dont le régime s’inspire. Et justement, la finale eut lieu au Stadio Nazionale de Rome. Sous les yeux du Duce, ravi de « sa » victoire…

#3 - France 1938

Coupe du monde 1938 – France
Auteur : Henri Desmé

Affiche terrifiante. La planète Terre est rouge sang, et le footballeur prend une pose martiale. On ne voit même pas son visage, et ses chaussettes ont la rigidité de bottes militaires. L’imagerie déshumanisée de cette édition par l’artiste Henri Desmé, où le rouge crépusculaire et le noir en ombre portée prédominent, relègue en arrière-fond un arc-en-ciel annonciateur de la fin des jours heureux : 1938, c’est l’Anschluss et la montée des périls. La guerre est imminente… Le ballon est écrasé par la botte et il écrase en même temps l’Europe, épicentre du conflit mondial à venir : le football n’a plus rien d’une fête. Le vert tendre du lettrage brut apporte toutefois une mince nuance d’espérance.

#4 - Brésil 1950

Coupe du monde 1950 – Brésil

La mosaïque de drapeaux sur la chaussette semble signer, façon ONU, le retour de la paix universelle dans un monde sorti de la guerre. Le ballon en cuir sombre semble écrasé par une énorme chaussure à crampons noire, reflet d’un Brésil en crise, « sous la botte » du régime autoritaire du général Dutra. Cette chaussure massive est non lacée : elle s’accorde au gigantisme du stade Maracaña, inachevé pour cette édition ! Derrière la façade prétentieuse d’un État puissant se niche en fait l’incurie indolente de la baie de Rio et du Pain de Sucre dessinés à l’aquarelle en arrière-fond de l’affiche. Ce Brésil qui « se la joue » en se croyant le plus fort connaîtra la désillusion fatale face au petit Uruguay voisin

#5 - Suisse 1954

Coupe du monde 1954 – Suisse

Dans cette affiche, rien ne rappelle la Suisse, pays organisateur. Ni dans la composition dessinée, empruntant à l’art africain, ni dans la figuration du footballeur aux traits habituellement européens. La peau brune du gardien de but, à la bouche ouverte et à l’expression mécontente, témoignerait plutôt de l’irruption des peuples colonisés en lutte pour leur émancipation sur tous les continents. Les filets ressemblent étrangement à des barbelés qui retiennent encore les peuples en servitude : 1954, c’est la coupe d’un monde qui change. Juste après ce Mondial, c’est en Suisse que seront signés les accords de Genève mettant fin à la guerre d’Indochine et qu’éclatera bientôt l’insurrection algérienne…

#6 - Suède 1958

Coupe du monde 1958 – Suède

L’affiche de l’édition suédoise de 1958 inaugure la thématique de la conquête de l’espace, selon Philippe Villemus, directeur-marketing de France 1998, cité dans France Football : « Le Spoutnik soviétique avait été lancé l’année précédente, suivi du premier satellite américain Explorer 1, en janvier 1958 » . Sur un fond jaune printanier, en ombre chinoise, la silhouette juvénile et ludique qui shoote dans la balle joue l’apaisement dans un monde fracturé par la guerre froide. Le ballon prend de la hauteur et embarque joyeusement au ciel la ribambelle de drapeaux marquant les crises Est-Ouest : URSS, Hongrie, RFA, Yougoslavie. Non loin du drapeau fédérateur de la FIFA flotte celui du Brésil, futur champion

#7 - Chili 1962

Coupe du monde 1962 – Chili
Auteur : Galvarino Ponce

L’artiste chilien Galvarino Ponce a poursuivi la thématique de la conquête spatiale, « marquée en cette année 1962 par le premier vol orbital américain autour de la terre, effectué par John Glenn, à bord de la capsule Mercury » , détaille encore Philippe Villemus. Dans l’immensité apaisée de bleu, le ballon satellisé gravite naturellement autour de la Terre. L’humanité n’existe qu’à travers le regard extérieur, lointain et fasciné, qu’elle porte à ce ballet céleste de la planète Terre et de la footosphère. La couleur dorée du Chili (pays hôte tracé tout du long sur le globe) s’accorde avec celle du cuir éclatant du ballon de football quand le lettrage du bas de page s’harmonise avec le ciel blanc nuageux.

#8 - Angleterre 1966

Coupe du monde 1966 – Angleterre

Fin de la séquence « spatiale » avec ce dernier ballon-satellite shooté aux cieux par Willie the Lion, mascotte de ce Mondial anglais et symbole par autodérision du vaste British Empire d’autrefois qui a rapetissé. Sa crinière touffue est une allusion directe aux cheveux longs des groupes pop britanniques, sacrés champions du monde bien avant les Three Lions à Wembley… Le petit polo aux motifs de l’Union Jack témoigne de la fierté forcément bon-enfant du pays inventeur de ce sport ( « Football comes home ! » ) à l’heure d’accueillir le monde entier, converti au beautiful game. La mascotte Willie the Lion déclinée en produits dérivés lancera le business du merchandising des futures World Cups…

#9 - Mexique 1970

Coupe du monde 1970 – Mexique
Auteur : Lance Wyman

Le nouveau ballon Adidas Telstar aux panneaux noirs et blancs a remplacé les ballons à bandes d’antan. Sa géométrie labyrinthique en forme de grenade explosive, noire, massive, quasi totalitaire, renvoie au pouvoir autoritaire mexicain qui avait ordonné le massacre d’étudiants, dix jours avant les JO de Mexico, sur la place des Trois Cultures… L’aspect impersonnel de cette affiche au ballon « déshumanisé » qui éteint la chaleur chamarrée de ce pays de foot a été conçu par le designer américain Lance Wyman. Le formalisme brut contraste avec le lettrage pop tout en rondeurs de « MEXICO 70 » , inspiré du logo Mexico 68 que Wyman avait aussi créé. La Seleção solaire renverra ce visuel aux ténèbres…

Leopoldo Luque

#10 - RFA 1974

Coupe du monde 1974 – Allemagne de l’Ouest

Deux ans après la prise d’otages meurtrière du groupe Septembre noir aux JO de Munich, la RFA accueille la Coupe du monde. Le fond noir du deuil persistant plombe ainsi tout enthousiasme, et le flou vertical voile toute expression du visage du footballeur qui reprend froidement de volée un ballon évanescent… Sa musculature impressionnante, presque monstrueuse, éveille des soupçons d’un dopage largement répandu à l’époque. Elle indique aussi la mutation d’un football bunkérisé devenu plus physique et où les buts sont moins nombreux. Cette affiche, l’une des plus sombres des coupes du monde, annonçait le premier Mondial de la fin de l’insouciance et marqué par des forces de police omniprésentes.

#11 - Argentine 1978

Coupe du monde 1978 – Argentine

L’affiche officielle du Mundial 1978 en Argentine montre deux footballeurs argentins qui fêtent un but. Le footballeur moustachu ressemble même à l’attaquant d’alors, Leopoldo Luque ! Cette célébration annonce bizarrement la victoire finale de l’Albiceleste… Cette affiche est toutefois terrifiante parce que les motifs pointillistes, rouge sang par endroits, qui animent les deux hommes font penser à des impacts de balle. L’Argentine est alors une dictature où la junte militaire torture et tue les opposants… L’un des footballeurs lève les bras en l’air comme lors d’une arrestation. Les couleurs froides ciel et blanc, celles de l’Argentine, dépeignent la froidure australe et l’hiver démocratique.

#12 - Espagne 1982

Coupe du monde 1982 – Espagne
Auteur : Joan Miró

La joie, la fête et la liberté ! Sept ans après la mort du général Franco, la jeune démocratie espagnole s’ouvre joyeusement au monde en accueillant son Mundial, élargi en 1982 à 24 sélections. L’excentrique carton d’invitation est l’œuvre du célèbre peintre catalan Joan Miró, tout dédié à ses chères couleurs primaires. Sa composition surréaliste révèlerait selon certains connaisseurs de l’artiste une facture plus figurative qu’abstraite, car elle représenterait un footballeur célébrant un but… Placée, donc, sous une bonne étoile artistique, validée par la flamboyance du Brésil, de la France ou de l’Algérie, cette Coupe du monde s’achèvera dans le réalisme froid d’une finale Italie-RFA (3-1)…

#13 - Mexique 1986

Coupe du monde 1986 – Mexique
Auteur : Annie Leibovitz

Confier l’affiche officielle d’une Coupe du monde à la photographe américaine Annie Leibovitz, certes talentueuse, mais visiblement peu versée dans la culture football, avait abouti à ce photomontage ni fait ni à faire. À la place du mythique ballon Tango des années 1980, c’est un Adidas Telstar mal détouré qui figure au milieu de statues aztèques toutes de traviole… On ignore si la silhouette en ombre portée sur l’une d’elles et qui s’apprête à shooter montre ses muscles ou bien fait un bras d’honneur (comme celui de Maradona contre l’Angleterre ?). Le lettrage « MEXICO 86 » a la ringardise de cartes postales, et le tout indique l’impréparation bordélique de ce Mundial attribué au départ à la Colombie…

#14 - Italie 1990

Coupe du monde 1990 – Italie
Auteur : Alberto Burri

« L’idée extraordinaire d’utiliser une photo en négatif du Colisée résume ce que fut cette Coupe du monde 1990 en Italie sur le plan sportif, certainement la plus pauvre » , analysait Philippe Villemus. Et la finale Allemagne-Argentine fut d’une tristesse consternante. La « négativité » en noir et blanc fantomatique conçue par l’Italien Alberto Burri enserre jusqu’à l’étouffement le petit terrain de football parsemé de drapeaux colorés. La pression de l’enjeu a dépassé le jeu… L’allusion aux arènes de l’Antiquité traduit, tels les combats des gladiateurs, l’évolution d’un football devenu impitoyable et réveille le slogan « du pain et des jeux ! » qui fera bientôt la gloire politique de Silvio Berlusconi…

#15 - États-Unis 1994

Coupe du monde 1994 – États-Unis
Auteur : Peter Max

America first ! Vainqueur de la guerre froide, l’Amérique investit l’imaginaire football de la Coupe du monde qu’elle organise en 1994 en étendant son imperium sur terre et dans tout l’univers. La sonde spatiale américaine Ulysses se rapproche du soleil, confortant les États-Unis dans leur suprématie de nation numéro un et qui aime le reste du monde (cf. le petit cœur sur la bannière étoilée). L’artiste new-yorkais Peter Max a imaginé un footballeur qui accomplit dans l’espace flashy une bicyclette. Son envol pareil à celui des super-héros de Marvel (entre Captain America et Spiderman) trahissait-elle la fausse passion d’un pays pour qui le football n’était encore que de l’entertainment ?

#16 - France 1998

Coupe du monde 1998 – France
Auteure : Nathalie Le Gall

Footix, Jules, Guivarc’h et l’affiche de Nathalie Le Gall sont les quatre ratages de France 1998. Nathalie, étudiante aux Beaux Arts de Montpellier, a conçu ce visuel « moderniste » à l’aide de collages, de gouaches et de fragments d’IRM : « C’est assez amusant de représenter le public d’un stade de foot par des images issues d’un corps humain » , s’émerveillait-elle dans France Football. Vue du ciel qui fige les passions dans l’immobilisme, stade à l’anglaise aux angles contondants, tracé minimaliste du terrain de football, froideur du bleu TF1… On comprend mieux le parcours souvent laborieux et monotone des Bleus de Jacquet avant le feu d’artifice du 12 juillet à Saint-Denis !

#17 - Corée-Japon 2002

Coupe du monde 2002 – Corée du Sud & Japon
Auteurs : Byun Choo Suk & Hirano Sogen

En 2002, pour la première co-organisation de la Coupe du monde au Japon et en Corée du Sud, ce sont deux artistes de chaque pays, le Coréen Byun Choo Suk et le Japonais Hirano Sogen, qui en ont créé l’affiche officielle. C’est dans la grande tradition calligraphique asiatique que les deux créateurs ont conçu sur fond blanc d’estampe des visuels à la brosse et à l’encre qui ont été ensuite assemblés. L’ensemble cohérent qui dépeint une vue plongeante dynamique d’un terrain de football peint aux couleurs traditionnelles locales suggère le futur décollage des deux « petites » sélections aux ambitions affichées : le Japon atteindra les huitièmes et la Corée du Sud décrochera la quatrième place !

#18 - Allemagne 2006

Coupe du monde 2006 – Allemagne
Auteur : WE DO Communication

À l’ère des grands débats participatifs, on fit voter le peuple allemand repu et prospère afin qu’il choisisse lui-même l’affiche officielle de sa Coupe du monde 2006. Le visuel conçu par l’agence berlinoise WE DO Communication l’emporta paresseusement sur quatre autres concurrents : un ballon de foot à la rondeur approximative formé par des constellations étoilées scintille dans la nuit bleutée. Ce concept follement original, censé susciter « le désir et le rêve » (sic), témoignait implicitement de l’idéal de normalité d’un football allemand, autrefois conquérant, mais rentré dans le rang. Et la Mannschaft « Sam’suffit » de Jürgen Klinsmann décrocha sans scintiller une sympatoche troisième place.

#19 - Afrique du Sud 2010

Coupe du monde 2010 – Afrique du Sud
Auteurs : Gaby De Abreu & Paul Dale

Pour la première Coupe du monde en Afrique, les créateurs Gaby De Abreu (pas celui qui met des panenka) et Paul Dale ont réalisé pour cette édition sud-africaine l’une des plus belles affiches de son histoire. Sur fond jaune chaleureux, c’est la jeunesse africaine personnifiée par un footballeur à la peau d’ébène et aux contours dessinant un continent noir borduré de rouge-vert-or qui est mise à l’honneur. Fait-il une tête ou bien contemple-t-il, yeux tournés vers le ciel, le ballon astral (qui n’est pas le Jabulani) annonciateur d’une aube nouvelle du football africain ? Le magnifique Ghana frôlera d’un rien les demi-finales, remettant à plus tard les promesses d’un football d’Afrique qui rêve toujours les yeux grands ouverts.

#20 - Brésil 2014

Coupe du monde 2014 – Brésil
Auteure : Karen Haidinger

À travers ce logo et cette affiche officielle, c’est sous le signe évident de l’écologie que le Brésil a présenté sa Coupe du monde. Un an avant la COP 21, l’affiche conçue par la créatrice brésilienne Karen Haidinger expose son pays tel un espace blanc aux contours définis par deux jambes de footballeurs se disputant un ballon. La luxuriance de faune, de flore et de cultures entoure cet espace vierge où le lettrage du mot Brazil s’achève en arborescence végétale. Comme si la nature reprenait ses droits… La déforestation accélérée de l’Amazonie, tout comme la question sociale, pèsent davantage dans un Brésil moderne moins passionné de futebol et exempt de vagues de suicides au soir du « Mineiraço » (1-7).

#21 - Russie 2018

Coupe du monde 2018 – Russie
Auteur : Igor Gurovich

Inspirée du Constructivisme, l’affiche conçue par l’artiste russe Igor Gurovich représente le légendaire Lev Yachine. Depuis l’URSS, le gardien de but décline la symbolique très politique de gardien de la nation : sur l’énorme ballon (celui de l’Euro 1960 remporté par l’URSS) que l’Araignée noire capte de la main gauche, la carte géographique de la patrie Russie est d’ailleurs dessinée. En 2018, Vladimir Poutine et le gardien Igor Akinfeev (héros russe de ce Mondial) ne font donc qu’un… Les onze faisceaux lumineux qui se dégagent du ballon représentent les onze villes hôtes de ce Mondial au terme duquel un autre gardien, Hugo Lloris, soulèvera le trophée sous la pluie moscovite.

#22 - Qatar 2022

Coupe du monde 2022 – Qatar
Auteure : Bouthayna Al Muftah

C’est presque sans surprise que la créatrice qatarie Bouthayna Al Muftah a opté pour la photo plutôt qu’un autre support pour célébrer la Coupe du monde au Qatar, une première dans le monde arabe. Le dénuement de la composition mangée par le ciel atteste d’un imaginaire vierge de toute culture foot et d’un pays sans passé historique. Le cliché en noir et blanc montre une main lançant au ciel une ghutra (coiffe traditionnelle) et une agal (son cordon noir) : c’est ainsi qu’on célèbre les buts dans la Péninsule arabique ! Les panneaux blanc et brun-bordeaux (couleurs du Qatar) du ballon rompent à peine la monotonie monochrome d’une Coupe du monde hivernale qui ne déchaîne toujours pas les passions…

Par Chérif Ghemmour

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