- Mondial 2022
- Phase de poules
Coupe du monde 2022 : Touche pas à ma troisième journée !
Dans quatre ans en Amérique du Nord, la Coupe du monde à 48 participants obligera la FIFA à revoir le format de la compétition. On peut déjà lui faire passer la doléance de garder des groupes de quatre, et donc ces derniers matchs simultanés, garantie d'une dramaturgie savoureuse.
Les écrans lumineux du stade Al-Janoub affichent alors la 85e minute de jeu, dans ce Ghana-Uruguay où tout semble plié. Du moins en ce qui concerne le résultat de ce match. Pourtant, le score de 2-0 en faveur de la Celeste s’efface un instant pour indiquer celui en cours dans la rencontre Corée du Sud-Portugal se disputant à quelques kilomètres de là. Sans en avoir les images, sans que personne sur leur banc ne les en informe, les Uruguayens virtuellement qualifiés depuis une cinquantaine de minutes et le doublé de Giorgian De Arrascaeta apprennent en direct que les Guerriers Taeguk viennent de prendre l’avantage contre le Portugal. Panique et larmes à bord : alors que les Sud-Américains pensaient rouler doucement vers les huitièmes de finale, les voilà obligés de s’arracher pour marquer ce petit but, qui leur permettrait de devancer sur le gong un rival qui compte le même nombre de points qu’eux, le même goal-average, mais une meilleure attaque.
Edinson Cavani, Maxi Gómez et tutti quanti se remettent la tête dans le guidon, et se lancent dans les cinq dernières minutes et les huit du temps additionnel comme dans un sprint. Tension, passion, absurdité, tout y est. Les Ghanéens, bien qu’assommés par leur propre sort, comprennent qu’ils tiennent là l’occasion de rendre la monnaie d’une pièce qu’ils ont dans leur poche depuis 12 ans, l’élimination cruelle par cette même nation. Fin de la partie : le premier champion du monde de l’histoire est vainqueur, mais éliminé de la compétition, évacuant sa frustration sur l’arbitre de la rencontre. Ce genre de ficelle scénaristique est permis par une seule chose : une poule de quatre équipes dont la troisième et ultime journée se joue simultanément.
Pour le plaisir
Gianni Infantino et les penseurs de la FIFA doivent le savoir, ces mini-multiplex donnent forcément un intérêt augmenté à ces rencontres. Certes, les téléspectateurs doivent choisir leur match à suivre, s’ils n’ont pas un double écran, mais cette « perte » à la médiamétrie est forcément compensée par un gain de dramaturgie. Mercredi, l’Australie a éteint les espoirs danois et tunisiens d’une pierre deux coups. Plus tard dans la journée, ce sont les Polonais qui apprenaient grâce à leurs journalistes qu’ils étaient qualifiés en huitièmes de finale, malgré la défaite contre l’Argentine et la victoire mexicaine. Et ce, uniquement à la faveur d’un meilleur fair-play que la Tri. Jeudi, l’Allemagne et l’Espagne étaient toutes les deux éliminées par le Costa Rica et le Japon le temps de deux minutes, même si la soirée ne sera fatale qu’à la première.
À chaque fois, les émotions n’en sont que décuplées, comme si ce système encourageait cette torture psychologique et ces calculs faits à l’emporte-pièce. Les Allemands ne pourront pas s’en plaindre, c’est en partie à cause d’eux qu’il a été mis en place, alors qu’ils s’étaient entendus avec leurs voisins autrichiens pour sortir l’Algérie en 1982, vainqueur un peu plus tôt du Chili et donc en lice pour passer au tour suivant en cas de défaite ou de match nul de la Nationalmannschaft. En 2026, la Coupe du monde accueillera sur sa ligne de départ douze équipes supplémentaires, et les plans initiaux laissent penser que la FIFA laissera trois équipes s’écharper au premier tour, signant donc l’arrêt de ces matchs simultanés à couteaux tirés. Il est même question d’introduire des séances de tirs au but pour s’empêcher des nœuds au cerveau. Pourtant, tout n’est pas encore fixé. Selon le Guardian, « bien que la position de la FIFA reste inchangée, il y a eu des discussions informelles, à Doha, concernant les avantages de conserver les groupes à quatre équipes ». Que les responsables du tournoi s’arrangent comme ils veulent, tant qu’on a douze groupes de quatre au départ pour s’assurer un sprint intermédiaire délicieux avant les cols de la phase finale.
Par Mathieu Rollinger, au stade Al-Janoub