- Foot et immunité
Coronavirus : comment optimiser tactiquement ses défenses immunitaires
À l'heure où le Covid-19 paralyse le football, l'épidémie remet aussi en cause les principes tactiques les plus ancrés. Pour continuer à jouer, les penseurs du ballon rond vont devoir s'adapter et remettre au goût du jour une philosophie de jeu bien connue : les défenses immunitaires. Un concept tactique qui mêle la rigueur de l'Atlético de Madrid de Diego Simeone, le football total de l'Ajax et le pressing d'Arrigo Sacchi.
Défense de zone, défense individuelle, catenaccio, défense en avançant, contre-pressing… Au fil des ans, les grands principes à la mode ont toujours influencé la manière de défendre à un moment T d’une équipe. Aujourd’hui, alors que la majorité du football européen restera à l’arrêt pendant plusieurs semaines, le gegenpressing va progressivement devenir désuet, pour être remplacé par un nouveau concept : les défenses immunitaires. Un concept directement lié à la performance, bien sûr, mais qui est aussi cardinal pour simplement rester en vie. Dans une moindre mesure, s’il est mal maîtrisé, ce système peut rapidement faire courir un danger à son propriétaire footballistique, à l’image de l’angine « carabinée » de Kylian Mbappé avant PSG-Dortmund, mercredi dernier, ou de la fameuse gastro de N’Golo Kanté avant la finale du Mondial 2018. Il est donc essentiel de le travailler en profondeur pour ne pas transformer cet atout en ennemi de l’intérieur.
Mais qu’est-ce donc que ces fameuses défenses immunitaires, dont le monde du ballon rond nous bassine depuis plusieurs semaines ? « Les défenses immunitaires sont des cellules et des protéines spécifiques, programmées pour protéger notre organisme et éliminer une menace extérieure lorsque celle-ci est détectée » , pose Yannick Hamon, chargé de recherche INSERM au Centre d’immunologie de Marseille-Luminy. « Il est constitué de deux lignes de défense. La première est composée d’attaquants (les phagocytes) chargés de faire le pressing, tandis que la deuxième est formée par de vrais défenseurs (les lymphocytes) qui concluent le travail des attaquants. » Avant toute chose, il faut comprendre que les défenses immunitaires sont un système avant tout défensif. « C’est un mécanisme passif tant qu’il n’est pas attaqué. Il est dans la réaction, pas dans l’action. » Mais une fois que l’adversaire a posé le pied sur le ballon, branle-bas de combat ! « Les cellules et protéines pratiquent un pressing tout-terrain et hyper-agressif en cas d’intrusion. Et quand l’adversaire entre dans la surface (la circulation sanguine), avec pour objectif de marquer un but dans la moelle osseuse (le réservoir de cellules souches à vocation immunitaire), c’est l’alerte générale : on bétonne tout » , tranche Yannick Hamon.
Une philosophie défensive, avec Didier Deschamps comme profil type
Point positif : les défenses immunitaires font appel aux qualités naturelles des joueurs. « C’est l’immunité innée » , rappelle Yannick Hamon. Dans ce système s’encastrent donc idéalement tous les petits génies de la balle, les Mozart du football. Mais attention : faire reposer ce système sur ses individualités serait une grave erreur. Car sans fil directeur, sans intelligence de jeu, celles-ci se marcheraient sur les pieds et s’emmêleraient les pinceaux au moment d’atteindre leur objectif commun. « Le système immunitaire se défend contre les agressions extérieures, mais il doit d’abord tolérer son monde intérieur » , souligne Yannick Hamon. « Quand c’est lui qui prend l’offensive, ça crée des pathologies auto-immunes, c’est-à-dire qu’il attaque ses propres cellules. C’est la dernière chose à faire. » Autrement dit : un Raheem Sterling, c’est oui, mais seulement si Pep Guardiola a pris sa température et validé un bilan de santé complet avant le match. Et en lui passant constamment un savon.
Dans ce système, les artistes doivent donc être gardés sous contrôle. On l’aura compris : les défenses immunitaires sont avant tout une philosophie défensive, qui repose sur un collectif bien huilé, manœuvré par de bons petits soldats. Des joueurs qui respectent à la lettre les consignes du coach et qui imposent une bataille de tous les instants. « Effectivement, ce seraient plus des joueurs du milieu, des récupérateurs féroces. Mais attention, ils doivent aussi être des organisateurs, des créateurs parce qu’ils doivent museler l’adversaire pour en offrir une version plus faible à la défense. Ce sont des joueurs qui font jouer les autres. Le profil type, ce serait Didier Deschamps à l’époque de Nantes. » Des joueurs qui restent néanmoins inhibés voire bridés par la philosophie en vigueur : « Chaque cellule a sa fonction dans le quadrillage du terrain. On ne peut pas demander à un lymphocyte T – un défenseur – de se muer en attaquant – un phagocyte. » Un système qui semble donc moins adapté au football moderne, fait d’appels incessants et de dépassements de fonction constants.
Un football total qui a ses failles
Une fois maîtrisé, ce système peut aussi être optimisé tactiquement. Alors quelle configuration tactique adopter pour bonifier ses effets ? « Il faudrait commencer le match en 3-5-2, ou avec trois attaquants pour maximiser la première ligne de défense » , juge le technicien Yannick Hamon, grand admirateur du jeu à la nantaise et de la grande époque des Canaris. « Puis, en cours de match, il faut faire rebasculer le système en fonction du score, des forces et des faiblesses de l’adversaire. On passe à cinq défenseurs si l’attaque adverse fait des dégâts, on passe à un 4-4-2 offensif si l’adversaire a du mal à sortir de son camp… Le système immunitaire, c’est du football total : on attaque ou on défend à 11 en fonction du score et de l’adversaire. »
Redoutable quand il est bien en place, le système immunitaire ne laisse quasiment rien passer en défense. Lui marquer un but est une tâche compliquée, mais pas impossible. Yannick Hamon explique comment s’y prendre : « L’attaquer de manière frontale, en concentrant ses attaques dans l’axe, ça ne sert à rien. Ce qu’il faut, c’est se proposer entre les lignes sans se faire repérer. On peut par exemple rejoindre un endroit moins dense du terrain (une cellule), avant de brusquement déclencher un appel gagnant après un long temps passé à se faire discret. Enfin, on peut le faire déjouer, le pervertir, en faisant dégoupiller ses propres joueurs, en les faisant passer pour des adversaires. » Ainsi, plutôt que de chercher à accabler Diego Costa ou Pepe pour leur tendance à vriller, il faudrait plutôt se pencher sur leur système immunitaire pour comprendre quel club les envoie vraiment. Qui l’eût cru ? Avant d’être d’excellents joueurs de football, Diego Costa et Pepe sont surtout des infiltrés de génie, rouages essentiels d’un grand complot orchestré par les plus grandes puissances du foot mondial pour prendre le contrôle sur leurs rivaux. Heureusement, finalement, que le Covid-19 est passé par là pour révéler cet enfumage au grand jour.
Par Douglas de Graaf
Propos de Yannick Hamon recueillis par DDG