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Corée du Sud, l’autre armée rouge
Comme à son habitude, la Corée du Sud a embarqué des apprentis soldats au Mondial, qui effectuent présentement leur service militaire. Un impératif pour presque tous les joueurs coréens, obligés d'organiser minutieusement leur carrière en fonction des deux ans de service national qu'ils doivent entamer avant leurs 28 ans. Un vrai défi, surtout pour les plus talentueux d'entre eux.
Cette fois-ci, ils devraient être trois à payer leur respect au drapeau. Face à la Suède ce lundi, les défenseurs Hong Chul, Kim Min-woo et le milieu de terrain Ju Se-jong devront se fendre d’un salut solennel quand l’hymne national sud-coréen résonnera dans les travées du stade Nijni Novgorod. En Corée du Sud, on ne déconne pas avec la procédure : les trois internationaux effectuent actuellement leur devoir national de deux ans au pays, et ce n’est pas la parenthèse d’un mois que constitue la Coupe du monde qui doit leur faire oublier leur engagement. Le service militaire, oui. Un indispensable pour tout citoyen coréen de sexe masculin. Même pour un type comme Park Jae-sang aka Psy, capable d’ambiancer la planète entière avec cette saloperie de Gangnam Style.
Call of duty
Qu’importe leur statut, les footballeurs coréens ne peuvent pas échapper à leur devoir. Et se voient ainsi obligés de sacrifier avant leurs 28 ans deux ans de leur carrière pour se former aux arts de la guerre. Un impératif auxquels certains petits malins ont évidemment tenté d’échapper. Comme l’ancien Asémiste Park Chu-young, qui avait obtenu un statut de résident monégasque pour dix ans qui lui permettait légalement de repousser son service militaire d’une décennie. Une bonne idée sur le papier ? Beaucoup moins en pratique, la petite combine du joueur ayant créé une polémique monstrueuse au pays.
Ce qui conduira l’attaquant à faire des excuses publiques en juin 2012, ce dernier déclarant qu’il était finalement prêt à effectuer son devoir national : « Je comprends la grande controverse que ma décision a provoqué… Je veux d’abord m’excuser auprès de toutes les personnes que j’ai pu décevoir. » Ironie du sort, le joueur sera finalement exempté de service militaire en remportant la médaille de bronze aux JO de Londres de 2012 avec son équipe nationale. Les footballeurs coréens ont en effet une seule et unique solution pour être exempté du devoir militaire : remporter une médaille aux Jeux olympiques, ou une médaille d’or aux Jeux asiatiques. Ceux qui avaient atteint la demi-finale de la Coupe du monde 2002 avaient eux aussi été, de manière exceptionnelle, exemptés de service militaire en récompense de leur exploit sportif.
Pour l’immense majorité des footballeurs professionnels coréens, l’armée reste donc un passage obligatoire. Pour que leur niveau balle au pied ne dégringole pas non plus complètement pendant les deux ans où ils servent sous le drapeau, des solutions alternatives existent sous la forme de deux clubs un peu particuliers répondant au nom du Sangju Sangmu FC et du Ansan Police FC. Institution multisport fondée au milieu des années 1980, le Sangju Sangmu est le club de l’armée, créé à la base pour maintenir en forme les sportifs qui doivent effectuer le service militaire obligatoire et qui seront susceptibles de participer aux prochains JO. Sa section football accueille uniquement les joueurs effectuant leur service militaire actif (c’est-à-dire ceux qui intègrent un des corps de l’armée, comme l’armée de terre ou de l’air).
Deux clubs, deux ambiances
Ceux effectuant un service militaire non actif, qui peut notamment être validé au sein d’un service public comme la police ou les pompiers, rejoignent le bien nommé Ansan Police FC, le club des forces de l’ordre. Le principe de fonctionnement des deux clubs est savamment rodé : les footballeurs professionnels coréens devant effectuer leur devoir national y sont envoyés deux saisons en prêt. Leur emploi du temps y est alors aménagé pour que les joueurs puissent se former aux exercices militaires, tout en continuant de se frotter au football professionnel. Détail important : le Sangju Sangmu évolue en K League (première division coréenne) alors que l’Ansan Police joue à l’échelon inférieur, en K League 2.
S’astreindre à évoluer deux saisons au Sangju Sangmu ou à l’Ansan Police ne condamne ainsi pas la carrière de l’international coréen moyen. À l’image de Ju Se-Jong, actuellement prêté deux saisons par le FC Séoul à l’Ansan et qui est de l’aventure russe avec la sélection. La perspective reste néanmoins compréhensiblement moins attrayante pour les Sud-Coréens évoluant dans des championnats plus relevés. Du haut de ses 25 piges, Son Heung-min, l’ailier de Tottenham et actuelle star de la sélection, sait d’ailleurs qu’il devra d’ici deux à trois ans rentrer au pays pour effectuer son devoir national. À moins qu’il ne parvienne à convaincre la direction des Spurs de le laisser participer aux Jeux asiatiques de 2018, qui se tiendront du 18 août au 2 septembre prochain. Une compétition où il devra décrocher la médaille d’or pour être dispensé du service militaire. Dans le cas contraire, on pourrait bien le retrouver au garde-à-vous, lorsque l’hymne coréen résonnera dans les stades qataris, lors du Mondial 2022.
Par Adrien Candau