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  • Étape 1 : contre la montre de Düsseldorf

Contre mauvaise fortune bon cœur

Par Julien Duez
Contre mauvaise fortune bon cœur

Manchester City a les frères Gallagher, le Fortuna Düsseldorf a les Toten Hosen. Ce groupe punk allemand compte parmi les plus populaires chez nos voisins d'outre-Rhin depuis plusieurs décennies et il n'a jamais caché son amour pour cette équipe à la fois bancale et terriblement attachante. S'ils poussent la chansonnette pour le grand départ du Tour, le premier à démarrer d'Allemagne depuis trente ans, cela risque de plus déménager qu'avec Yvette Horner.

En Allemagne, le football est bien souvent une affaire de clocher. Pas question de supporter Dortmund si l’on vient de Gelsenkirchen, inconcevable d’arborer les couleurs du Bayern quand on est originaire de Hambourg. Un principe qui vaut pour chacun, des anonymes aux célébrités. Les Toten Hosen ont vu le jour à Düsseldorf, c’est donc le Fortuna qu’ils portent dans leur cœur. C’est au début des années 1980 que naît la légende de l’un des groupes les plus populaires d’Allemagne. Précurseurs dans l’âme, ils remixent certains de leurs morceaux avec des rythmes hip-hop, alors que ce courant a à peine traversé l’Atlantique. Progressivement, leurs chansons oscillent entre textes engagés (le plus souvent contre l’extrême droite) et humour potache. Le succès ne met pas longtemps à arriver et les Toten Hosen enchaînent albums et tournées dans les quatre coins du pays, mais aussi à l’étranger, du bloc soviétique à l’Amérique du Sud. Si le nom du groupe se traduit littéralement en français par « les pantalons morts » , il provient en réalité de l’expression allemande « hier ist tote Hose » , ce qui signifie « ici, il ne se passe rien » . Comme un clin d’œil à la réalité du Fortuna Düsseldorf.

Des Deutsche Marks pour se payer une jambe

Fondé en 1895, le Fortuna est un mammouth du football allemand. Son palmarès est modeste (un titre de champion en 1933, deux Coupes d’Allemagne en 1979 et 1980) et son parcours chaotique. S’il est parvenu à disputer quelques joutes européennes, son nom rime davantage avec la D2, où il évolue encore aujourd’hui. Mais à l’insuccès sportif s’ajoute également une gestion hasardeuse. Plusieurs fois, la faillite menace. Les fonds manquent pour constituer un noyau de joueurs performants. En 1989, un soutien inattendu va pourtant y remédier une première fois. Alors que le Fortuna, une fois n’est pas coutume, termine champion de D2, il se doit de trouver un leader qui l’aidera à se maintenir dans l’élite. Tous les regards se tournent vers un jeune Germano-Ghanéen de vingt-quatre ans : Anthony Baffoe, que l’on connaît aussi du côté de Metz et de Nice.

Alors qu’il évolue de l’autre côté du Rhin, au Fortuna Cologne, il se dit prêt à traverser le fleuve pour aider Düsseldorf dans son aventure en Bundesliga, mais le club est à court de finances pour compléter son transfert. Les Toten Hosen ont alors une idée pour faire venir celui qu’ils considèrent comme un « ami de la maison » : pour chaque billet vendu au cours de leur tournée, un mark sera reversé au club. Une sorte de crowdfunding avant-gardiste qui s’avère gagnant : le groupe récolte quelque 150 000 marks (environ 75 000 euros) et devient symboliquement propriétaire de la jambe droite d’Anthony Baffoe, qui défendra les couleurs du Fortuna Düsseldorf pendant deux saisons. Mieux encore, la somme récoltée permet de recruter un jeune talent du Bayern : Oliver Gensch. Sauf qu’il n’entrera pas autant dans la légende que Baffoe, puisqu’il ne compte à son actif que neuf petites minutes de jeu lors d’un match de coupe.

Au tournant du XXIe siècle, lorsque les finances du club sont de nouveau dans le rouge, le groupe n’hésite pas à remettre la main à la poche et règle les quatre millions d’euros de dette du Fortuna, qui lui auraient coûté sa licence et valu d’être relégué en D4. Pendant deux saisons, les Toten Hosen deviennent alors sponsor principal et leur logo apparaît partout, des billets au maillot. Un maillot devenu culte et qui se monnaye aujourd’hui plusieurs centaines d’euros sur les sites d’enchères. Le club en vendra 30 000 en deux saisons et les bénéfices lui permettent de se remettre à flot en redémarrant sur des bases financières saines. Dix ans plus tard, en 2012, on revoit Düsseldorf en Bundesliga, mais l’aventure ne dure qu’une seule saison. Une saison où les Toten Hosen sont élevés au rang de membres d’honneur de leur club par la direction. La cérémonie a lieu avant la rencontre face au Bayern. Un choix loin d’être dû au hasard, lorsque l’on connaît le peu de sympathie que le groupe porte à l’Étoile du Sud.

On n’ira jamais au Bayern

Trop gros, trop forts, trop arrogants… Comme dans n’importe quel championnat, les cadors ont tendance à agacer et celui qui remplit ce rôle en Allemagne est évidemment le Bayern Munich. En 1999, les Toten Hosen parviennent à rassembler tous ses détracteurs à travers une chanson au titre pour le moins évocateur : Bayern. « Est-ce que la vie n’est pas trop belle pour la gâcher en allant au Bayern ? » , « Quel genre de parents faut-il avoir pour en venir à signer un contrat dans cette équipe de merde ? » , les phrases assassines ne manquent pas et le refrain résonne comme un sacerdoce : « On n’ira jamais au Bayern ! » Jamais avares d’une provocation, les Toten Hosen se permettent de la jouer en 2013 à Munich alors que la salle est comble. Mais les huées du public ne parviennent pas à couvrir la joie de faire un pied de nez à ces arrogants Bavarois, qui viennent de remporter un nouveau triplé Coupe-championnat-Ligue des champions.

En plus de trente ans de carrière et quasiment autant d’albums, les Toten Hosen ont autant marqué le paysage musical allemand qu’ils ont contribué à maintenir la tête du Fortuna Düsseldorf hors de l’eau. Une passion pas forcément discrète, mais terriblement sincère. Peu d’équipes de seconde zone peuvent revendiquer un tel soutien. Le jour où le leader charismatique Campino et sa bande passeront l’arme à gauche, nul doute que leurs statues viendront rejoindre celle de l’ancien gardien de but Toni Turek à l’entrée de l’Esprit Arena. Parce qu’à Düsseldorf, on connaît la valeur de ses légendes.

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Par Julien Duez

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