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Contrats de travail : vers « du cas par cas »
L'OL va-t-il devoir se fader Mapou Yanga-Mbiwa deux mois de plus ? L'OM devra-t-il raquer pour s'assurer la présence de Yohann Pelé sur son banc jusqu'à la fin de saison ? L'ASM va-t-elle finir le championnat avec Nacer Chadli et Jordi Mboula sur les ailes ? Autant de questions brûlantes soulevées par la recommandation récente de la FIFA de prolonger les contrats des joueurs libres au 30 juin prochain jusqu'au terme - encore inconnu - de la saison 2019-2020. Une mesure réalisable, mais qui restera soumise au bon vouloir des clubs et des joueurs comme aux accords entre les différentes parties, rappelle Me Jules Plancque, avocat parisien spécialisé dans le droit du sport.
De quelle durée seront ces prolongations ?
De la même façon que Noël tombe chaque année le 25 décembre, le terme des contrats des footballeurs pros en Europe intervient dans la quasi-totalité des pays européens le 30 juin, date inscrite aux règlements nationaux (notamment celui de la FFF) et correspondant à la deadline des championnats (sauf ceux se disputant sur une année civile). Dans les deux cas, déplacer cette échéance passe donc en premier lieu par un bouleversement des calendriers, lequel ne pourra intervenir qu’une fois la date de reprise connue. Celle-ci ne pourra probablement pas être commune à tous les championnats, l’épidémie de coronavirus et l’avancée de la saison n’en étant pas au même stade d’un pays à l’autre. « Une mesure uniforme paraît donc difficilement réalisable, tranche Jules Plancque, avocat parisien spécialisé dans le droit du sport. Il y aura simplement à mon avis une date butoir, pour que les compétitions 2020-2021 reprennent à une même période, et éviter qu’une compétition nationale 2020-2021 commence dans un pays X alors que le pays Y voisin n’a pas encore terminé la saison 2019-2020. » Patience, donc.
Juridiquement, qu’est-ce que ça implique ?
Une fois cette date butoir fixée, « il faudra une modification des textes pour permettre aux clubs de faire signer à leurs joueurs libres au 30 juin des avenants à leur contrat de travail » , indique Jules Plancque. Avenants qu’il conviendra de ratifier au plus tard le 30 juin, la Cour de cassation considérant comme nul « un avenant signé après le commencement du renouvellement » . Mais aussi pour s’éviter tout rendez-vous futur devant les prud’hommes. Car si certaines dispositions du Code du travail n’ont pas été transposées au Code du sport, ce n’est pas le cas de l’article L. 1243-11 du Code du travail. Cet article prévoit que « lorsque la relation contractuelle de travail se poursuit après l’échéance du terme du contrat à durée déterminée, celui-ci devient un contrat à durée indéterminée » . « À supposer donc que le contrat de travail d’un joueur ou d’un entraîneur se poursuive sans avenant de prolongation à durée déterminée au-delà du terme prévu du 30 juin 2020, traduit Jules Plancque, ledit contrat de travail deviendra un contrat de travail à durée indéterminée, avec toutes les conséquences – notamment procédurales en cas de rupture du contrat – qui en résultent. » Pas forcément un problème si le joueur en question se nomme Vitorino Hilton. Un peu plus s’il s’appelle Grégory Sertic…
Peut-on vraiment parler de prolongations « automatiques » ?
Philippe Piat, le président de la FIFPro, syndicat international réunissant 42 assos nationales de joueurs professionnels (dont l’UNFP), parlait récemment de cette mesure à laquelle il se montre favorable comme d’une « décision politique » . Néanmoins, « aucune instance, internationale ou nationale, ne peut imposer la prolongation d’un contrat de travail aux clubs et aux joueurs, et aucun club ne peut l’imposer à un joueur » , avertit Jules Plancque, rejoint sur le sujet par celui qui préside aussi l’UNFP. Si des prolongations automatiques ont un temps été évoquées, on s’oriente donc vers des renouvellements à la carte. Et tant pis pour Eric Maxim Choupo-Moting : « Ce sera uniquement une question de gestion d’effectif : le club a-t-il besoin de trois ou quatre semaines de plus d’un joueur dont le contrat devait initialement expirer au 30 juin ? Ce sera du cas par cas. Quant aux joueurs, ils pourront toujours refuser cette prolongation, pour quelque raison que ce soit, qu’ils se soient engagés ailleurs ou non, qu’ils soient en mauvais termes ou non avec leur club. » Mieux : alors que l’agent de joueurs Christophe Hutteau évoquait le 22 mars dans La Provence des extensions de baux « aux mêmes conditions salariales » , ces derniers pourront jouer la surenchère si cela leur chante. « Il faudra se mettre d’accord sur les conditions, spécifiquement financières, de prolongation, assure Jules Plancque. Une négociation devra avoir lieu, sachant que la prolongation n’est pas automatique, et que l’accord du joueur est nécessaire. » Edinson Cavani se frotte déjà les mains.
Ces prolongations peuvent-elles faire foirer certains deals ?
La règle est connue : un joueur se trouvant à moins de six mois de la fin de son contrat peut s’engager librement et gratuitement pour la saison suivante avec le club de son choix. Si le joueur en question prolonge son bail d’un ou deux mois dans son club actuel, le deal pourrait-il être rendu caduc, ou son club actuel réclamer une indemnité de transfert ? Son futur club pourra-t-il réclamer un dédommagement en cas de blessure, voire faire annuler le transfert si celle-ci est grave ? « Un joueur en fin de contrat au 30 juin 2020 qui aurait conclu à compter du 1er janvier 2020 un accord avec un club qui entrerait en vigueur le 1er juillet 2020 doit en principe rejoindre ce dernier à compter de cette date, balaie Jules Plancque. Pour autant, si toutes les parties concernées se mettent d’accord pour repousser la prise d’effet du contrat le temps que le joueur finisse la saison avec son club actuel, nul doute que toutes les précautions seront prises pour que le joueur rejoigne librement son club futur une fois la saison achevée, et, naturellement, aucune indemnité ne devrait être due puisque le joueur ne rejoindrait ce dernier qu’une fois son contrat de travail avec son club actuel expiré. Peut-être que certains clubs futurs pourraient essayer de monnayer un tel accord, mais cela serait plutôt malvenu en pareille période. » La morale suffira-t-elle à dissuader la Juve, passée maître dans le recrutement de joueurs libres, de se faire de l’argent facile ? Réponse cet été.
Les clubs pourront-ils finir la saison avec leurs recrues ?
Selon Jules Plancque, « le fait que la date de fin des compétitions puisse être reportée au-delà du 30 juin 2020 ne devrait pas remettre en cause des situations licitement établies. Si un joueur a signé avec un club à compter du 1er juillet, le contrat est en principe effectif, et il doit donc rejoindre son nouveau club. » Sans être qualifié pour disputer la fin de saison sous ses nouvelles couleurs pour autant. « On se trouvera dans la configuration des matchs remis ou à rejouer, pose l’avocat. Les règlements de la LFP prévoient qu’en cas de match à rejouer ou match remis, seuls sont autorisés à participer les joueurs qualifiés dans le club lors de la rencontre initiale, à condition qu’ils ne soient pas suspendus. » La règle vaut aussi pour les joueurs prêtés, qui ne pourront être utilisés par leur club d’origine si leur mutation temporaire n’est pas prolongée. « À moins, glisse Jules Plancque, que les instances n’adoptent une dérogation à l’article 538 du règlement des compétitions de la LFP… Mais ce serait contraire à toute logique d’équité sportive. » Robert Moreno devra donc attendre la saison prochaine pour disposer des 45 « recrues » disséminées dans toute l’Europe par l’ASM l’été dernier.
Par Simon Butel
Propos de JP recueillis par SB