- Médias
Conflit TF1/Canal+ : écran noir sur les Bleus pendant le Mondial ?
Depuis le 2 septembre dernier, Canal+ ne diffuse plus aucune chaîne du groupe TF1. En cause : un différend commercial qui tarde à être réglé, entre deux mastodontes de l’audiovisuel fermement décidés, pour le moment, à camper sur leurs positions. Pris en otage, de nombreux fans de football n’ont ainsi pas pu suivre le match Danemark-France, dimanche. Et rien ne garantit que le problème sera réglé d’ici le coup d’envoi de la Coupe du monde, dans moins de deux mois.
Et soudain, l’écran noir. En appuyant sur la touche n°1 de leur télécommande, dimanche soir, les amateurs de football et supporters inconditionnels de l’équipe de France s’attendaient à tomber sur le match de leurs protégés au Danemark. Beaucoup d’entre eux ont, sans encombre, assisté à la déroute des Bleus, dominés par des Scandinaves bien plus conquérants (2-0). D’autres, en revanche, n’ont rien vu du tout. Un mal pour un bien au regard de la prestation de la bande à Didier Deschamps, diront les plus sarcastiques. Ce désagrément n’avait toutefois rien d’un problème technique survenu en dernière minute. Il était au contraire largement prévisible : depuis le 2 septembre, Canal+ ne diffuse plus les chaînes du groupe TF1 (la Une, donc, mais aussi TMC, TFX, TF1 Séries Films et LCI) en raison d’un désaccord sur les droits de distribution. Tous ceux qui regardent la télévision via une box Canal, la plateforme MyCanal ou l’offre satellite TNTSat ont donc été privés de l’affiche de Ligue des nations, qui n’a rassemblé « que » 5,91 millions de téléspectateurs (ils étaient 6,4 millions devant France-Croatie, en juin).
Guerre de positions
Mais c’est quoi le problème, au juste ? En résumé, le groupe TF1 fait payer un certain montant aux opérateurs qui distribuent ses chaînes via leurs boxes ou offres numériques. Le groupe dirigé par Gilles Pélisson a voulu renégocier le contrat en vigueur avec Canal+, qui arrivait à échéance fin août. Or, la filiale de Vivendi a refusé de régler une facture bien trop élevée à son goût. « TF1 demande beaucoup plus d’argent qu’auparavant, puisqu’on parle d’une hausse de 50 %(de dix à quinze millions d’euros, NDLR). Canal+ ne veut pas payer, donc on se retrouve face à un différend commercial pur et dur », expose Pierre Maes, consultant dans le secteur des droits TV sportifs. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’un conflit sur fond de négociations autour de la distribution des chaînes éclate entre les deux puissants groupes audiovisuels, puisque cela avait déjà été le cas en 2018. À l’époque, il ne leur avait cependant fallu qu’une semaine pour s’entendre. « Là, chacun campe sur ses positions, constate Thierry Moreau, ancien rédacteur en chef de Télé 7 Jours. TF1 s’est installé dans l’idée d’un conflit long, avec une grosse campagne de communication pour expliquer à ses téléspectateurs comment recevoir ses chaînes autrement que via Canal. Au début, sa perte d’audience a été brutale, entre 12 et 15 %. C’est un peu remonté depuis, mais la baisse reste significative. » Les JT de la première chaîne sont désormais régulièrement devancés par ceux de France 2, alors que ses programmes de divertissement affichent des chiffres très en deçà des attentes.
Des solutions… et des complications
Jeudi dernier, C+ a décroché une première victoire judiciaire, le tribunal de commerce de Paris ayant indiqué qu’il n’était pas tenu, légalement, de diffuser les canaux du groupe TF1. Quant à l’Arcom (ex-CSA) ou le ministère de la Culture, ils n’ont pas à intervenir dans ce différend d’ordre strictement privé. Pour l’heure, chacun reste campé sur ses positions, et cela a de quoi inquiéter les téléspectateurs qui attendent la Coupe du monde avec impatience. Seul diffuseur en clair de l’événement, TF1 retransmettra en effet 28 rencontres, dont toutes celles des Bleus. Certes, des solutions existent pour capter la Une sans passer par Canal+. Il suffit par exemple de se brancher sur la TNT, se connecter à MYTF1, avoir recours à un opérateur télécom (Free, Orange, SFR, Bouygues), ou encore se rendre sur des plateformes telles que Salto ou Molotov. Plutôt simple pour ceux qui sont habitués à consommer des programmes TV sur leur ordinateur. Beaucoup moins pour des générations plus âgées et qui ne jurent que par leur bonne vieille télécommande. Et puis, il y a les quelque deux millions de Français qui vivent dans des zones blanches, ces territoires qui ne sont couverts ni par la TNT, ni par des opérateurs via la fibre ou l’ADSL. Eux ne reçoivent la télévision que par satellite et doivent par conséquent envisager d’abandonner leur abonnement à TNTSat (géré par Canal), pour en souscrire un auprès de Fransat.
Pour continuer à recevoir les chaînes du groupe et #MYTF1⤵️ pic.twitter.com/INXl7CYGh5
— Groupe TF1 (@GroupeTF1) September 17, 2022
Beaucoup de démarches et de complications en perspective, donc. « Les gens sont attachés au satellite, qui a prouvé sa fiabilité avec le temps, rappelle Pierre Maes. En plus, les plateformes OTT(comme Amazon Prime ou MyCanal, NDLR)rencontrent souvent des problèmes techniques lorsqu’elles doivent diffuser des événements sportifs majeurs. Si, dans deux mois, tout le monde se connecte sur MYTF1 pour regarder un match de la France, il risque d’y avoir de gros soucis. » En dernier recours, le mordu de ballon pourra toujours s’abonner à beIN Sports, qui diffusera l’intégralité du Mondial. Sauf que tout le monde n’est pas forcément disposé à effectuer cette dépense supplémentaire. « Si jamais le conflit perdure, Canal pourra toujours communiquer auprès de ses abonnés en mettant en avant l’option beIN pour suivre tous les matchs, pourquoi pas avec une offre promotionnelle, suggère Thierry Moreau. Mais ceux qui n’ont pas envie de souscrire à ce nouvel abonnement, ni de se lancer dans un processus technique pour changer de boîtier, seront vraiment pénalisés. »
« Il vaut mieux un mauvais accord qu’un bon procès »
La proximité calendaire du Mondial (20 novembre-18 décembre) devrait néanmoins inciter les deux acteurs à opérer un rapprochement. « La Coupe du monde représente une bonne date butoir parce que tout le monde a intérêt à ce que les matchs soient diffusés. Il vaut mieux un mauvais accord qu’un bon procès », poursuit Thierry Moreau. « Si le conflit avait lieu en janvier, le rapport de forces ne serait pas le même, souligne Pierre Maes. Le fait d’avoir les droits en clair de la compétition est un atout en faveur de TF1, car les audiences enregistrées pendant ces affiches sont en général énormes. » L’auteur de l’ouvrage Le Business des droits TV du foot. Enquête sur une bulle explosive (Fyp, 2019) tente un pronostic en avançant que « la conclusion d’un accord est très probable. Chacun devra faire un pas vers l’autre. L’inconnue, c’est la grandeur de ce pas. » Même son de cloche du côté de Thierry Moreau : « Ils ne sont pas idiots, les uns comme les autres savent très bien qu’ils ont tout intérêt à s’entendre. TF1 ne peut pas se permettre de perdre ne serait-ce que 5 % de sa diffusion sur du long terme. Canal+ sait très bien qu’un bouquet sans les chaînes du groupe TF1, c’est un bouquet auquel il manque une branche. TF1 veut monter à quinze millions, Canal veut rester à dix ? Peut-être qu’ils vont toper à douze. » Alors, marché conclu ?
Didier Deschamps sur le plateau du 20H de TF1 pour annoncer sa liste en amont de l’Euro 2016.
Par Raphaël Brosse
Tous propos recueillis par RB.