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Comment un gardien doit-il placer ses joueurs sur corner ?
Devant votre télé, vous pestez après ce but encaissé sur corner : « Mais bordel, pourquoi ce con de gardien n'a pas foutu un joueur au poteau ! » Eh oui pourquoi ? Les mecs aux poteaux, chacun se fait sa religion. Un, deux ou aucun. Les explications ici.
Depuis le début de saison, la Ligue 1 offre en moyenne dix corners par rencontre jouée, pour un nombre total de 2180 coups de pied de coin tapés. Un chiffre conséquent qui témoigne de l’importance d’une phase de jeu devenue sujette aux inventions les plus variées qui soient pour surprendre l’adversaire. De la chenille guingampaise au corner à deux en passant par le centre sortant pour une reprise lointaine, les modèles les plus fameux ont coûté plus d’un but à force de travail. Voilà pourquoi les gardiens et les staffs techniques planchent eux aussi sur une ou plusieurs parades défensives prévenant le plus de risques possibles. Pour comprendre les différentes logiques existantes en la matière, nous avons interrogé trois gardiens, retraités ou encore en activité, n’adoptant pas la même stratégie ou vision pour gérer cette situation.
Pourtant, il y a bien un point sur lequel nos trois témoins se rejoignent, à savoir la différence majeure qu’il existe entre les corners des années 1990 et ceux des années 2010 : la qualité des frappes et le pouvoir des ballons. « Quand tu as un mec qui envoie de belles frappes tendues et volantes, ça change foncièrement la donne » témoigne Jean-Philippe Forêt, entraîneur de la CFA2 d’Andrézieux (42) et ancien gardien de l’OL ou du Red Star 93 facturant plus de 150 matchs de D2. Avec son vécu supérieur à 500 matchs en pro, Éric Durand ne dit pas autre chose : « Aujourd’hui, on frappe les corners avec le coup du pied, donc la vitesse du ballon et la trajectoire limitent les interventions aériennes des gardiens. » Et les deux coachs reconvertis d’être rejoints dans leurs analyses par le portier valenciennois Nicolas Penneteau, qui a grandi dans sa carrière avec cette évolution : « Je sortais beaucoup plus auparavant. Même jusqu’au début des années 2000, j’avais beaucoup plus de facilités à y aller. Mais depuis, c’est plus vraiment pareil. »
Encore faut-il ne pas tomber sur casque d’or
Si cet état de fait est donc une vérité partagée par toute la confrérie des mains gantées, chacun la sienne en matière de stratégie défensive. Il y a d’abord les farouches défenseurs du sempiternel : « Un au premier les gars !! » Comprendre, ceux qui densifient le poteau le plus proche du tireur, en l’accompagnant parfois d’un joueur au coin des six mètres. C’est le cas de Jean-Philippe Forêt, qui le conseille encore aux gardiens qu’il entraîne : « Pourquoi ? D’abord parce que ça élimine le danger sur tous les centres pas assez hauts ou courts, puisque tes joueurs sont placés de telle façon que le ballon ne peut passer. Et si la frappe est bonne, le gardien doit être apte à gérer le reste de ses 5,50 m. » Quant au choix de laisser son second poteau de libre, celui-ci le justifie par la nécessité de garder une certaine présence dans la surface. Convaincu de sa méthode, Jean-Philippe Forêt se souvient malgré tout très bien d’un joueur capable de trouver la faille : Tony Cascarino. « Lui, il m’en a mis, même au premier. En même temps, il frappait plus fort de la tête que du pied » se marre-t-il aujourd’hui.
De son côté, Éric Durand a souvent opté pour la technique du mur de l’Atlantique, à savoir blinder chaque poteau d’un joueur pour réduire la fenêtre de tir aux attaquants adverses. « Ça a deux utilités. D’abord, en mettant du monde, ça m’offrait une marge de manœuvre pour sortir dans les airs, puisque j’avais une sécurité dans mon dos. Et puis, ça permet aussi de parer aux centres courts en faisant sortir ton mec placé au premier, tout en gardant toujours quelqu’un de plus protégeant le but derrière. » Une technique pour laquelle il n’en trouve pas une capable de tenir la comparaison. Pourtant, l’histoire récente montre que même avec ce schéma, un corner bien botté et un coup de casque dévastateur peuvent faire mouche, comme sur le but du Rennais Théophile-Catherine face à l’OM, malgré la présence de Gignac et Morel pour épauler Steve Mandanda.
Ces joueurs de poteau qui se la coulent douce
Plus récemment, on a vu un troisième type de posture défensive apparaître en L1 et en Europe : un gardien seul au monde et des bois délaissés de bons serviteurs prêts au sauvetage. Si Nicolas Penneteau n’est pas le chantre de ce dispositif, il lui est déjà arrivé de l’utiliser. Ce fut le cas à Nancy en décembre dernier, avec un résultat peu concluant puisque Loties ouvra le score d’un corner venu de la droite. Il nous explique le pourquoi du comment : « En temps normal, j’opte pour un seul joueur au deuxième, puisque les statistiques nous montrent que le danger vient plus souvent dans ce secteur. Mais là, nous avions un paramètre de taille à gérer puisque Nancy présentait sept joueurs de plus d’1,90 m. Donc pour ne pas tous les faire monter, nous avions choisi avec l’adjoint de laisser trois attaquants devant, pour les obliger à garder des grands dans leur camp. Mais la contrepartie, c’était qu’il nous fallait de la présence, donc aucun joueur au poteau. » Un choix justifié, mais qui n’inspire que moyennement les « vieux de la vieille » comme Éric Durand : « Je ne serais vraiment pas rassuré avec tout ce vide derrière moi. »
Reste que quelle que soit la façon de faire, le gardien ne peut rien faire sans des mecs concentrés et concernés sur cette phase de jeu. Que ce soit pour les joueurs placés en marquage individuel ou en zone, mais aussi pour ceux placés au poteau. « C’est vrai que ça mérite souvent des piqûres de rappel. Le joueur que tu mets à ton poteau, qui est souvent celui qui ne va pas te servir à grand-chose dans les duels, a tendance à se croire à la place la plus tranquille » souligne Jean-Philippe Forêt. « C’est vrai que ça m’est arrivé de prendre des buts malgré la présence d’un joueur au poteau, ce qui te fout franchement les nerfs. Mais bon, il faut bien se dire une chose, c’est qu’ils te sauvent plus qu’ils te coûtent en buts » tempère Nicolas Penneteau. Reste que cela peut constituer un tournant fatal. Ce fut le cas lors de la reprise du championnat, le 13 janvier dernier, lors de la rencontre entre l’ESTAC et l’OL. Avec un Fabien Camus perdu au premier et remisant parfaitement sur Umtiti pour le but de la victoire lyonnaise, les Troyens ont niqué le bénéf’ d’une partie pourtant à leur avantage.
Arnaud Clement