- Mondial 2014 – Barrage retour – France/Ukraine
Comment remonter un 2-0 ?
Battue 2-0 dans le froid ukrainien, l'équipe de France devra refaire son retard face une équipe qui ne lâchera pas facilement son billet. 90 minutes pour s'affranchir d'une mort certaine. Soit 32 minutes de plus que Bruce Willis. Mode d’emploi pour performance hors-norme.
Ce soir, la France s’avancera sur la pelouse d’un Stade de France avec le poids de l’histoire contre elle : aucune équipe n’a réussi à remonter un retard de 2-0 en barrages. En revanche, la France peut lorgner sur les plus belles heures des clubs de l’Hexagone pour trouver des motifs d’espoir. Car certains ont connu ces moments de grâce qui transcendent, rassemblent et font pleurer jusque dans les chaumières les plus modestes de Navarre. Éric Deflandre a fait partie d’une de ces épopées bleu-blanc-rouge. Le défenseur belge évoluait sous les couleurs lyonnaises lors du 16e de finale de Coupe de l’UEFA disputé face à Bruges en 2001. Balayés 4-1 sur la pelouse des Flamands, les hommes de Jacques Santini avaient alors réussi à renverser la vapeur à Gerland (3-0). Un retour incroyable, forgé sur les cendres du match aller : « On va en favoris à Bruges, on est pris à la gorge et on ramasse. Les deux semaines qui suivent sont vraiment difficiles et très longues. On prend une grosse gifle et du coup, le doute s’installe dans le groupe. C’est alors important de trouver les mots justes et c’est là aussi que les leaders se mobilisent. À l’époque, on avait Greg Coupet, Sony Anderson ou encore Florent Laville. » .
À la base de toute remontée, il y aurait donc forcément une blessure, un orgueil piétiné. Un préalable nécessaire pour tout lâcher, comme le racontait il y a quelques mois Michel Ettore, gardien infranchissable d’une équipe de Metz qui a fait tomber le grand Barça au Camp Nou un soir de 1984 (2-4, 1-4) : « Ils nous prenaient vraiment pour des touristes et ça nous a piqués au vif. Même si on n’avait pensé à aucun moment à un tel renversement, nous sommes allés là-bas avec l’envie folle de se racheter et de montrer qu’on valait bien mieux. En fait, je crois qu’on a bâti cet exploit sur le sentiment de vexation. » Si Olivier Giroud s’est dit « prêt à mourir sur le terrain » , il faut que ce sentiment soit collectif. Oublier les ambitions et rancœurs personnelles sera donc nécessaire pour terrasser un ennemi solide (pas un seul but encaissé lors des 9 dernières rencontres) et qui se rend à Paris avec pour seul objectif de composter un billet déjà imprimé. Le tout pour le tout
Car au fond, la France n’a plus rien à perdre. Ou presque. Délestés de leur honneur et de l’amour que leur portait autrefois la nation, les hommes frappés du coq ont déjà perdu leur statut de « grande équipe » . Une position qui pourrait constituer un avantage, comme l’explique Deflandre : « Au retour, on comprend qu’on est nulle part et qu’il faut bosser encore plus. On joue beaucoup plus libérés. Il y a moins de stress parce qu’il n’ y a plus grand-chose à perdre et qu’on n’a plus l’étiquette du favori. Ça devient plus facile de recréer des automatismes et des mouvements. » Un constat partagé par Rolland Courbis, qui n’a jamais accablé ses joueurs, comme lors de cet historique Marseille – Montpellier, remporté par les Phocéens, après qu’ils eurent été menés 0-4 (5-4) : « À la mi-temps, j’ai enlevé toute possibilité de gagner ce match. Le seul objectif c’est de gagner la deuxième mi-temps. Je me dis que ce sera un accident et puis tant pis. On passe à autre chose et on avance. Ça ne sert à rien de gueuler. À la 35e, quand c’est 0-4, je pense à rien sauf à ne pas les engueuler » , explique l’ancien coach de l’OM avant de se souvenir d’un moment particulier. « D’ailleurs, Robert Louis-Dreyfus descend dans le vestiaire, je pense qu’il va gueuler, et il nous soutient juste. Je lui demande discrètement s’il veut s’adresser au groupe et il me dit que non et qu’il souhaite juste qu’on termine bien. C’est juste magnifique. » Éric Deflandre poursuit : « Santini n’a pas tenu de discours particulier. Il connaissait les qualités du groupe et voulait qu’on joue notre jeu. Il disait toujours : « Osez jouer ! » » Si la recette ne marche évidemment pas à tous les coups, il n’empêche que certains dénominateurs communs se détachent lorsque les acteurs de ces exploits en racontent la genèse. Lors du match face à l’Ukraine, le rôle de Didier Deschamps devra donc s’effacer au profit de joueurs décomplexés.
L’état de grâce
Des hommes livrés à eux-mêmes, dos au mur et jouant sans pression peuvent alors se transcender. Contre toute attente et après un premier acte loupé sur toute la ligne, une équipe peut parvenir à se dépasser, jusqu’à en devenir imbattable. C’est le cas de ce soir d’août 1998, où il semble encore régner un parfum de Coupe du monde sur le Vélodrome. À la 93e de ce match impossible où l’OM est revenu à 4-4, les hommes de Courbis obtiennent un penalty. Laurent Blanc s’avance : « Il ne peut pas la rater, c’est impossible. Déjà à 4-2, je suis sûr qu’on va revenir. Je me dis même qu’on peut gagner 6-4. C’était devenu un match de hand. » Sans doute bien aidé par des Montpelliérains à l’agonie, il ne reste qu’une équipe sur le terrain et elle joue à ce moment-là sur une autre planète : « C’est unique comme moment. Personne ne l’a jamais fait, cela ne s’est jamais produit dans l’histoire du foot. Jamais. C’est un des plus beaux souvenirs. Le soir même, je me souviens très bien, je mange avec RLD et des proches et je dis : « On doit être champions, c’est un signe. » Derrière, on enchaîne et on ne perd notre premier match qu’à la 15e journée à Lyon. On termine avec 71 points, à un point de Bordeaux. Bon… »
Michel Ettore raconte, lui aussi, avoir connu ce moment de douce ivresse collective : « Autant je n’ai pas été en réussite chez nous, autant sur cette partie-là, j’ai peut-être touché plus de ballons en quatre-vingt-dix minutes que durant toute ma carrière. En même temps, lorsqu’on réalise un exploit, il y a des postes-clés… » Le gardien de but en est un. Sans aucun doute. Et c’est dans l’addition à peine croyable de tous ces facteurs que la prouesse voit le jour : « Sans le public, je ne pense pas qu’on y arrive. Dans ce genre de matchs, tous les éléments doivent être réunis » , confirme Éric Deflandre. Gaëtan Englebert, joueur du FC Bruges ce soir de décembre 2001, se souvient bien de la ferveur de Gerland : « Le public est là pour voir des matchs pareils. Pour le coup, ce soir-là, dans le stade, il l’a vu. » Les Belges ont alors subi les assauts de supporters qui, minute après minute, se sont mis à y croire. Une aide précieuse dont les Bleus auront sans doute bien besoin au Stade de France. Sans doute l’enceinte la moins indiquée pour aider les siens à remonter 2 buts…
Par Raphael Gaftarnik et Matin Gimberghs