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Comment remettre en état une pelouse en moins de trois jours ?
Winter is coming. Et avec lui, les sempiternels débats sur la qualité des pelouses françaises. Guide d'entretien pour mains vertes, parce qu'une bonne herbe est toujours un préalable à des jeux soyeux.
« C’est bien d’avoir fait un stade de rugby pour Toulon à Nice, je suis content pour eux. Mais quand on a une équipe comme la nôtre et un terrain comme on a, c’est un peu frustrant… » Didier Digard l’avait mauvaise face à l’état de la pelouse de l’Allianz Riviera en octobre 2013, suite à un match entre le RC Toulon et l’ASM Clermont (victoire 25-19 des « locaux » , ndlr). Le passage de packs de rugbymen serait l’équivalent du passage d’une harde de sangliers selon Guy Roux, métaphore filée par Pascal Dupraz après un match à Nice en décembre 2013 : « Le stade est magnifique, il faut juste que la pelouse soit meilleure. Quelques sangliers sont venus se promener. » Si ces figures d’un football à la poésie campagnarde n’ont probablement pas été constater les effets réels du passage d’une harde de sangliers sur un terrain, il n’est pas moins vrai qu’un champ de patates ne colle pas vraiment à l’idée du beau jeu. Dans ce cas, les yeux se tournent inévitablement vers le maître des lieux, le responsable pelouse, couramment appelé jardinier. Qui, lui, fait ce qu’il peut.
Du travail manuel au labourage en crampons
Eric Robin est en charge de la surface de jeu de l’ESTAC. Un homme qui connaît son métier : l’herbe de l’Aube est troisième du très officiel championnat de France des pelouses de la LFP. La première urgence, ce sont « les cicatrices à refermer. Puis il faut faire un piquage avec un verti-drain, une petite fourche, pour aérer. La semaine précédant le match, tu fais un autre piquage pour rendre la pelouse plus souple. » Mais le véritable fléau du métier, ce sont les escalopes, ces mottes arrachées et balancées ici et là : « Il faut remotter, les replacer manuellement, puis passer le rouleau. Quand un terrain est vraiment retourné, c’est terminé, tu as perdu ta densité et tu ne la retrouveras qu’au printemps. » Une idée confirmée par Jérôme Gudin, ancien du bien nommé stade de l’Abbé-Deschamps : « Si la motte n’est pas remise, non seulement elle va crever les racines en l’air, mais aussi la partie de la pelouse située sous la motte. » Un travail minutieux, fastidieux, qui vaut plus encore pour les terrains d’entraînement : « Il passe souvent à la trappe, alors que c’est le terrain le plus utilisé. Tu vas bosser huit heures et le lendemain, tu le retrouves défoncé, il faut tout recommencer à la main. Ah ouais, ça envoie pas toujours du rêve ! »
Des rêves, on croit parfois en faire devant un terrain aux couleurs aléatoires. La faute au replacage, la rustine du gazon : « Quand la zone est très abîmée, tu découpes, puis tu replaques des rouleaux de gazon neuf. Le risque, c’est que le gazon ne prenne pas. Il faut mettre des plaques suffisamment épaisses, mais ça reste de l’impro… » L’idéal est donc de prévoir son coup, selon Jérôme : « L’entretien ne se décide pas trois jours avant, le capital-gazon se fait entre août et octobre, ensuite c’est compliqué de régénérer une pelouse. » Un constat inquiétant pour l’OM et Mandanda, qui exprimait fin août sa « honte de jouer sur un terrain comme ça » , quelques jours avant un changement de pelouse un brin tardif. Le reste est une affaire de discussion avec le coach. À Guingamp, Gourvennec considère volontiers Emmanuel Bessong, un ancien footballeur, comme membre de son staff. À Troyes, les échanges entre Eric Robin et Jean-Marc Furlan sont quotidiens : « Les joueurs et lui te disent leurs ressentis et leurs envies. En fonction de ça, tu adaptes la tonte, le décompactage, l’arrosage. La préparation d’avant-match se peaufine au fur et à mesure. » Pour que, bientôt, les hommes menés par Benjamin Nivet puissent fêter une première victoire.
Du respect pour les jardiniers !
Quel que soit l’entretien, il reste que la pelouse est un organisme vivant. Et les raisons de détérioration nombreuses : baisse de la luminosité, augmentation de la pluviométrie, périodes de gel, maladies, tacles de bouchers, ou encore structure générale des équipements. Alors que Wenger expliquait que l’Emirates a été construit autour de la pelouse, ou que la pelouse de la Veltins Arena à Gelsenkirchen peut être sortie du stade pour profiter au mieux des bienfaits de l’air libre, en France, la considération pour le sujet est plus erratique. À Lille, la pelouse a dû être changée après quatre mois, par manque de lumière et de ventilation ; à Monaco, plantée sur un parking, elle souffre de la chaleur. Romain Delannoy, en charge des rectangles de Valenciennes et Lens, connaît bien le sujet, entre un Bollaert bien ouvert et un stade du Hainaut semi-enterré. Mais, pour lui comme pour ses confrères, le problème de la détérioration est en passe de disparaître par la mise en place de substrats nouvelle génération, fibrés et bien plus stables. Et par des moyens autrement plus conséquents qu’avant.
« L’arrivée de Calderwood(le responsable pelouse du PSG, meilleur groundkeeper anglais, donc mondial, en 2009 et 2012, ndlr)symbolise le changement de mentalités depuis deux ans. Les clubs mettent plus d’argent, avec les nouveaux substrats, la luminothérapie, le chauffage… C’est simple : si tu n’as pas de financement, tu n’as pas de qualité. Là, les moyens techniques nous permettent un travail plus minutieux sur les petits regarnissages, l’horizon supérieur du gazon, la planimétrie, la cohérence entre les zones… » Une évolution en cours, mais pour laquelle il reste du travail selon ledit Jonathan Calderwood, sur RMC en janvier 2015 : « Les gens ne comprennent pas tout ce qu’il faut pour avoir un bon terrain : l’équipement en sous-sol, l’investissement financier, la machinerie, la qualité des tondeuses, la qualité des jardiniers et leurs qualifications et tout le respect que vous leur devez. C’est peut-être ça qui me choque le plus en France : le peu de respect et de considération que l’on porte aux jardiniers ! » Reste que la situation évolue et que Jonathan peut garder son flegme : un jour, tout cela appartiendra au passé. Grâce à des Furlan et des Nivet.
Par Eric Carpentier