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Comment Real et Barça ont viré la violence de leurs stades ?
Sous pression suite au décès d'un supporter du Depor provoqué par certains membres du Frente Atlético, la direction des Colchoneros a décidé d'expulser ce groupe du Vicente-Calderón. Real Madrid et FC Barcelone ont pris les devants depuis quelque temps en dégageant Ultras Sur et Boixos Nois de leurs antres.
Un Clásico sans Boixos Nois et Ultras Sur, le football espagnol n’en avait pas connu depuis les années 80. Le 24 octobre dernier, pour la première fois depuis la création de ces deux groupes ultras, le Santiago Bernabéu ne comptait aucun de leurs membres. Bien entendu, quelques « Puta Barça, puta Cataluña » et « Viva España » sont descendus des tribunes. En soi, une atmosphère presque bon enfant pour les retrouvailles entre le Real Madrid, symbole du pouvoir central de Castille, et le FC Barcelone, « armée d’une nation sans état » , dixit Bobby Robson. Les Ultras Sur, créés en 1980 et virés du Bernabéu en 2013, ont connu le même sort que leurs homologues barcelonais des Boixos Nois, nés en 1981 et expulsés du Camp Nou en 2003. Leur fin a été synonyme de pacification des stades et a réduit l’influence de l’extrême droite dans les travées des antres merengue et blaugrana. Pour ce, des décisions radicales ont été prises par les présidents des deux institutions, Florentino Pérez et Joan Laporta. Les pouvoirs publics, eux, ont rangé leur volonté de côté et sont restés les bras croisés.
Ennemis d’un Clásico, amis de la haine
Sortis de terre au début des années 80, les deux seuls groupes ultras connus du Real Madrid et du FC Barcelone se sont construits autour des mêmes piliers : haine et violence. Des caractéristiques qui se retrouvent dans un même courant politique, celui de l’extrême droite. Le football, lui, est le grand oublié. La genèse des Ultras Sur prend forme lors d’une rencontre européenne entre le Castilla – vous avez bien lu, l’équipe réserve du Real Madrid – et West Ham. Ce 17 septembre 1980, les hooligans londoniens dévastent tout sur leur passage. La peña Las Banderas, « occupée par quelques centaines de jeunes admirateurs de Franco, militants acharnés du fascisme à la mode hispanique » , dixit Philippe Broussard dans son livre Génération Supporter, se radicalise alors et prend le nom d’Ultras Sur. Du côté de Barcelone, les Boixos Nois – ou Mauvais Garçons en VF – font pour la première fois parler d’eux en 1984, lorsqu’ils profèrent des insultes racistes à l’encontre du portier camerounais N’Kono. Indépendantistes et néonazis, ils sont soutenus par Joan Gaspart, président de l’époque, qui aurait déclaré avoir « la carte de socio numéro 1 » des Boixos Nois.
Cette connivence entre direction et ultras, ces derniers en ont profité durant plus de deux décennies. Au début des années 2000, Antonio Salas, journaliste et auteur du livre Diario de un Skin, s’infiltre dans les milieux skinheads de la capitale. Rapidement, il est mis en contact avec les Ultras Sur : « Le Real Madrid cédait des billets à l’un des leaders, José Luis Ochaita, qui les revendait ensuite » . Pis, en 1993, les joueurs de l’équipe première sont soumis au chantage des Ultras Sur. Pour les soutenir, ils demandent une compensation financière aux joueurs. Un membre de la direction déclarera d’ailleurs au Pais que « le secteur le plus violent des Ultras Sur commence à être incontrôlable et à avoir un comportement mafieux » . Au FC Barcelone, même topo : les Boixos Nois, par une politique de la terreur, « obtenaient des entrées gratuites et disposaient d’avantages lors des déplacements à condition de soutenir l’équipe et d’intimider la presse la plus critique » , décrit Ramon Besa, journaliste au Pais en charge du Barça. En 1991, ces délinquants deviennent des assassins. Lors d’un derby face à l’Espanyol, cinq membres poignardent à mort le Français Frédéric Rouquier, affilié aux Brigadas Blanquiazules.
La réussite de Laporta et Pérez
La mainmise des Ultras Sur et des Boixos Nois sur les tribunes sud du Bernabéu et du Camp Nou est alors presque totale. Signes de cette assurance, ils se distinguent par leurs bombers retournés côté orange à Barcelone et par l’inscription SS sur leurs blousons à Madrid. Il faut attendre 2003 et l’arrivée au pouvoir de Joan Laporta pour que les choses changent. Tout juste à la tête du club, Laporta décide d’en finir avec le chantage des Boixos Nois. En deux ans, il arrive à les virer définitivement du Camp Nou malgré les menaces qui planent sur sa famille – Laporta, sa femme et ses trois filles ont été sous protection policière durant tout le mandat présidentiel. Au Bernabéu, Florentino Pérez décide également d’en finir avec les Ultras Sur. Profitant du putsch interne au groupe – Antonio El Niño, supporter de l’Atlético, prend les commandes –, la direction orchestre son plan Leproux et les interdit de stade. En lieu et place des Ultras Sur, une Grada Joven voit le jour. Depuis, Florentino Pérez reçoit de nombreuses menaces et, pis, la tombe de sa femme a été taguée par les plus fâchés. Avec ces décisions fortes, Laporta et Pérez ont certes transformé l’ambiance du Camp Nou et Bernabéu en un Disneyland du ballon rond, mais ont surtout pacifié un climat devenu très malsain.
Par Robin Delorme, à Madrid