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Comment Manchester va sortir gagnant du Pogba-deal

Par Eric Carpentier
7 minutes
Comment Manchester va sortir gagnant du Pogba-deal

Pogba a fini par signer à Manchester United pour un montant record. Au-delà du débat sur le prix payé au regard du niveau du joueur, il y a une réalité : malgré la thune sortie, United restera gagnant à la fin de l'opération. Voilà pourquoi.

« Il rejoint une équipe victorieuse, qui a gagné ses deux derniers matchs, l’un en Cup et l’autre aujourd’hui (dimanche, contre Leicester dans le Community Shield, ndlr). » La décla de José Mourinho, suite à l’annonce de la visite médicale de Paul Pogba à Manchester United, semble réécrire quelque peu l’histoire d’un club qui tend plutôt à la lose depuis trois ans et le départ de Ferguson. Accompagné du hashtag #Pogback – pour un joueur qui n’a joué que sept matchs pro sous le maillot des Red Devils – le transfert de Pogba n’est pas loin de verser dans la fiction. Un teasing efficace depuis quelques semaines, un jeune premier qui rejoint un glorieux ancien, Ibrahimović, et les lumières peuvent s’éteindre, l’écran s’illuminer. Alors, Pogba à Manchester, « le film de l’année ! » ? Si, comme dans toute création, l’accueil de la critique est incertain, le succès du blockbuster au box-office mondial est lui plus prévisible. Parce qu’au box-office, on ne compte pas tant la qualité de la production que la quantité de billets amassés.

Des fusions-acquisitions au contrat de Pogba

Les chiffres sont plus ou moins connus. Un transfert de l’ordre de 120 millions d’euros et un salaire annuel qui avoisine les 12 millions, le tout sur cinq ans. Comme pour tout investissement d’entreprise, les clubs amortissent l’achat de leurs joueurs sur la durée d’utilisation prévue. Dans le cas Pogba, cela donne un coût annuel d’environ 36 millions d’euros (pour (120 + 12 x 5) / 5). La réussite du transfert, d’un point de vue économique, passe donc par des revenus aux moins égaux aux dépenses, hors éventuelle plus-value à la revente. Comment ? En vendant le produit, pardi ! Le parcours d’Ed Woodward, le boss d’United qui a ficelé le deal, donne un indice sur la manière dont Manchester compte s’y prendre : « fusacs » chez PricewaterhouseCoopers ; conseil de la famille Glazer dans l’acquisition d’United en 2005 ; responsable de la planification financière du club, puis des opérations commerciales et médias à partir de 2007 ; vice-président depuis 2012. Un autre indice ? Entre 2005 et 2012, les revenus strictement commerciaux de Manchester ont plus que doublé, passant de 48 millions à 117 millions de livres. Depuis, le deal avec Adidas pour 940 millions d’euros sur dix ans a fait du maillot rouge la tunique la plus chère au monde. Autrement dit, Ed Woodward sait valoriser l’image de son club. Et Paul Pogba est un nouvel atout dans la manche des Diables rouges anglais.

Chers droits d’images

« Image » , voilà précisément le mot-clé dans le succès économique de l’opération. Ben Lyttleton, directeur de Soccernomics, une agence anglaise de consultants pour clubs de foot, file la métaphore cinématographique : « Il n’est pas Messi, Ronaldo, mais il y a d’autres éléments qui le placent à un autre niveau. L’impact de Pogba sur les réseaux sociaux, par exemple. Le mec est cool, il parle de musique, de mode, de culture jeune et urbaine… C’est pourquoi la gestion de ses droits d’image est si importante dans le deal. Manchester achète un mec bankable, le George Clooney, le Matt Damon du foot. » En l’occurrence, Manchester United a prévu dans le contrat d’acquérir 80 % des droits d’image de Paul Pogba. Parce que de la complémentarité vient l’efficacité.

Michel Desbordes est professeur de marketing du sport à l’université Paris-Saclay et co-auteur du Marketing du football. Il détaille le fonctionnement des si précieux droits d’image : « Ça veut dire que les joueurs doivent des jours à leur club, quel que soit le sponsor. Sur une base de 30 à 40 jours dans l’année dédiés au marketing, par exemple, 80 % reviennent au club. Si on dit au joueur :  » Chevrolet le 12 février » , tu y vas et tu passes ta journée avec Chevrolet. Ça permet aux sponsors d’être sûrs d’avoir ce qu’ils veulent. » Une nécessité dans une ère où les joueurs sont des marques à part entière, avec leurs propres sponsors. « C’est pour régler un vrai souci entre le partenariat individuel et le collectif, où le premier peut empiéter sur le second. Ça, ça a une vraie valeur. Vous pouvez vendre Pogba cinq, six, sept jours dans l’année. C’est très important dans les négociations. »

« Un coup de fil pour appuyer le truc, ça se fait »

Au regard des montants, le premier intéressé est évidemment l’équipementier : « Ronaldo au Real, il y a un problème majeur, c’est que c’est un athlète Nike alors que le Real joue en Adidas. » pointe professeur Desbordes. « Pour Pogba, s’il n’avait pas été Adidas, le transfert n’aurait probablement pas été fait. Quand tu signes pour près d’un milliard et que tu vois la possibilité que Pogba rentre dans l’écurie, un coup de fil pour appuyer le truc, ça se fait. Je ne dis pas qu’ils remettent un chèque sur la table, mais ça peut vouloir dire « Écoutez, dans trois ans, quand on renégocie ensemble, le chèque sera peut-être plus gros ». Il y a une synergie qui intéresse l’équipementier. S’il n’y a que des Nike qui arrivent à Manchester, ça peut être un argument pour ne pas re-signer, ou pour négocier à la baisse. » Pour le coup, la firme allemande peut être heureuse : deux têtes de gondoles signées cet été – Mourinho, Pogba – s’affichent en trois bandes, en attendant, peut-être, Ibrahimovic.

Il y a les sponsors actuels, puis il y a ceux de demain. Quand Beckham signe au PSG, c’est un marché asiatique qui s’ouvre pour Paris. Autre exemple ? Microsoft s’offre un partenariat avec le PSG et Ibra devient l’ambassadeur Xbox en France. Une possibilité venue de l’utilisation des droits d’image du Z par le club, pour un contrat bien plus juteux conclu avec l’annonceur. Or, United est le roi des partenariats et compte près de 70 sponsors, quand le Barça n’en annonce qu’une grosse trentaine. Une politique qui a toutefois ses limites, avertit Michel Desbordes : « Ça devient de plus en plus compliqué, ce n’est pas un truc qui est sans fin. Ils accordent des exclusivités par produit, des exclusivités par territoire… » D’où l’intérêt d’un joueur comme Pogba : « On essaie de développer quelque chose qu’on appelle money can’t buy. Par exemple une rencontre avec Paul Pogba, un entraînement avec Roger Federer, un tour de piste avec Lewis Hamilton…. C’est à peu près le seul moyen pour faire augmenter les prix des contrats. Si tu dis « Tu payes cher mais dans le pack il y a un dîner avec Zidane », là le sponsor est prêt à se mettre à plat ventre. Parce qu’aucun concurrent ne pourra arriver à ce truc-là. Il y a ceux qui l’auront, et ceux qui ne l’auront pas, c’est tout. » Si le monde se divise en deux catégories, Manchester et Pogba tiennent désormais du même côté.

Manchester c’est la Ligue des champions

La gestion de ces droits d’image constitue donc la part la plus importante dans les revenus attendus par l’achat de Pogba, hors sportif. Ce qui permet de tordre le cou à une légende urbaine, celle du retour sur investissement grâce à la vente de maillots. Le produit de la vente de maillots floqués Zlatan pour payer le transfert de Paulo ? « Pipeau complet » , répond Michel Desbordes. Entre une marge récupérée de l’ordre de 15 % du prix du maillot, et des royalties versées à partir d’un certain volume de ventes, les résultats ne couvriront, au mieux, que quelques mois de salaire. De même, l’ensemble de la catégorie des produits dérivés ne rapportera qu’à la marge, comparé aux montants des partenariats. Et cela bien qu’ici aussi, Manchester soit un leader, des couches aux préservatifs en passant par les brosses à dents.

En fait, le second volet des bénéfices attendus n’est autre que… le sportif. Le but premier reste d’être compétitif. Même avec les joueurs les plus « bankable » , si United connaît une quatrième saison difficile consécutive, les concurrents risquent de s’envoler, un jour suivis par les sponsors. Et puis, la réussite sportive apporte directement son lot de cash. Les revenus des droits télé sont indexés au classement et, surtout, la Ligue des champions est le Graal de tous les directeurs financiers. L’universitaire Desbordes n’oublie pas de mettre un pied sur le terrain : « La C1, ça fait automatiquement 30 à 40 millions d’euros minimum, plus l’augmentation des droits de billetterie, des loges… C’est un argument majeur. Ici, dans cet objectif, on peut penser que Pogba, c’est mieux que Schweinsteiger. » Parce qu’il n’est pas tout de faire le beau sur les quatre par trois et qu’il faut aussi assurer sur le pré. Mais Manchester United semble ne pas vraiment vouloir choisir. Ben Lyttleton de Soccernomics propose ainsi une vision que le nom de son agence trahit : « En fait, Manchester a pris la stratégie de recrutement du Real époque Galactiques. Mais, là où le Real ne prenait que les meilleurs joueurs, Manchester va au-delà du terrain, en créant un véritable storytelling autour d’Ibra ou de Pogba. Ainsi, s’ils se plantent dans les résultats, il leur restera toujours le commercial. » C’est vrai, ça : pourquoi gagner des trophées quand on peut vendre des voitures ?

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