- Mondial 2002
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- Partie 4/5
Comment les Bleus se sont loupés d’entrée au Mondial 2002
L’entame catastrophique du Mondial 2002 fait brutalement chuter les Bleus de leur nuage. Sans Zidane, la défaite inouïe face au Sénégal (1-0) et le nul désespérant contre l’Uruguay (0-0) placent d’emblée l’équipe de France en ballottage défavorable. Les tensions internes qui minent le groupe France déjà affligé de nombreux handicaps laissent entrevoir des perspectives inquiétantes.
Le staff médical du docteur Ferret s’affaire autour de la cuisse gauche de Zinédine, nu, dépité, inquiet… Les premières images du documentaire Les Yeux dans les Bleus 3 restituent d’emblée l’atmosphère lugubre qui va plomber l’équipe de France tout au long de son chemin de croix en Corée. Oublié les sourires France 1998 des Yeux dans les Bleus 1. La course contre la montre vers un retour incertain à la compète de Zinédine filmé en rééduc accélérée constituera le triste fil rouge du docu de Canal +.
Bouba Diop, vainqueur du Paris-Dakar
Le jeudi 30 mai, veille du France-Sénégal inaugural de la Coupe du monde, les Lions de la Téranga coachés par le Français Bruno Metsu sont venus reconnaître la pelouse du World Cup Stadium de Séoul. Les Bleus, eux, ont carrément zappé cet entraînement de reconnaissance, rétifs à se taper « trois heures d’embouteillages aller-retour », dixit Desailly. Le bon capitaine sèche même le début du dernier entraînement, trop occupé à tourner sa chronique pour TPS. Marcelo n’a pas la fibre de rassembleur. Il croit avant tout à la responsabilisation personnelle de chacun pour bien faire vivre le collectif. Et puis, après tout… Que craindre de Sénégalais qui ne jouent qu’en Ligue 1 et pas dans les grands clubs européens ? Le vendredi 31 mai, pour son speech d’avant-match, Roger Lemerre, solennel, tendu, procède à une interminable remise des maillots auprès de ses joueurs, nommés un à un : « Marcel, je t’ai donné un maillot, je t’ai donné un numéro, tu dois l’honorer. » Suivent les 22 autres… Roger conclut subitement en injonctions hurlées qui trahissent de grandes appréhensions :« Si vous voulez pas vous défoncer, on peut pas y arriver ! Un match de Coupe du monde c’est autre chose, même si c’est contre le Sénégal ! Ça peut être une grande Coupe du monde… Il faut qu’on passe le premier tour.(La voix s’enroue.)C’est avec tout le monde. »Au World Cup Stadium, son 4-2-3-1 aligne la même défense que lors du France-Brésil 1998 : Barthez, Thuram, Lebœuf, Desailly, Liza ! Vieira et Petit en double pivot, plus Henry, Djorkaeff en 10 et Wiltord en soutien de Trezegol en pointe, complètent le onze.
Disposés en 4-5-1, les Sénégalais plus en jambes pressent très haut afin d’isoler Henry, Trezeguet et Wiltord (chacun bien contenu en prise à deux) en empêchant la relance de Vieira et Petit. En électron libre, El-Hadji Diouf distille son poison constant. Le milieu français est vite débordé. Si Trezeguet tire sur le poteau à la 22e minute, les Tricolores impriment ensuite un tempo trop lent qui convient parfaitement aux Sénégalais. À la 30e, à la suite d’une perte de balle de Djorkaeff, Diouf lancé côté gauche efface Lebœuf et centre en retrait pour Bouba Diop qui profite d’une mésentente entre Petit et Barthez pour pousser le ballon Fevernova dans les filets : 1-0 et stupeur en mondovision ! En seconde mi-temps, après un tir de Fadiga sur l’arête, Henry touche la barre à la 66e, puis manque une tête à bout pourtant ! À 10 minutes de la fin, Wiltord est remplacé par Cissé, et Duga entre aussi : la France joue en 4-2-4, coupée en deux et sans milieu offensif. Faute de vrai schéma de rechange, Lemerre empile les attaquants… Battus 1-0, les Bleus percutent soudain le réel. L’Équipe ne s’y trompe pas en titrant le lendemain : « Cocori-couac ! » et ajoute « Tout reste possible. Même le pire. (…)La France est redevenue ordinaire. Il n’y a plus de meilleure équipe du monde. Juste un qualifié parmi trente-deux. » Dépité, le président Jacques Chirac envoie son ministre des Sports Jean-François Lamour en Corée, afin d’encourager les Bleus. Ou plutôt : afin de leur mettre un peu la pression ?
Le putsch raté d’avant France-Uruguay
Avant d’aller reconnaître ce coup-ci avec ses gars la pelouse de l’Asian Main Stadium de Busan où ils affronteront l’Uruguay le 6 juin, Roger Lemerre se laisse encore aller à une fébrilité rageuse lors d’un de ses speechs en indoor :« Le Sénégal, ça me reste-là ! », dit-il en pointant sa gorge de l’index. « ARRÊTEZ DE VOUS LA RACONTER ! », répète-t-il trois fois. Puis, soudain, il congédie ses gars, furibard : « Allez, c’est fini ! Partez, on fera la réunion plus tard… SORTEZ ! » Ce pétage de plomb relaté sans explication dans Les Yeux dans les Bleus 3masque en fait les dissensions croissantes entre le sélectionneur et son groupe, comme le narre Karim Nedjari dans L’Histoire secrète des Bleus 1993-2002. En gros, Trezeguet se plaint de ne pas être servi comme à la Juve et de devoir décrocher sans cesse. Micoud s’est démotivé en réalisant qu’il n’était que le quatrième meneur derrière Zidane, Djorkaeff et Duga. Henry accepte mal de jouer côté gauche, Cissé doit trouver ses repères en jouant côté droit et pratiquer un replacement défensif, une nouveauté pour lui. Makélélé, titulaire au Real et vainqueur de la C1, vit mal de n’être que remplaçant alors que Petit et Vieira, qui s’épuisent à courir dans le vide, réclament un troisième récupérateur ! Enfin, Christanval, Silvestre et surtout Sagnol comprennent qu’ils ne délogeront pas les titulaires…
Alors les joueurs décident de crever l’abcès une bonne fois pour toutes, ainsi que le révélera Christophe Dugarry en 2020 sur RMC : « La veille de France-Uruguay, certains d’entre nous sont allés dans la chambre de Roger, un peu comme du temps d’Aimé Jacquet, pour le questionner sur la compo, sur les choses qu’il souhaitait mettre en place et dont les joueurs ne voulaient pas, etc. Il y a eu un échange puis un accord. En sortant, Zinédine était confiant :« Tout est OK ! » Et puis le lendemain, deux heures avant le match, on a découvert le paperboard : même système que les joueurs n’acceptaient pas, même compo avec les mêmes mecs ! Zidane, Djorkaeff, Desailly étaient VERTS ! « C’est pas vrai, il se fout de nous ?! » semblait dire Zizou avec son un air à filer des coups de tête… Roger, il avait un côté parano : ça partait d’un bon sentiment, il voulait garder la maîtrise, mais, bon… » À la veille du France-Uruguay, Marcel Desailly affirme entre déni et fausse sérénité que la leçon sénégalaise a bien été retenue. Puis il prend la mouche :« Ça me dérange qu’on me pose des questions sur l’élimination. On est champions du monde et, parce qu’on est champions du monde, on n’y pense pas. » Le 6 juin, à Busan, Roger Lemerre aligne donc bien le même onze en 4-2-3-1, mais avec en 10 Johan Micoud, à qui il n’a appris sa titularisation qu’à trois heures du coup d’envoi… Battu 2-1 par le Danemark, l’Uruguay qu’on annonçait revanchard se fait bousculer par des Bleus retrouvés, plus rapides, plus mordants. Et qui marquent même un but par Trezeguet… mais refusé pour un léger hors-jeu ! L’excellent Thuram trouve par son jeu long Titi et Trezegol. Et puis, patatras ! À la 16e minute, Lebœuf sort sur blessure. Une de plus. Problème : Candela, qui passe à droite pour que Thuram glisse dans l’axe, n’a pas l’allonge de Lilian. Henry et Trezeguet ne sont plus servis, et ça libère le poison Recoba qui crée du danger côté droit.
Titi se fait Henry-kiri…
À la 25e, Thierry Henry, stressé depuis des semaines, inflige un gros tacle glissé à Marcelo Romero. Carton rouge ! « Mais c’est pas possible, je mets pas le pied haut ! », se plaint Titi, révolté. À juste titre, car l’arbitre mexicain Felipe Ramos oubliera ensuite de sanctionner l’attentat de Darío Silva sur Vieira et la faute dans la surface de Romero sur Trezeguet. Mais c’est direction vestiaires pour Henry. Il y débarque en culpabilisant d’avoir laissé les potes à dix, guettant un signe de réconfort de Zidane, planté devant la télé qui diffuse le match. Or, Zinédine ne le calcule même pas. Pas un regard, pas un mot… Sur le terrain, Petit touche le poteau sur coup franc la 34e. Trois barres en deux matchs : et si la France avait définitivement perdu son mojo ? Et Manu chope un jaune, son second de la compète, qui le privera du match contre le Danemark. À la pause, le guerrier Thuram ne lâche rien : « On est dix, les gars, mais on va les niquer ! » Et la réaction tricolore en seconde période se manifeste par une superbe volée à bout portant de Trezegol… détournée par le gardien Fabien Carini ! Rien à faire.
Remplacé par Cissé à la 81e, David Trezeguet, outré, file directement à la douche. Face à des Uruguayens truqueurs et violents, Barthez sauve la patrie en effectuant sept arrêts en tout, dont une parade-réflexe du tibia sur un tir de Magallanes dans les arrêts de jeu. Score final : 0-0. Après le match, dans un coin du vestiaire, Roger lourdement assis, sonné, débriefe la partie avec son capitaine Desailly, désormais plus lucide : « Si d’aventure on est éliminés, tu te rends pas compte, Marcel… Mais là, il nous reste une petite issue. » Le regard dans le vide, comme en se parlant à lui-même, Roger ânonne : « Avec Titi… On aurait eu… trois occases de plus. » Le 1-1 de Sénégal-Danemark cinq heures plus tôt place la France dernière du groupe A avec un petit point. Une victoire avec deux buts d’écart face aux Danois le 11 juin à Incheon sera nécessaire pour atteindre les 8es. Un vœu étayé par un nouveau message de soutien du président Chirac, décidément fort préoccupé par la campagne asiatique des Bleus. Le 8 juin, le docteur Ferret annonce que Zidane est apte à rejouer. Sa présence contre le Danemark est acquise. Mieux ! Roger Lemerre laisse entendre que l’équipe va jouer avec trois milieux récupérateurs… Du flan ! « Depuis l’arrivée en Corée du Sud, le sélectionneur s’était enfermé dans un état proche de la paranoïa, écrit Karim Nedjari dans L’Histoire secrète des Bleus. Ses entraînements n’étaient conditionnés que par l’idée d’éviter l’espionnage des adversaires et surtout des médias, sa grande obsession. À trois jours du match contre le Danemark, il a mis toute son énergie à débusquer les joueurs et journalistes« traîtres à la nation ».Il était persuadé que des indicateurs trahissaient l’unité du groupe en révélant à la presse ses compos d’équipe. Les vraies mises en place tactiques étaient oubliées au profit de simulacres destinés à tromper la presse. » En bon militaire s’apprêtant à livrer une bataille décisive, le Major Roger est bien déterminé à mourir avec ses idées.
Revivez le fiasco de l’équipe de France lors de la Coupe du monde 2002 :
Partie 1 : Comment les Bleus ont foiré la période 2000-2002 Partie 2 : Un problème nommé Roger Lemerre Partie 3 : Pourquoi la publicité et les contrats ont fait perdre la boule aux Bleus Partie 5 : Un crash final en mondovisionPar Chérif Ghemmour