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Comment les Argentins ont envahi Copacabana
Par souci d'économies, mais surtout par goût de l'aventure, des milliers de supporters argentins ont fait le voyage jusqu'au Brésil en mobilehome. Terminus Copacabana. Rencontre avec les parasites attachants de la baie de Rio.
L’Argentin est chez lui partout. Y compris sur une minuscule aire de repos brésilienne surplombant la plage d’Ipanema. Comme beaucoup de leurs compatriotes, Ariel, Agustin et leurs six autres potes fans de River Plate ont bravé les routes d’Amérique du Sud pour profiter de la Coupe du monde chez leur plus grand rival footballistique. Après 2 600 kilomètres parcourus depuis la banlieue de Buenos Aires, le camping-car Mercedes acheté pour l’occasion peut enfin laisser reposer son vieux moteur. Leurs occupants, fatigués et torse nus, se sont collés au cul du mobile home pour manger du poulet et du riz dans une énorme marmite de taulards. Malgré le flot des voitures qui descendent jusqu’à la plage de Rio, et la présence des journalistes brésiliens intrigués par ce camping sauvage, les Argentins semblent ravis. Diego, garçon de café brésilien en charge du petit troquet du coin, aussi : « Ils dépensent beaucoup en alcool, c’est bon pour le business. Et puis, ils fument beaucoup de marijuana aussi. Ils font travailler un peu tout le monde depuis qu’ils sont arrivés. Même les dealers. » Interviewé par une journaliste brésilienne de Sport TV, Ariel, assis sur une chaise pliante, patine avec son Portunol. Les questions ne l’intéressent pas, mais la fille, oui : « Elle est vraiment bonne, la petite. » Plutôt que de se rincer l’œil comme son pote, Agustin préfère expliquer le voyage d’une vie : « Venir au Brésil en avion, c’était trop cher. On a tous mis de côté pour s’acheter le camion et le retaper. C’est moins cher et surtout plus sympa. » Pendant leur périple, les Argentins se sont même débarrassés de certaines de leurs idées reçues. « La télévision argentine racontait que les supporters de la Selección ne seraient pas les bienvenus au Brésil, raconte Agustin en sirotant son Fernet Coca, mais sincèrement, les Brésiliens ont été super gentils avec nous. On a crevé trois fois et à chaque fois, ils nous ont aidés. Certains nous ont même proposé de nous héberger chez eux. »
Des bakchichs et une station service
En contrebas, d’autres camping-cars argentins ont transformé la promenade maritime qui s’étend d’Ipanema à Copacabana en véritable village de vacances. Perchés sur le toit de leur mobile-home chromé, des amis de Mendoza agitent un énorme drapeau sur les pare-brises des voitures qui passent. Un geste qui n’a rien d’anodin : « C’est notre manière à nous de dire aux Brésiliens qu’on les a envahis » , sourit Samuel, tout heureux de faire le pitre sur Copacabana. Pour l’instant, les 50 000 reais (environ 15 000 euros) investis dans leur airstream ont plutôt porté leurs fruits. « Les gens nous posent beaucoup de questions sur notre voyage parce qu’ici au Brésil, les motor homes ça n’existe pas… Et ça aide avec les filles, d’ailleurs mon pote, là, a réussi à en choper une hier soir » , explique Samuel, qui est venu au Brésil sans aucun billet de match. Trop cher. À cinquante mètres de là, Agustin, son père Mario et leurs amis n’ont pas non plus de sésames pour les matchs de l’Albiceleste et se contentent de voir le foot sous le chapiteau de la Fan Fest. Faute d’avoir trouvé un camping en ville, le minibus jaune et ses occupants squattent une petite station-service sur la plage de Copacabana : « Quand tu vois l’état des routes qu’on a traversées, tu te dis que les Brésiliens n’avaient pas prévu que des spectateurs allaient emprunter la route pour venir assister au Mondial, explique le fils de Mario. Il n’y avait aucun camping dans la région capable de nous accueillir, mais au final, on est plutôt contents de notre emplacement. » Même les effluves d’essence ne gâchent pas le panorama. Et pour cause, les pompistes de la Petrobras n’ont pas fait un seul plein depuis qu’une demi-douzaine de minibus argentins sont venus faire du camping sauvage sur le terre-plein de la station. Comme ses autres compatriotes, Mario a lâché 200 reais de bakchich pour que le responsable de la station ferme les yeux. « Avec tous les Argentins qui lui ont donné du cash, il a bien arrondi sa fin de mois. Ça arrange tout le monde et puis si on avait dû payer un hôtel avec une telle vue, ça nous aurait de toute façon coûté 100 fois plus cher. »
« Le football, c’est une histoire d’hommes »
Pour Mario et les autres hommes de son clan, l’aventure a véritablement commencé il y a deux mois. « Venir ici, c’était une opportunité unique de pouvoir participer à une Coupe du monde. » Peu importe que l’intérieur du minibus ressemble à une prison guatémaltèque… Malgré les fringues qui traînent partout, un évier débordant de vaisselle et des lits défaits, aucun des hommes de l’aventure ne regrette le manque de confort, ni l’absence des épouses. « Le football, c’est une histoire d’hommes, elles n’avaient pas leur place dans ce voyage » , lance Mario. À côté de lui, son pote, un sosie de Robert Chapatte, ne cache même pas ses envies d’infidélité : « En rentrant, on se contentera de faire un Notre Père et deux Avé maria pour se faire pardonner. » La caravane argentine du Mondial devrait reprendre la route après le match de l’Albiceleste contre la Bosnie-Herzégovine, cet après-midi. Direction Belo Horizonte, où les coéquipiers de Messi affronteront l’Iran pour leur deuxième match du Mondial. Pour l’heure, Copacabana est argentine et chante à l’unisson : « Pelé s’est dépucelé avec un garçon. » Tout simplement la première victoire argentine du Mondial.
Par Javier Prieto Santos, Maxime Marchon et Joachim Barbier, à Rio