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Comment l’équipe de France est perçue en Hongrie ?
La dernière fois que l'équipe de France avait tenu le haut de l'affiche en Hongrie, c'était lors du Mondial 2018. Une compétition où sa diversité avait été tancée dans les milieux conservateurs, quand la gauche médiatique et politique avait vu dans le discours du camp adverse un racisme décomplexé. La marque d'un pays où les thématiques migratoires et identitaires, incroyablement polarisantes, risquent de faire irruption dans le débat public magyar peu avant ou après le match de samedi.
En 2018, la Hongrie avait semble-t-il choisi son camp. Avant la finale du Mondial France-Croatie, les médias conservateurs n’avaient pas assumé leur parti pris en vantant seulement les mérites d’un football croate plus attractif. Cette finale avait aussi été le terrain d’expression d’une rhétorique douteuse, où la France métissée incarnée par les Bleus ne pouvait pas avoir les faveurs d’un pouvoir magyar fermement opposé à l’immigration. István Hollik, le porte-parole du Fidesz, ne s’était alors pas gêné pour affirmer son soutien aux Croates, « ce pays chrétien, fier de son identité nationale, qui affronte une nation d’immigrés » quand András Bencsik, le rédacteur en chef de l’hebdomadaire de droite Demokrata allait jusqu’à déclarer après le match : « Ne vous en voulez pas, les Croates. Vous auriez battu de vrais Français ! » Même son de cloche du côté de l’éditorialiste du magazine Mandiner Gergely Szilvay, qui n’hésitait pas à écrire : « C’était comme si la grande nation française avait embauché des légionnaires étrangers pour jouer au football à sa place. Les Croates, en revanche, étaient représentés par de vrais nationaux. »
Hongrois que ça va chauffer
Choquant, mais rien de nouveau sous le soleil magyar, où les questionnements liés à l’immigration et la nation sont quasi perpétuellement au cœur du débat public. En face, le camp progressiste n’avait d’ailleurs pas tardé à répliquer, à l’image de cet édito du journaliste András Jambor, fondateur du média de gauche Mérce.hu : « Tous ces commentaires racistes dégoûtants qui nous sont proposés de la part de la droite depuis le début de la Coupe du monde ne sont rien d’autre qu’un crachat sur l’européanisme et le football. Car ceux qui regardent la couleur de la peau dans le football au lieu de la performance ne sont pas des patriotes, mais de simples racistes, point. » Trois ans plus tard, la France défie la Hongrie à Budapest ce samedi et s’affiche, comme en 2018, en tant que l’un des favoris du tournoi. De quoi se demander si les polémiques identitaires liées aux Bleus ne vont pas ressurgir en force au pays de Puskás, à un moment ou à un autre du tournoi. « L’immigration est un sujet qui imprègne les esprits et est très utile au Fidesz politiquement, avance la politologue Eszter Petronella Soós, enseignante à l’université Eötvös Loránd de Budapest. Je m’attends à ce que ce thème resurgisse pendant l’Euro, mais je ne sais pas quand précisément et à quelle intensité. »
Des Bleus qui fâchent
On peut cependant se figurer que le résultat du match des Bleus face aux Magyars, comme le parcours de la France dans la compétition, devraient avoir leur rôle à jouer dans le schmilblick. « En Hongrie, la question du sport, c’est du politique pur et dur, étaye Eszter Petronella Soós. Orbán dédie énormément d’argent public au financement du foot. Donc, pour beaucoup de Hongrois, le foot est très lié au Fidesz. Mais ce n’est pas tout : le football, qui est un sport hyper populaire, convoque des questions identitaires qui sont centrales pour beaucoup de Hongrois. » Des questions identitaires, exacerbées par la diversité des Bleus ? « La Coupe du monde 2018 s’était déroulée dans le contexte de la crise migratoire de l’UE, reprend Eszter Petronella Soós. Beaucoup d’arguments racialistes, voire racistes, avaient alors en effet été évoqués contre l’équipe de France. » Trois ans plus tard, le journaliste du quotidien sportif NemzetiPéter Czillag pense que les choses sont cependant plus apaisées et contrastées : « On voit ce genre de propos relayés par certains médias et politiciens. C’est aussi le genre de discussions de comptoir que tu peux entendre dans des bars à l’occasion… Mais, est-ce que ça reflète l’opinion générale hongroise ? Je ne crois pas. Nous respectons la France et son équipe, même si nos modèles sociétaux sont très différents. »
L’extrême politisation du football hongrois n’en reste pas moins éminemment controversée. « Avant les matchs internationaux, on peut voir certains Hongrois (même s’ils sont minoritaires) dire, par exemple sur des forum internet : « Je vais soutenir l’autre équipe, parce que le foot hongrois ne progresse pas assez, malgré l’argent qu’on lui y consacre. Et aussi parce que j’en ai marre de ce contexte politique qui imprègne le foot en Hongrie » » , précise Eszter Petronella Soós. Le magma politique et médiatique hongrois risque-il dès lors de bouillir à nouveau, si la France colle une fessée aux Mágikus Magyarok ce samedi ? « Si on est nettement battus, il y aura sûrement deux types de narratifs, estime Eszter Petronella Soós. L’un critique d’une équipe de France « dopée » par sa politique migratoire, dans le camp conservateur. Un autre critique d’Orbán et de sa politique d’investissement dans le sport, dans le camp progressiste. »
L’identité qui divise
Et si les débats sur les Bleus étaient révélateurs du gouffre idéologique qui divise non seulement la classe politique, mais la société hongroise dans son ensemble ? « Il faut bien comprendre une chose : chez vous, en France, entre la gauche et la droite, le débat est d’abord économique historiquement, poursuit Eszter Petronella Soós. En Hongrie, depuis la chute de l’URSS, on a changé de système, mais une grande majorité des gens est restée marquée par le soviétisme. Donc, tous les partis doivent soutenir une politique économique de gauche, basée sur la redistribution et un rôle accru de l’État. » Il ne reste dès lors plus qu’une thématique, pour polariser l’opinion et le champ politique. « Et cette thématique, c’est l’identité. Qu’est ce que veut dire être hongrois ? Quel est notre rapport à l’Union européenne, au monde ? C’est là où réside notre division profonde. »
De fait, si la gauche défend une définition classique de l’identité, basée sur la nationalité, la droite conservatrice est beaucoup plus restrictive, à l’image de ses critiques adressées aux Bleus : « En France, quand je dis la nation française, vous pensez à la République et aux membres de cette nation, à savoir ceux qui sont nés français, explique Eszter Petronella Soós. L’idée qu’on puisse remettre en question la nationalité française de Mbappé ou Pogba est globalement très minoritaire en France. Mais, en Hongrie, le concept de nation, historiquement parlant, est beaucoup plus lié à la culture et à l’ethnie. » L’histoire magyare y est évidemment pour quelque chose : sous domination ottomane au XVIe siècle, de la maison royale des Habsbourg au XVIIIe siècle, puis des soviétiques de 1949 à 1989, la Hongrie a toujours été hantée par le spectre de sa disparition. Une identité toujours perçue comme menacée, notamment par l’immigration, dans le camp conservateur. En attendant, c’est le sort de la Hongrie à l’Euro qui est en sursis, alors qu’une défaite face aux Bleus condamnerait les Rouge et Blanc. Même si, en cas d’échec magyar, on se doute que le Fidesz et Viktor Orbán trouveront bien un moyen comme un autre de politiser l’affaire.
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Propos de Soós Eszter Petronella recueillis par AC, ceux de Péter Czillag par Mathieu Rollinger, à Budapest.