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Comment le rugby s’est offert à Chaban…
En recevant le FC Nantes (ce samedi 20h), les Girondins vont mettre un terme à 77 ans d'histoire passionnelle dans leur enceinte fétiche. Autrefois Parc Lescure, puis stade Chaban-Delmas depuis 2001, comme un scapulaire chevillé au corps, l'enceinte est le marqueur d'une forte identité footballistique. Mais pas que, puisqu'à partir de la saison prochaine, c'est le club de rugby pro de la ville, l'Union Bordeaux-Bègles, qui en bénéficiera…
Week-end chargé en émotions à Bordeaux : der à Chaban/Lescure et au stade Moga/Musard de Bègles le même soir. Une page du sport bordelais se tourne, en quasi simultané, face aux Canaris, et Oyonnax (18h30). Dans ce stade atypique devenu mythique qu’est Chaban, la Juventus de Platini et Boniek a bouffé ses rayures (C1, 1985). Le Milan AC de Baggio (Roberto) et Maldini s’y est fait éliminer (Coupe de l’UEFA, 1996). Le PSG de Zlatan s’est incliné (défaite 3-2, 29e journée de Ligue 1), et l’Olympique de Marseille n’y gagnera jamais plus ; sa dernière victoire en championnat remontant à 1977… Soit 38 ans. Bref, le stade Jacques-Chaban-Delmas, dans un autre contexte, synonyme de Résistance (et de balle ovale, puisque l’ancien maire de Bordeaux a joué à Bègles), porte bien son patronyme. Sauf que dans quelques heures, il ne sera plus. Ou plus vraiment. Parce qu’avec la construction du nouveau stade, bâti dans le quartier du Lac (au nord de Bordeaux), et son inauguration le 23 mai prochain (avec la rencontre entre les Girondins et Montpellier, lors de l’ultime journée de Ligue 1), l’écrin des années 30, situé en centre-ville, ne sera plus. Ou presque plus.
Un stade obsolète, dont on ne sait que faire
Devenu obsolète, faisant grincer les dents des dirigeants de l’UEFA quand il s’agit d’y faire jouer un match continental, ou celles de la LNF pour le quotidien de la L1, l’ex-Vélodrome, à l’époque novateur, n’est plus aux normes. Dure réalité. Mais quid de l’espace, qui occupe une bonne partie du quartier de Lescure ? Depuis plusieurs mois, les questions vont bon train. Au sein de la mairie de Bordeaux d’abord, propriétaire de l’enceinte, qui a évidemment son mot à dire. Auprès des élus ensuite, qui ne se ratent pas quant aux divergences d’opinion sur le sujet, ou à leurs appartenances politiques respectives… car recours, procédures administratives, joutes verbales et protestations sont régulièrement à l’ordre de jour… Alors que faire de ce joyau – période Art déco – pour les uns, ou de cette verrue qui pollue l’urbanisme, pour les autres ? Faire de Chaban un nouveau « Highbury » ? En vendant sur eBay des pans de mur… Bof. Créer un square, un parc ou un jardin botanique, pour que des quadrupèdes mal intentionnés viennent s’en donner à cœur joie… Pas mieux. Recycler l’ouvrage en résidence pour personnes âgées, pour que des viocs imitent leurs congénères poilus… Hum. Bref, réaménager le lieu pour la pratique du sport, en démolissant une partie des tribunes, et/ou en ne négligeant pas l’immobilier alentour, avec création de résidences ou d’appartements intégrés… En préservant le rectangle vert, pour mettre – encore – la pratique du sport (lieu d’hébergement de la CFA bordelaise) à l’honneur ? Tel, dans l’idée, un Marcel-Saupin à Nantes, voire un Colombes en région parisienne…
Un cahier des charges et du rugby
Parce que s’il y a eu un appel à projet lancé, et destiné à proposer des scénarios d’aménagements urbains, il y a quand même, et forcément, un cahier des charges à respecter : préserver le patrimoine architectural, l’ouverture du site sur ses quartiers (…), moderniser la plaine des sports municipale (car c’en est une grande, avec ses annexes, derrière le virage sud) pour répondre aux attentes sportives de proximité et d’agglomération (écoles, clubs de sport, etc.), affirmer la vocation sportive, revaloriser pour permettre à un futur club résident d’en bénéficier dans des conditions optimales (soit passer d’une capacité de 34 694 places à 20 000 ou 25 000 en configuration ovalie)… Blablabla…Un truc qui fait que le gagnant de l’histoire, justement, c’est le rugby. Et son représentant local qui évolue en Top 14 : l’Union Bordeaux-Bègles. Un club non moins mythique (9 titres de champion de France avec la fusion du SBUC et du CAB), qui se frotte les mains. « J’écoute, je vois un peu les attentes des uns et des autres (…), et je me rends compte qu’il serait sans doute possible de conserver à Lescure (…) un stade de 15 à 20 000 places en réaménageant le reste du site pour l’ouvrir sur le quartier, expliquait Alain Juppé, sur France Bleu, en mars 2014. L’UBB pourrait jouer en alternance les matchs « classiques »sur ce Chaban rénové et les grands matchs au grand stade, parce que ça lui rapportera beaucoup de recettes, poursuivait le maire de Bordeaux avant d’enfoncer le clou. L’UBB est capable de faire 35 000 personnes. » Vrai ! Soit quasiment la plus grosse moyenne, en termes d’affluence, du Top 14.
« Une source d’emmerdements que l’on assume avec plaisir… »
Alors, trahison ? Footeux cocus ? Pas vraiment, puisque depuis quelques années, le stade sert déjà aux deux clubs. « Que l’Union joue à Chaban-Delmas, pour nous, ce n’est qu’une source d’emmerdements, mais que l’on assume avec plaisir, confiait avec humour Jean-Louis Triaud dans Girondins Mag, en 2012. Ce sont beaucoup de contraintes (notamment pour la billetterie, gérée par le FCGB, ndlr) et de travail en plus, même si l’Union participe à 100% à la charge que représente cette activité supplémentaire. » Mais fini les problèmes de calendriers chargés, ou de pelouse massacrée, désormais. « Pour l’Union, jouer à Chaban-Delmas, c’est sortir de l’ordinaire, parce que le stade Moga, même s’il a été arrangé, est plutôt médiocre, faisait observer cet ancien rugbyman du Stade bordelais. De plus, le stade Chaban-Delmas a une histoire, même si nous, aujourd’hui, nous le considérons comme complètement obsolète. Mais j’imagine que lorsque nous serons dans le nouveau stade, l’Union sera très contente de venir y jouer. » La décision pour la succession n’a pas été facile à prendre au niveau des instances, mais il semble acté que le club à damier s’improvisera locataire principal du stade. Alors, des regrets ? « Personne ne m’en voudra si, moi qui suis au club simplement depuis neuf ou dix mois, je dis que je ne peux pas parler de cette dimension-là… Il y a des gens qui peuvent plus répondre, comme le président ou certains joueurs historiques, qui auraient plus de choses que moi à dire sur ce changement, indique avec humilité Willy Sagnol. Mais c’est une vraie chance, parce que je pense que le nouveau stade va être un réel coup de boost pour le club. Et tout le monde a envie de bien finir dans l’enceinte historique. C’est un pan d’histoire qui s’arrête, c’est sûr, mais un nouveau qui débute… » En l’écrivant de la meilleure des manières, face au FC Nantes, samedi soir, histoire de ne pas gâcher la fête…
Par Laurent Brun, à Bordeaux