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Comment le foot s’est fait une place en or sur Instagram

Par Alexandre Delfau et Adrien Hémard
Comment le foot s’est fait une place en or sur Instagram

À chacun sa façon de vivre le foot. Pour la génération Z, à savoir celle née entre 1997 et 2010, la terre n’a jamais tourné sans internet, et le ballon rond non plus. Hyperconnectés, les jeunes sont de plus en plus nombreux à mettre eux-mêmes la main à la pâte en créant leurs propres canaux d’information. Leur terrain de jeu : Instagram.

Article paru dans le numéro 70 de SO FOOT CLUB

« Qui est le meilleur entre Messi et Cristiano Ronaldo ? » « Tiens, le PSG vient de révéler un quatrième maillot signé Air Jordan. » « Quoi ?! Mbappé pourrait signer à Liverpool ? » Voilà le genre de contenus qui pullulent sur Instagram, systématiquement accompagnés d’une photo ou d’un montage vidéo. Infos mercato, statistiques ou tout simplement résultats de matchs: depuis plusieurs années, des comptes se sont fait une spécialité de relayer l’actualité du ballon rond sur le réseau initialement dédié à la photo. En scrollant l’onglet explorer ou en défilant les storys, on peut désormais tout savoir ou presque de l’actu du football en suivant les bons comptes. On peut même tout voir, certains n’hésitant pas à partager des vidéos de buts sans en avoir les droits.

Le foot en template et en heure

Sur le papier, rien de bien innovant derrière ces comptes qui ne proposent finalement que des infos mercato, résultats, highlights de match, sondage ou encore débats, comme les médias traditionnels. Sauf que ces Instagrameurs footballistiques ont une arme centrale : les Reels, des vidéos de 15 secondes avec toute sorte d’effets visuels ou auditifs. Grâce à elles, ils diffusent des séquences de match en dribblant les droits d’auteurs des diffuseurs. « Ça marche bien, on arrive à faire plus de 100 000 vues », se targue le lycéen Andreas, 16 ans, membre de l’équipe de @foot.transfert, qui comptabilise 112 000 abonnés. Il détaille : « On utilise des images des clubs, de la Ligue 1, pas les contenus des chaînes, ce sont elles qui sont les plus dangereuses. Pendant la Coupe du monde 2018, la FIFA a bloqué 90% des contenus. Ils arrivent à nous trouver. » En attendant, fini la galère pour (re)voir un but d’un match auquel on n’a pas accès.

Aux yeux de Pierre Maes, expert en droits TV, « c’est une forme de piratage. Les diffuseurs achètent l’exclusivité. Donc tous les moyens pour le public de regarder les buts sans passer par eux constituent un problème à leurs yeux. » Alors pourquoi ces jeunes, souvent mineurs, se permettent cela ? « S’ils continuent, c’est qu’ils ont l’impression qu’ils ne risquent pas grand-chose. Pour les ligues ou les chaînes de télévision, ce serait engager des frais énormes pour couper ça. Si ça prend une proportion trop importante, ils le feront. Pour l’instant, ils laissent faire », estime Pierre Maes, à raison. En dehors de quelques craintes, les petites mains derrière ces comptes ne tremblent pas vraiment. « Il n’y aura pas d’amende, plutôt une suspension de compte, c’est ça qui fait peur. Mais avec 112 000 abonnés, on peut obtenir gain de cause, j’ai déjà vu des comptes plus petits obtenir gain de cause après une suspension », assure Andreas. Dans les faits, chacun a sa petite astuce. Du haut de ses 15 ans, Madjilem, cocréateur de @multifoot_fr, partage la sienne : « Il faut flouter le nom de la chaîne et zoomer sur l’image pour ne pas qu’on voit leurs animations. » Un floutage, une mention de la source, un zoom, et l’affaire est dans le ‘gram. Notamment grâce aux Reels, qui ont changé les règles du jeu, comme l’explique Gabriel, 17 ans, de @lqfoot_., à la sortie de son conseil de classe : « Une fois, une publication s’est fait striker. Mais maintenant, avec les Reels, ça facilite la chose, et c’est plus accessible. »

Pour ces pages, les highlights de match font office de contenus premiums, mais le gros du travail reste les infos mercato et les résultats partagés à coût de montages photo plus ou moins réussis. Normal, puisque ces comptes sont tenus par des collégiens, lycéens ou parfois jeunes étudiants. « @Foot.transfert est né le 25 avril 2017. On est 4 membres, entre 15 et 18 ans. Le fondateur c’est Ibrahim, il vit au Maroc », présente Andreas, qui a rejoint l’équipe en 2018 après avoir vu son compte perso (@goal_insta_ligue1) être suspendu pour diffusion de contenus de match sans en avoir les droits. Il poursuit : « En 2018, on avait 10 000 abonnés. Ça a explosé avec la Coupe du monde. Aujourd’hui, on en a 117 000. » Pour situer, le compte Instagram de So Foot en possède 156 000. Parmi les abonnés à ces pages, on retrouve parfois de futurs administrateurs. C’est notamment le cas de Véran, 16 ans, de @foot.minute : « On est 5 dessus, entre 15 et 23 ans. On ne se connaît pas dans la vraie vie, on s’est connus sur Insta. Moi, j’ai commencé en tombant sur leur campagne de recrutement en story. » Pour Madjilem, comme pour beaucoup, c’est pas mal dû à la Covid : « Ça a commencé au début du premier confinement, en mars 2020. J’étais avec un de mes potes, Benoît Millot, 14 ans (supporter du PSG), que je connais depuis le CM2, et on a eu cette idée, c’était juste pour s’amuser et parce qu’on s’ennuyait un peu. »

Insta, c’est carré et rectangle

Mais alors, qu’est-ce qui motive ces jeunes : les likes ? Une vocation journalistique ? Le nombre d’abonnés ? La monétisation ? Un peu de tout ça. Pour Véran, le but est surtout de grandir en s’amusant : « On fait ça sérieusement, mais l’objectif est de prendre du plaisir. De grandir de jour en jour, de faire des nouveaux projets et d’être le plus professionnel possible. On parle de créer un site internet. » Ce qui fait vibrer Andreas, lui, c’est d’écrire : « En plus des publications, on a un site où on met des articles et des interviews. Ça, c’est un kif ! » Comme beaucoup, ce Parisien supporter de l’AS Monaco rêve de faire du journaliste sportif. Cette première expérience sur Instagram va dans ce sens : « J’ai rencontré pas mal de footeux par ce compte, comme Akpa-Akpro ou Marçal, ou même en interview avec Ludovic Blas, Romain Faivre. On est suivis par le frère de Marquinhos, on a travaillé avec Giannelli Imbula. Des joueurs pros nous suivent, on parle avec certains d’entre eux, notamment Ignatius Ganago, Éric Bauthéac ou Lucas Lima », énumère fièrement Andreas, qui assure ne pas faire ça pour l’argent ou le nombre d’abonnés : « Si je voulais être une star et gagner de l’argent, je me ferais connaître sous mon nom. » Reste que pour tout compte Instagram, le compteur d’abonnés demeure un élément central. Madjilem ne s’en cache pas: « On essaye d’avoir le plus d’abonnés possible, et pourquoi pas un jour dépasser les 100 000 abonnés. La monétisation ? Ce serait pas mal, ça va être compliqué, mais on peut réussir. J’avoue ne pas trop savoir comment ça se passe. »

Parler d’argent pour ces comptes tenus par des mineurs peut s’avérer choquant. C’est pourtant une réalité. En effet, certaines marques n’hésitent pas à les solliciter pour des partenariats rémunérés via PayPal ou des bons d’achat. Du côté de @foot.transfert, Andreas raconte: « On a un partenariat avec une boutique de maillots à Paris, on reçoit des lots de maillots. Quand on gagne de l’argent, on ne le dépense pas, on le garde pour investir dans du matériel, des logiciels, etc. » En vue de l’Euro 2021, ces mineurs ont même été approchés par des marques de bière ou de paris sportifs : « On négocie là, pour passer de la pub, et peut-être pour de la création de contenus », glisse Andreas, visiblement pas gêné de travailler avec des marques qui vendent des produits interdits aux gens de son âge. Cette monétisation est d’autant plus surprenante qu’elle intervient sur des comptes au fonctionnement assez précaire. « On n’a pas vraiment d’organisation. En gros : il y en a un qui voit passer une info, on se l’envoie, et celui qui peut poster le fait », éclaire Andreas. « Quand je vois une info, je fais ça sur le moment, ça me prend 1h par jour, 3h le week- end », continue Gabriel. Autre levier de professionnalisation, les montages photo. Là encore, le système D est roi, et les templatesfont le reste :« On faisait sur téléphone au début et maintenant, on fait ça sur Photoshop. On a regardé des tutos pour s’améliorer. Sur la dernière version, il y a After Effects, donc ça nous permet de faire des vidéos adaptées au format Instagram », avoue Madjilem, qui fait environ une heure de montage par jour : « Avec l’école, c’est souvent compliqué parce qu’on ne peut pas poster en direct. Pendant les vacances, on essaye d’y passer un maximum de temps pour s’améliorer. »

Du côté de @foot.minute, Véran est plus organisé : « On a trois groupes : un où on se dit tout ce qu’on a posté, un plus détente pour parler foot et un troisième où on parle de nos projets. On s’organise une réunion toutes les deux semaines pour faire le point, discuter du compte et des projets. » Un vrai fonctionnement de rédaction pour ces comptes qui se professionnalisent donc au fur et à mesure qu’ils grandissent, à l’image de Véran et de ses potes : « Grâce à l’argent des partenariats, on paie un graphiste pour faire de vrais beaux montages de qualité. » Des likes, des abonnés et de l’argent : en apparence, voici un cocktail explosif à même de créer des rivalités entre comptes. En réalité, pas tant que ça. Certains partagent même un groupe Instagram où ils se conseillent mutuellement. « On est 32 comptes différents dessus, on s’envoie nos montages et on se dit ce qu’on en pense », révèle Madjilem. Et si des concours du meilleur compte sont toutefois organisés sous forme de sondages, « c’est plus pour mettre la lumière sur des petits comptes que pour en décrédibiliser certains », assure le supporter de la Juve. Une bienveillance notable, qui tranche avec certains des commentaires ou autres messages reçus. « Sur Instagram, on est exposés à la haine. On essaye de virer les commentaires racistes. Les insultes on laisse, parce que ce serait abusé de virer tous les commentaires négatifs. Mais voilà, les gens viennent nous tailler, dire qu’on bosse mal, qu’on ne parle que du PSG, que de Mbappé. On nous dit qu’on suce le PSG, alors qu’à @foot.minute, on a deux supporters de l’OM, un de Monaco et un Nantais ! » se marre Andreas.

Pas de quoi décourager ce beau petit monde, qui suit son cours et poursuit son développement, à l’image de @foot.minute : « On aimerait fonder une entreprise pour lancer notre média, on réfléchit à du live Twitch également. » Quant à Véran, il prévoit d’ouvrir une branche sur Snapchat et Youtube. C’est bien le minimum quand on espère trancher définitivement : « Alors, qui est le meilleur entre Messi et Cristiano ? »

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