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- Allemagne-Écosse (5-1)
Et l’Allemagne bascula dans la fête
Pendant que les yeux du monde étaient braqués sur l’Allianz Arena de Munich où la Mannschaft a écrasé l’Écosse (5-1) en ouverture de l’Euro 2024 ce vendredi, le reste de l’Allemagne est également entré petit à petit dans sa compétition au fil des heures qui précédaient le coup d’envoi.
S’il y avait bien quelques panneaux, quelques stickers ou quelques drapeaux aux couleurs de l’Euro 2024, il a fallu attendre le vendredi 14 juin, jour J de l’entrée en piste du favori allemand, pour voir l’Allemagne changer de peau et se transformer définitivement en véritable pays hôte. Au fur et à mesure que le coup d’envoi d’Allemagne-Écosse approchait, la Tartan Army trouvait enfin un peu de répondant à ses chants légendaires et ses excentricités qui font de l’Euro un événement à ne pas manquer. Il faut croire que le contexte politico-social allemand y jouait pour beaucoup : une étude publiée en début de semaine indiquait même que 70% des Allemands préféraient éviter les lieux publics pour mater les matchs de l’Euro. Mais comme cela arrive parfois en politique, le peuple allemand s’est amusé à faire mentir les sondeurs en envahissant les rues, les bars, et en chantant très fort jusqu’au bout de la nuit pour fêter la magnifique entrée en matière de la troupe de Julian Nagelsmann.
« La situation politique a un impact sur l’ambiance »
Dans le quartier historique de Düsseldorf, il est aux alentours de 15 heures quand une poignée de supporters allemands passe la porte du Fatty’s, le plus vieux pub irlandais de la ville. Après avoir commandé des pintes et quelques shots de Jägermeister, Michael démarre une partie de fléchettes avec ses potes en se prenant pour la superstar anglaise de la discipline, Luke Littler. Il arrive tout droit de Suisse, lui, le fruit d’une union entre une maman helvète qui n’en a rien à carrer du ballon rond et un papa allemand qui lui a transmis la fibre footballistique. Pour lui, il ne fait aucun doute que l’Allemagne ne fera qu’une bouchée de l’Écosse de Scott McTominay quelques heures plus tard : « Je vois une victoire facile du genre 3-1, tu peux parier un million d’euros dessus, crois-moi c’est du sûr, glisse le trentenaire maillot de la Mannschaft sur le dos. Et tiens, puisqu’on est sur les prédictions, cet Euro, il sera pour la France ! » Cela reste à voir. Quand il ressortira de l’établissement quelques heures plus tard, celui qui attend avec impatience Allemagne-Suisse verra que l’ambiance a radicalement changé dans les artères alentour : toutes les terrasses sont blindées, les écrans plasma ont germé, la queue devant l’un des kebabs de Lukas Podolski est déjà conséquente. Bref, tout est prêt pour passer l’une de ces soirées dont on se souvient à vie.
À 170 kilomètres à l’est, à Paderborn, où les Bleus ont élu domicile, il fallait là aussi s’avancer vers le centre-ville pour saisir que l’Allemagne allait disputer un match d’ouverture de l’Euro. Peu de drapeaux aux fenêtres ou sur les voitures, aucune affiche annonçant la rencontre et surtout un engouement très minime à moins d’une heure du coup d’envoi. Mais le diable se cache dans les détails, comme avec cette bande de copines munie de colliers hawaïens aux couleurs allemandes, ou encore via ce duo père fils un poil grognon lorsqu’il s’agit de répondre à quelques questions. Pour trouver un peu de chaleur, direction les bars du côté de la place de l’hôtel de ville, toujours décoré du drapeau bleu blanc rouge dans la nuit, où les télés sont installées sur les terrasses. Contrairement à Düsseldorf, celles-ci ne sont ni blindées, ni très chaudes. « C’est une tradition allemande, pose Julian une pinte à la main. L’ambiance va monter au fur et à mesure des matchs, nous avons appris à ne pas nous enflammer trop vite. » Un peu plus loin, Toby, 25 ans, a une autre théorie : « La situation politique a un impact sur l’ambiance. Ça va peut-être monter après la phase de poules, mais le pays est trop divisé. C’est pour ça que vous ne voyez pas beaucoup de maillots ou de drapeaux, les Allemands ne sont pas très fiers de leur équipe nationale en ce moment et je ne crois pas que l’Euro va unir tout le monde. En tout cas, c’était beaucoup plus chaud lors du dernier Euro ou de la Coupe du monde. »
Si la fièvre n’a pas gagné Paderborn, elle a en tout cas contaminé la file qui s’étire sur près de 200 mètres devant le Backstage, un haut lieu de la culture alternative munichoise. Un bon moyen de rappeler que tous les Bavarois ne sont pas de gros conservateurs amateurs de culottes de peau, comme en témoignent ces trois métalleux assis par terre avec un litre de bière en main. « En foot, l’Allemagne est plutôt cool, en tout cas plus que sa politique, expliquent-ils en roulant une clope. C’est plutôt marrant d’être là, ça permet de rencontrer des gens du monde entier et en plus, il y a une soirée rock gratos juste après ! » Pour le monde entier, on repassera. Hormis des Allemands, on reconnaît surtout des Écossais, comptant parmi le régiment de la Tartan Army dépourvu de billets pour l’Allianz Arena. À l’image d’Andrew, un gars en kilt qui compte sur ses compatriotes pour trouver un coin où dormir, arrivé le matin du match depuis Glasgow : « Mec, rends-toi compte : prendre un aller-retour en avion sur le week-end me coûte moins cher qu’une place au stade et il me reste même des sous pour les bières ! »
Tokio Hotel, rouste et Get27
Lorsque le match commence enfin, le scénario fait rapidement baisser le volume des Écossais pour laisser les basses allemandes progressivement prendre toute la place. Devant l’un des nombreux établissements bondés à Düsseldorf, on s’étonne même de voir trois hommes déguisés en punk façon Tokio Hotel hurler leur joie de façon démesurée sur le golazo de Jamal Musiala. La raison ? Il s’agit de Julien Cazarre et de ses acolytes, qui aussitôt après avoir vérifié que leur explosion de joie a bien été enregistrée, s’évaporeront dans la nature comme si de rien n’était. À la pause, l’Allemagne s’est déjà envolée et les vannes envers le pays de Sir Alex Ferguson fusent.
Toujours dans la bonne humeur, comme au Backstage de Munich où les Écossais réagissent avec humour aux chants provocateurs des Allemands, lesquels réclament que « l’on baisse leurs jupes ». Réponse des infortunés du soir : « Allez l’Allemagne, marque un but ! », scandé en VO option yaourt. Un message reçu cinq sur cinq par Nicklas Füllkrug et Emre Can, non loin de là, qui se chargeront de corser l’addition. Chaque nouveau pion allemand sera d’ailleurs accueilli par des cris – même celui contre son camp d’Antonio Rüdiger – et avec pas mal de shots gratuits à base de Get27 ou fraise bonbon. Score final : 5-1. La nuit est déjà là, et si Katherin promet depuis Paderborn que « l’ambiance sera plus chaude mercredi » face à la Hongrie, la fête qui durera toute la nuit peut commencer ailleurs. Une bonne nouvelle pour finir : malgré la taule, Andrew a trouvé un bout de canapé pour avaler la pilule et surtout décuver. Oui, c’est aussi ça, l’Euro.
Par Andrea Chazy (à Düsseldorf), Julien Duez (à Munich) et Clément Gavard (à Paderborn)