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Comment la Suisse a permis à l’Espagne de gagner la Coupe du monde
La dernière confrontation en compétition officielle entre la Suisse et l'Espagne, qui se défient ce samedi pour la troisième journée de Ligue des nations, date de dix ans : lors de la Coupe du monde 2010, la Suisse avait surpris l'Espagne sur la plus petite des marges lors de leur premier match de poules. Mais cette défaite avait grandement servi à la Roja, qui était ensuite allée au bout de la compétition et avait soulevé le trophée tant désiré.
Cinquante-deuxième minute, au Moses Mabhida Stadium de Durban. Sous le vacarme des vuvuzelas, Gelson Fernandes se retrouve à quelques centimètres du ballon placé devant le but vide d’Iker Casillas à la suite de plusieurs contres favorables plutôt hallucinants. Ne se posant pas mille questions, le milieu de terrain fonce et pousse la sphère au fond au nez de Gerard Piqué malgré le retour du portier. Vingt-trois frappes adverses et douze corners plus tard (sans oublier une barre transversale de Xabi Alonso, et un poteau d’Eren Derdiyok), la Suisse lève les bras vers le ciel : contre toute attente, elle vient de s’offrir le champion d’Europe espagnol et grand favori de la Coupe du monde en ce 16 juin 2010.
C’était il y a plus d’une décennie, donc. Mais aujourd’hui encore, il s’agit de la dernière confrontation entre les deux pays en compétition officielle. À l’heure où elles s’apprêtent à se retrouver pour la quatrième journée de Ligue des nations, ces nations se souviennent parfaitement de cette opposition (même si un amical achevé sur un 1-1 s’est glissé entre les deux rencontres, en 2018). Surtout la Roja, qui était finalement allée au bout du Mondial et avait soulevé le trophée tant convoité après une entrée en matière compliquée lors de ce premier match de groupes face aux Helvètes.
Mise en garde et sentiment d’injustice activés
Reste que paradoxalement, ce revers contre la Suisse constitue un bon souvenir pour l’Espagne. Tout simplement parce que s’il ne représente pas le but le plus important de l’histoire de la Roja (il ne faut, évidemment, rien exagérer), le pion de Fernandes lui a permis de se lancer efficacement à l’assaut de son premier titre suprême. Comment ? D’abord, la deuxième défaite de l’ère Vicente del Bosque a engendré un sursaut d’orgueil pour la bande du sélectionneur. Dégoûtés de ne pas avoir trouvé la faille malgré 75% de possession de balle et de s’être fait avoir par un ennemi ayant frappé seulement cinq fois, Sergio Ramos et ses potes cultivent alors un certain esprit de vengeance qui va les stimuler pour la suite de l’épreuve.
« Ils ont été excessivement récompensés par rapport au football qu’ils ont pratiqué, nous nous sommes battus pour la victoire et elle nous a échappé. Mais j’ai soif de revanche et de rébellion, nous sommes encore en course », amorce par exemple l’entraîneur, le ton assuré face à la presse. « Nous faisons le match qu’il faut avec les bonnes combinaisons, les occasions de Piqué, Xabi Alonso, Jesús Navas… Toutes les statistiques démontrent que nous avons dominé cette rencontre, excepté le score final. Si nous avions joué ce match dix fois, nous l’aurions gagné huit fois. Alors au moment de rentrer dans les vestiaires après le match, je n’ai vu aucun visage défaitiste. Nous étions tous d’accord pour se dire : »Putain, nous avons perdu, mais ce résultat n’était pas juste ! » » , rembobine, de son côté, Joan Capdevila.
Tiki-taka 2.0 déployé
Ensuite, la mauvaise surprise des petits Suisses permet à l’Espagne (peut-être trop confiante) de revenir sur terre et de surligner ses propres défauts comme de se murer dans ses qualités. « La défaite est la mère du succès », « On apprend peu par la victoire, mais beaucoup par la défaite », « Chaque défaite nous rend plus avisés », « Une défaite est une leçon et chaque leçon est une victoire » : les poncifs à ce sujet sont nombreux, mais la conclusion bien réelle. Ainsi, Del Bosque comprend par ce revers qu’il doit apporter davantage de variation dans le jeu offensif pendant que ses joueurs prennent conscience de l’importance du réalisme dans les deux surfaces (surtout dans celle de derrière d’ailleurs, puisque le champion ne marquera en tout que 8 fois en 121 tentatives, tandis qu’il alignera 5 clean sheets en 7 parties). Surtout, au lieu de faire machine arrière et de tout remettre en cause, la Roja estime qu’elle doit encore plus (s’)appuyer sur sa philosophie tactique.
Le tiki-taka est donc renforcé, et le double pivot devant la défense amené à s’affirmer davantage. La preuve, avec les propos de Capdevila : « Quand nous perdons notre premier match face à la Suisse, nous n’avons plus le droit à l’erreur derrière pour sortir des poules. Nous avions des sentiments à contrôler, nous ne sommes pas des machines. La conséquence, c’était de se mettre à jouer avec sécurité et monopoliser le ballon plus que jamais pour trouver l’ouverture adverse grâce à la fatigue occasionnée. Nous n’avons pas laissé la place au doute et nous étions convaincus que ce match allait être une dalle fondatrice. La victoire suivante face au Honduras nous a confortés dans nos convictions. » À titre individuel, la concentration et le niveau technico-tactique footballistique de chacun s’élèvent également (notamment chez les latéraux, à savoir Ramos et Capdevilla) et tout s’enchaîne. En revanche, la donne est inversée pour les bourreaux : sans doute « traumatisés » par leur exploit, les Helvètes poursuivent en perdant contre le Chili, puis en concédant le nul face au Honduras. Résultat final : un Mondial pour l’un, une élimination avant même les huitièmes pour l’autre. Alors, qui a fait mal à qui ?
Par Florian Cadu