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Comment la MLS est-elle devenue la pépinière d’Europe
Si, dans nos esprits (étriqués ?) européens, la MLS est synonyme de ligue de préretraités, le championnat nord-américain est en train de devenir une mine de jeunes talents à ciel ouvert, sur laquelle tous les clubs du Vieux Continent commencent à lorgner. Ou comment un Ehpad est devenu crèche.
Le 3 janvier dernier, Ricardo Pepi, 18 ans, a marqué l’histoire de la MLS. Le jeune attaquant formé au FC Dallas a rejoint Augsbourg, humble club du bas de tableau de Bundesliga, contre un chèque de 17 millions d’euros. Un record pour les Bavarois, mais surtout pour le championnat américain. Il devient ainsi le joueur américain formé en MLS le plus cher de l’histoire. Dans les jours suivants, 14 joueurs âgés de moins de 25 ans formés outre-Atlantique suivront le même chemin. Là aussi, c’est un record. Un afflux de joueurs américains et canadiens dû évidemment au fait qu’il s’agit de l’intersaison en Amérique du Nord, mais pas que. « Le mercato d’hiver est le moment où beaucoup de clubs cherchent à attirer de jeunes joueurs, plutôt que de signer des joueurs très chers », juge un agent ayant effectué des transactions entre le championnat américain et la Bundesliga à l’hiver et qui ne souhaite pas dévoiler son identité. Fred Lipka, directeur technique du développement des jeunes pour la MLS, estime lui qu’il n’y pas qu’une seule raison à ces nouvelles arrivées, mais qu’il s’agit d’un « système qui se met en place petit à petit ». Le dirigeant français, qui s’est lui-même exporté aux États-Unis il y a dix ans, juge que la MLS est arrivée à « sa version 3.0 ». Avec toujours certains joueurs venus de l’étranger, un bon nombre de joueurs internationaux de la zone CONCACAF, des joueurs domestiques issus des collèges avec la draft et… ceux formés dans les académies des clubs. Grande nouveauté de ces dernières années.
Une charrue remise avant les bœufs
« L’aventure MLS a commencé il y a 25 ans, et on a d’abord commencé à mettre en place une ligue professionnelle avant les académies », explique Earnie Stewart, directeur exécutif de la Fédération américaine. L’amélioration de la formation, nettement visible aujourd’hui, vient d’un changement drastique de politique opéré en 2013 par la MLS elle-même. Après des années à mettre en valeur le championnat grâce à des stars payées au prix fort, Fred Lipka explique que la ligue se pose alors la question de la viabilité sur le long terme et de la place des joueurs domestiques au sein des équipes. « On a décidé de mettre plus de moyens dans la formation des coachs, des staffs, des dirigeants… C’est comme si tu avais une super cuisine, mais que dedans tu avais des cuisiniers qui n’étaient pas bons », explique le Français à la tête du projet outre-Atlantique. Des convois entiers d’entraîneurs américains sont envoyés en Allemagne, en Espagne ou en France, pour « capturer l’expertise ». Cette influence étrangère se trouve aussi directement au sein des clubs, où beaucoup de postes de dirigeants sont occupés par des non-Américains. « Dans notre équipe première, on a Peter Luccin au poste d’entraîneur-adjoint, mais aussi un joueur colombien et un coach espagnol, énumère Andre Zanotta, brésilien et directeur technique du FC Dallas. Notre coach de l’équipe réserve est norvégien. Ils sont tous aux États-Unis depuis longtemps maintenant et ils nous aident aussi à atteindre un meilleur niveau. »
Brenden Aaronson, face au LOSC du Canadien Jonathan David.
La politique commence à porter ses fruits et la première génération entièrement formée dans ce nouveau système est celle qui s’exporte aujourd’hui en Europe. Des jeunes qui ont aussi bénéficié de l’amélioration des infrastructures. « L’Union de Philadelphie avait vraiment un cadre très professionnel depuis mes premières années, explique Brenden Aaronson, 21 ans, transféré l’hiver dernier au RB Salzbourg. On avait deux entraînements par jour, un où l’on travaillait plutôt les aspects individuels où je travaillais mes tirs, ma technique, mes dribbles. Dans l’après-midi on avait des séances collectives, proches de ce qu’on fait en Europe. » Un cadre qui attire désormais les jeunes joueurs sud-américains, qui voient la MLS comme une plateforme vers l’Europe. « Ça leur permet de s’adapter à une nouvelle culture et de faire leurs armes dans une ligue compétitive avec de bonnes infrastructures », ajoute Zanotta, dont le club texan dispose de la meilleure académie du pays.
Si ces jeunes sont autant attirés par la MLS, c’est aussi parce que le championnat leur fait confiance. La ligue a investi massivement dans un nouveau parcours académique intitulé MLS Next, pour la préformation et la formation avec 133 académies et clubs indépendants d’U13 à U19. En mars 2022 débutera la MLS Next PRO, une ligue semi-professionnelle de troisième division qui servira de passerelle entre l’académie et la MLS. Au-delà de la formation donc, c’est toute une stratégie globale qui vise à promouvoir la place des jeunes dans les équipes premières. « On ne dit pas aux clubs :« Il faut faire jouer les jeunes », mais on a des politiques incitatives pour qu’ils le fassent », explique Fred Lipka. Ainsi, les joueurs de moins de 21 ans formés au club ne comptent pas dans le salary cap, plafond de la masse salariale imposé à chaque équipe outre-Atlantique. La ligue a aussi créé le statut de « Young DP » pour les jeunes joueurs de moins de 22 ans étrangers. Jusque-là le statut de « DP » , joueur désigné, était réservé à des stars comme David Beckham ou Thierry Henry, qui pouvaient être surpayées en dehors du salary cap. Cet hiver, Jesús Ferreira, formé au FC Dallas, est devenu le premier joueur issu d’une académie à devenir Designated Player d’une franchise. Lipka reconnaît que la MLS a cherché à « driver les investissements » vers la jeunesse et que les bénéfices commencent à être visibles. « Aujourd’hui, on a énormément d’intérêts à signer un joueur qui a entre 17 et 20-21 ans, parce qu’il ne compte pas dans le salary cap », confie Andre Zanotta, DT de Dallas. Dernièrement, entre 60 et 80 joueurs formés dans les académies ont signé professionnel.
Jesús Ferreira, premier Young DP.
Un transfert vers l’Europe, entre modèles et espoirs
En plus d’une place croissante au sein des effectifs, les jeunes ont aussi un nouvel espoir : celui d’un transfert vers l’Europe, de mieux en mieux accepté par les instances. Aux États-Unis, les joueurs sont les propriétés de la ligue et, fut un temps, obtenir un ticket pour le Vieux Continent était très compliqué tant la MLS avait besoin de garder ses meilleurs atouts pour se placer sur la carte du football mondial. Mais les choses ont changé. « La MLS et la fédération américaine sont devenues de plus en plus encourageantes envers les joueurs qui veulent aller en Europe. Ils voient ça comme une bonne publicité pour le football aux États-Unis », explique l’agent qui profite de cette politique marketing. « Avoir des exemples de jeunes MLS qui réussissent à l’étranger, ça aide le foot en MLS et l’image du foot aux États-Unis, reconnaît Fred Lipka. On a encore besoin de convaincre les jeunes qui ont entre 6 et 12 ans ici, que le football est un super sport, qu’ils devraient le pratiquer davantage et qu’on peut être une star dans son pays ou à l’étranger en jouant au foot. » Pour autant, le dirigeant assure que la ligue ne cherche pas « à placer des joueurs pour être des figures de proue », mais qu’il s’agit de choix personnels des joueurs, contre lesquels la MLS ne peut pas encore lutter.
« Quand tu es joueur de foot, la dernière étape, c’est souvent d’aller jouer en Europe et de voir si tu arrives à te confronter au meilleur football », confirme Caden Clark, milieu de terrain offensif des New York Red Bulls en partance vers l’Europe. Malgré les progrès de la MLS, l’Europe fait toujours rêver les gamins qui sortent des académies américaines. Même si le départ du néo-international vers le RB Leipzig est repoussé, le jeune de 18 ans ne reste pas aux US avec des projets d’avenir : « Mon rêve a toujours été de jouer en Europe, mais rester un an de plus ici est très important, parce que je vais avoir du temps de jeu. » Le tout avec la Coupe du monde 2022 dans un coin de la tête. À 21 ans, Brenden Aaronson a déjà fait ses preuves en Europe, titulaire en Ligue des champions avec le RB Salzbourg. Et pour lui aussi, le « big step » direction l’Europe n’a jamais été une question : « Je voulais vraiment aller jouer en Europe et me confronter au plus haut niveau. Ça m’a permis d’être un titulaire de l’équipe nationale ensuite. Mon rêve, c’était d’aller jouer en Europe et de jouer la Ligue des champions. »
L’éclaireur Pulisic.
Un rêve rendu accessible aussi par les très nombreux exemples de joueurs américains qui ont brillé dans les meilleures ligues européennes ces derniers mois. Christian Pulisic (Chelsea), Sergiño Dest (FC Barcelone), Weston McKennie (Juventus), Gio Reyna (Dortmund) : soit autant de modèles pour les nouvelles générations qui permettent aussi à la MLS de gagner en crédibilité auprès des clubs européens. « La réussite des joueurs que l’on a exportés ces derniers temps fait qu’on nous regarde différemment, plus respectueusement, et ça nous met d’égal à égal avec ce qui se fait de mieux dans la formation des jeunes », se félicite Fred Lipka. Earnie Stewart, directeur exécutif de la fédération américaine s’attribue aussi quelques mérites : « Il y a l’habitude de voir des joueurs qui sont mieux formés qu’avant, qui jouent dans une équipe nationale qui se porte mieux, donc ça devient logique que nos joueurs intéressent les clubs européens. »
Des progrès venant d’ailleurs
L’agent estime que cet intérêt des clubs européens envers les jeunes américains vient aussi de l’amélioration des structures de recrutement en Europe. En quête de joueurs de plus en plus jeunes, les directeurs sportifs se sont entourés d’une armée de scouts dont certains lorgnent désormais sur les talents du pays de l’Oncle Sam. « Ils ont souvent un recruteur qui est en permanence aux USA, ou en envoient de temps en temps pour voir des matchs, explique l’agent basé en Angleterre. Ils bossent avec des agents qui leur recommandent des joueurs. Ils peuvent aussi utiliser toutes les nouvelles datas et les vidéos disponibles pour suivre un joueur précis. » Un ensemble de facteurs qui fait qu’aujourd’hui, il est plus simple de promouvoir les joueurs de MLS : « Si on recommande un joueur à un club, souvent les clubs européens le connaissent déjà. » Les US ont aussi été massivement investis par des groupes étrangers comme Red Bull, propriétaire des New York Red Bulls, et City Group, avec New York City FC. Ceux-là viennent chercher les meilleurs joueurs locaux pour les emmener dans leurs bagages, à destination des mastodontes européens.
City champion, même de l’autre côté de l’Atlantique.
Un gros travail a également été fait sur l’accueil des joueurs étrangers, afin qu’ils se sentent intégrés sur, et en dehors du terrain. « Quand je suis arrivé à Salzbourg, ils avaient mis en place des cours d’allemand. Ils m’ont aussi appris quelques trucs basiques de tactique qu’eux utilisent. Leur style de jeu me convenait parfaitement, donc je n’ai pas mis beaucoup de temps à m’adapter », se rappelle Brenden Aaronson, en Autriche depuis un an. Agents et clubs travaillent à ce que les joueurs ne soient pas perdus en arrivant. « La plupart des gros clubs aujourd’hui offrent un staff qui est entièrement dédié à l’intégration des joueurs étrangers, explique l’agent. Ils aident sur le terrain, mais surtout en dehors, pour trouver une maison, une école pour les enfants, les cours de langues. » Pas plus mal pour éviter de rééditer le flop Freddy Adu. Le fait que de nombreux Américains aient déjà fait leur trou un peu partout en Europe permet aussi aux nouveaux arrivants d’avoir quelqu’un sur qui compter. À l’image de Justin Che, transféré à Hoffenheim cet hiver et qui a visité les installations du club allemand en compagnie de Chris Richards, international américain et arrivé en Allemagne depuis 2018. « J’ai beaucoup d’amis qui sont en Europe maintenant et je leur parle tous les jours, plussoie Caden Clark, en recherche de repères avant son transfert. À chaque fois que je les vois en équipe nationale, je leur demande comment se passe la vie là-bas, quelles activités ils ont en dehors du travail, la nourriture, la langue… »
Dernier maillon de la chaîne, l’équipe nationale américaine a elle aussi un rôle dans cette exportation massive de minots en Europe. Optant pour une politique à long terme, US Soccer Federation offre à de nombreux jeunes la possibilité d’enfiler la tunique des Stars and Stripes et donc d’être observés par un sacré paquet de monde. S’ils sont aussi à l’origine de l’impulsion des politiques de formation, ils profitent des produits finis chez les A. « C’est un intérêt réciproque entre nous et la MLS, plaide Earnie Stewart, qui est en train d’écrire un guide de la formation américaine avec la ligue. Bien sûr que l’on profite de la hausse du niveau de la MLS et du fait que les joueurs soient mieux formés et qu’ils aient l’opportunité de jouer. Mais ça leur bénéficie à eux aussi quand les jeunes viennent jouer en équipe nationale, ça leur fait une belle vitrine. » Il assure même que Tyler Adams et Josh Sargent ont rallié l’Europe après des bonnes perfs avec la sélection américaine. Pour la fédération américaine, évidemment, le regard est tourné vers 2026 et la réception de la Coupe du monde. Avec bientôt la promesse d’une Dream Team à la sauce soccer ?
Par Anna Carreau
Tous propos recueillis par AEC.