- Coupe du monde 2014
- Polémique des faux handicapés
Comment la FIFA se fait arnaquer par des faux handicapés ?
Il y a eu une photo, quelques déclarations. Il y a désormais une enquête, lancée par la police civile de Rio de Janeiro. Et un constat : la question des places destinées aux personnes handicapées joue un rôle inattendu dans cette Coupe du monde. Plongée dans un drôle d'univers où le marché noir côtoie de vieilles promesses politiciennes.
Au commencement, cette photo tirée du match d’ouverture de la Coupe du monde, présentant un couple de personnes handicapées qui regarde le match de la Seleção au garde à vous devant leur fauteuil. Puis celle d’un fan argentin lors du match face à l’Iran et enfin une vidéo d’un supporter rejoignant tranquillement son fauteuil lors de France-Équateur. Si elles continuent d’amuser les réseaux sociaux, ces images n’ont fait rire personne au Brésil. Et pour cause. Deux mois avant la Coupe du monde, le député fédéral le plus célèbre du pays, Romário – dont la fille est trisomique – avait déjà soulevé la question de l’accès au stade des personnes handicapées. Avec sa verve habituelle, « o Baixinho » s’était payé « o Fenômeno » par presse interposée : « Ronaldo avait publiquement promis l’entrée libre pour les personnes handicapées, et jusqu’à présent, rien. » Réponse du berger à la bergère : « Il est déplorable de voir Romário, encore une fois, me donner publiquement la responsabilité de choses qui vont au-delà de mon pouvoir. Est-ce de l’opportunisme sur le dos de mon image ou de l’ignorance ? Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que si au lieu de perdre du temps et de l’énergie à essayer de me dénigrer, le député se consacrait à solliciter les bonnes personnes ou institutions, nous y gagnerions tous. » Ambiance.
Des promesses en l’air
Dans le contexte social actuel, personne n’a oublié qu’en 2011, les deux posaient main dans la main et promettaient d’offrir 32 000 places (500 par matchs) aux personnes atteintes d’un handicap, quel qu’il soit. L’un avec sa casquette d’homme politique, l’autre avec la veste du comité d’organisation du Mondial. Une promesse rangée au rayon « non tenue » par la FIFA, qui n’a en fait alloué qu’un tout petit pour cent du total de places disponibles. Malik Badsi, responsable de « Yoola » , une agence de voyage française qui permet aux personnes handicapées d’assister aux événements sportifs majeurs, a pu le constater en tribunes : « Par rapport à l’Afrique du Sud, l’accès au stade est nettement plus compliqué. Le nombre de places est lui aussi très limité, parce qu’ils ont fait plusieurs catégories de billets handicapés. Il y en a pour les malvoyants, les personnes à mobilité réduite, etc. Il y a même des places spéciales pour les obèses ! Et toutes sont réservées aux Brésiliens. Seules les places pour fauteuils sont accessibles aux autres nationalités. Pour vous donner un ordre d’idée, au Maracanã par exemple, il n’y a que 90 places pour fauteuils roulants contre 857 au Stade de France. C’est vraiment n’importe quoi ! » Des tickets déjà rares qui, comble de l’ironie, finissent bien souvent entre les mains de personnes valides.
« Abdos, mollets et cuisses solides… »
S’il est toujours bon de rappeler que l’on peut se retrouver en chaise roulante sans forcément être paraplégique, le tour-operator tricolore a lui-même pu observer certains abus : « Quand tu te rends compte que la personne est bien portante, musclée des membres inférieurs, avec des abdos, des mollets et des cuisses solides, tu sais que c’est un valide qui a gratté le billet. C’est la première fois que je vois ça. Ici, ils sont prêts à tout, quitte à passer pour des enfoirés. La passion leur a clairement fait abandonner toute raison… » Avec la multiplication des clichés compromettants, les autorités brésiliennes ont été obligées de réagir. Contactée, la porte-parole de la « policia civil » de Rio assure qu’ « une enquête est ouverte et menée en étroite relation avec la FIFA » . Vingt-deux images de télévision et trente clichés amateurs sont actuellement décortiqués par ses services. Sans résultat pour l’instant. Toujours est-il que dans les rues de Rio comme des autres villes du pays, des billets pour personnes handicapées continuent de se négocier à des sommes astronomiques. Et pour les obtenir, nul besoin de montrer patte blanche.
3000 dollars les deux billets
Posté devant le Ticket Center de Botafogo et quasi adossé à une voiture de police, Adolfo, Carioca d’une cinquantaine d’années, est formel : « J’ai deux places pour Colombie-Uruguay, et ne t’inquiètes pas, ils ne vérifient rien à l’entrée du stade. Tu rentres sans problème. Tu mets ton fauteuil dans l’ascenseur et hop, tu te retrouves en tribune. » Si Adolfo n’a aucun scrupule sur la nature de la démarche, il n’en a pas non plus sur le prix demandé. « 3000 dollars les deux, non négociable » , annonce-t-il sans sourciller, le regard dans le vague. Un prix « gringo » , certes, mais qui illustre aussi la loi impitoyable de l’offre et de la demande. De son côté, Francisco, Chilien de son état et maillot d’Alexis Sánchez sur les épaules, a lui aussi quelques sésames à refourguer. Avec un sens modéré de la négociation, il propose deux billets pour France-Nigeria à 500 dollars pièce. Et lorsqu’on lui fait remarquer que le billet est censé être gratuit pour l’accompagnateur, il pointe le logo FIFA du bout de son doigt sale : « T’as qu’à aller leur demander à eux. Ici c’est la rue, mec ! On fait ce que l’on veut… » Reste plus qu’à trouver un fauteuil.
Par Paul Bemer et Antoine Mestres, à Rio de Janeiro