- Coupe du monde 2018
Comment je suis tombé amoureux de… (épisode 6)
Parfois, il suffit d'une action pour tomber amoureux d'un joueur. En voilà trois qui nous ont tapé dans l'œil lors de la deuxième journée de la phase de poules du Mondial.
Ante Rebić
L’action qui nous a fait succomber :Arrivé à Chelsea l’été dernier, Willy Caballero n’a pas oublié la saison 2016-2017 passée avec Pep Guardiola à Manchester City. Peut-être même que sous la couette, il rêve de toutes ces séances où le technicien catalan lui demandait d’oublier les longs dégagements au profit des relances courtes. Alors, jeudi dernier, au stade de Nijni Novgorod, là où la Volga se déleste d’un bras de rivière nommé Oka, quand il reçoit une passe en retrait de Gabriel Mercado sous la pression d’Ante Rebić, Caballero tente le piqué par-dessus l’ailier croate. Mais le gardien a les jambes qui flageolent, alors le ballon retombe directement sur Rebić, seul dans la surface. Un contrôle ? Une frappe en finesse ? Non, le jeune homme de 24 ans se penche sans trembler et transperce le portier d’une reprise de volée. Aussi pure que le bleu de ses yeux.
Pourquoi il est si excitant : Les Argentins veulent mettre le pied pour faire croire aux Croates qu’ils ont davantage soif de victoire, d’accord, mais ils sont obligés de faire faute quand Rebić part dans ses passements de jambe. Gabriel Mercado s’engage le pied en avant dans un duel aérien avec Rebić, d’accord, mais c’est le Croate qui repart avec le ballon, et l’Argentin qui se tord de douleur au sol. Les supporters de l’Albiceleste sont plus nombreux en tribune que ceux des Vatreni, d’accord, mais Rebić leur indique à juste titre qu’on ne les entend plus trop une fois qu’il a ouvert le score. Parce qu’il a claqué au fond des ficelles une reprise de volée que beaucoup auraient envoyée dans les nuages. Parce qu’il ne s’emmerde pas avec les amabilités contre des chiffonniers. Parce qu’il voulait le maillot de Lionel Messi, « mais les Argentins [lui] ont fait une si mauvaise impression [qu’il a] renoncé à lui demander » . Ante Rebić mérite de l’amour.
Et il vient d’où ?Ante Rebić vient de Split, l’une des merveilles de la côte dalmate (la ville est classée au patrimoine mondial de l’UNESCO), mais n’a pas été formé au Hajduk. Étant jeune, l’ailier vif au regard noir portait la tunique du RNK Split, avant d’être recruté par la Fiorentina en 2013. S’en suivent des années à cirer le banc de la Viola, puis du RB Leipzig et du Hellas Vérone, à chaque fois en prêt. Jusqu’au jour où Niko Kovač, le sélectionneur qui l’a emmené à la Coupe du monde au Brésil, signe à l’Eintracht Francfort et décide de lui passer un coup de fil à l’été 2016. Bingo ! Deux ans plus tard : Rebić claque en l’espace de quelques semaines, un doublé en finale de la Coupe d’Allemagne face au Bayern, et l’un des golazos du Mondial… Bientôt sur la liste des transferts de Kovač au Bayern, justement.
Roman Zobnin
L’action qui nous a fait succomber :Saint-Pétersbourg n’est pas une ville de soleil, c’est comme ça. Voilà peut-être une explication à la drôle de tête tirée mardi soir, au Krestovsky, par le numéro 11 d’une Russie qui marchait déjà pourtant, à cet instant, sur la dépouille des Pharaons. Non, c’est autre chose et si Roman Zobnin a incliné sa tête à un quart d’heure de la fin de la rencontre, c’est avant tout par aveu d’une grosse bêtise. Bonne conscience oblige, l’international russe se retire, boude dans son coin, et laisse Mohamed Salah transformer gentiment un penalty dont il est à l’initiative. L’attitude est louable et permet au petit Roman de s’installer dans la rangée des gentils de ce Mondial. Ce n’est pas rien.
Pourquoi il est si excitant : Parce qu’en réalité, Zobnin n’a rien d’un doudou, au contraire : ce type est le cœur de la Sbornaya, son pistil. Que ce soit face à l’Arabie saoudite en ouverture ou face à l’Égypte mardi dernier, le milieu récupérateur du Spartak a donné des coups par dizaine, gratté un nombre délicieux de ballons et s’est même permis le luxe de pousser le pauvre capitaine égyptien, Ahmed Fathy, à une crise de panique. Roman Zobnin, c’est la caution sécurité d’une soirée, le mec qui nettoie la piste pour que ses potes assurent le show et qui s’est remonté au mental des ligaments du genou explosés il y a un an de ça, ce qui lui avait valu de manquer la Coupe des confédérations. Parfait, il en a gardé sous la semelle pour le Grand Soir. Le vrai, pas celui de Benoît Delépine.
Et il vient d’où ?D’Irkoutsk, évidemment, capitale de l’oblast d’Irkoutsk, en Sibérie, et lieu de naissance de la DJ Nina Kraviz. Pour y aller, pas compliqué : il suffit de monter dans le Transsibérien et de s’arrêter exactement entre Moscou et Vladivostok. Ce qu’il faut y voir ? L’un des plus vieux brise-glace du monde, monté à Newcastle en 1900, tout en évitant de trop fouiller dans l’histoire de la ville, tout n’est pas joli joli. Bref, aujourd’hui, Roman Zobnin est surtout l’un des patrons du Spartak, avec lequel il a été champion de Russie en 2017, mais aussi un héros de l’ombre, comme pas mal de joueurs de son espèce. Ce Mondial a de belles planches, ça pourrait définitivement lui faire une belle scène.
Dylan Bronn
L’action qui nous a fait succomber :Parce que les prouesses techniques n’ont pas le monopole du frisson, c’est en pleurant comme un enfant lors de la branlée reçue par la Tunisie face à la Belgique (5-2) que Dylan Bronn est entré dans l’histoire de la Coupe du monde. Blessé au genou après avoir détourné de manière anodine un tir de Yannick Ferreira Carrasco, le latéral droit a rejoint les vestiaires sur une civière alors qu’on ne jouait que la 23e minute. Pour autant, le Tunisien va rentrer chez lui avec la garantie d’avoir fait la fierté de sa famille. Car cinq minutes avant cette blessure, Bronn avait réduit le score (2-1) en plaçant une magnifique tête décroisée hors de portée de Thibaut Courtois sur un coup franc de son capitaine Wahbi Khazri. Cœur avec le front.
Pourquoi il est si excitant : La Tunisie a vu défiler de grands latéraux : David Jemmali, David Jemmali ou encore David Jemmali. Comme son aîné, Bronn sévit à droite. Comme son aîné, il a été formé à l’AS Cannes. Donner une deuxième vie à ce découpeur qu’était l’ancien Bordelais ne peut qu’émoustiller les amoureux du football – les vrais !
Et il vient d’où ?De loin. Actuellement à La Gantoise (il était d’ailleurs le seul joueur du championnat belge sur le terrain lors du match face à la… Belgique) où il vient de boucler sa première saison, Dylan Bronn est né à Cannes, où il a effectué sa formation à une époque un peu moins glorieuse que lorsque le club de la Côte d’Azur mettait au monde Zidane, Vieira et Micoud. Va pour un début de carrière dans le monde amateur, donc. À côté du foot, Bronn empile les petits jobs et finit par quitter son poste de livreur de sushis et l’AS Cannes pour aller à Niort en 2016. Dans les Deux-Sèvres, il est censé évoluer avec l’équipe réserve, mais une blessure d’un défenseur oblige rapidement le coach Denis Renaud à lancer Dylan Bronn dans le grand bain. 35 matchs de Ligue 2 plus tard, il débarque à La Gantoise. 36 matchs de Jupiler League plus tard, il marque un but en Coupe du monde. Et dire qu’il a failli tout plaquer à 18 ans à cause d’un manque de motivation…
Par Maxime Brigand, Florian Lefèvre et Matthieu Pécot