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Comment Eddie Jones a utilisé le foot pour construire son rugby parfait
Une semaine après avoir roulé sur la Nouvelle-Zélande, l'Angleterre retrouve l'Afrique du Sud samedi, à Tokyo, pour disputer la quatrième finale de Coupe du monde de rugby de son histoire. À sa tête, le brillant Eddie Jones, qui s'est largement inspiré du foot pour construire sa quête d'un rugby parfait.
« Personne ne pense qu’on peut jouer un match parfait au rugby ? Eh bien personne ne pensait non plus qu’on pouvait ne totaliser que des 10 en gymnastique. Pourquoi ne pas avoir l’ambition de disputer le match parfait ? J’ai dit à mes joueurs d’imaginer une rencontre où l’Angleterre, pendant 80 minutes, serait en total contrôle. N’est-ce pas un rêve formidable ? » Ainsi parlait Eddie Jones samedi soir dernier, quelques minutes après la mise en réalité de ce rêve, dans une salle de presse de l’International Stadium de Yokohama. Quelques minutes après avoir surtout concassé la Nouvelle-Zélande, que Jones attendait de mettre dans sa poêle depuis un paquet de temps et que l’Angleterre a fait griller au terme d’un match délicieux. Avec un feu si fort que certains All Blacks, le capitaine Kieran Read en tête, en sont ressortis en titubant, sonnés par l’impact et le pressing défensif imposés par le XV de la Rose.
On appelle ça une master class, au cours de laquelle les Néo-Zélandais auront passé plus de 62% du temps dans leur camp, et d’où ressort principalement un homme, qui semble sans cesse se superposer au destin de ses équipes : Jones, 59 piges, qui demandait à tout le monde d’attendre ce Mondial pour « être jugé » et dont le génie tactique n’est aujourd’hui plus discutable. Un type qui a surtout l’occasion, samedi, d’agrafer une première Coupe du monde sur son CV, une seconde sur celui de l’Angleterre après le sacre de 2003. Ce qu’il en dit : « Dès le premier jour, notre objectif a été de devenir la meilleure équipe du monde. C’est là que nous voulions aller. Après, tout ce qui peut se dire à l’extérieur, nous essayons de ne pas y prêter attention. Ce qui est important, c’est ce qui se passe à l’intérieur de l’équipe. » Et ce qu’elle est devenue, grâce aux nombreux « vols » d’Eddie Jones, qui rêve de mettre en place « le rugby parfait » . Et pour y arriver, l’Australien, fils de militaire, a notamment pioché dans un sport : le foot.
Entre Alain Casanova et Pep Guardiola
Lorsqu’il parle de la construction de sa philosophie, Jones se déguise en maçon et évoque une collecte de « petites briques » . Pour améliorer la posture au contact de ses joueurs et leur technique de placage, il a ainsi fait appel il y a quelques mois à des spécialistes du judo, puis des arts martiaux mixtes (MMA). Et pour le reste, la base, l’essence ? « Je me suis inspiré du football, expliquait-il récemment. Ma méthodologie est extrêmement claire et s’inspire de la périodisation tactique. C’est la méthode la plus efficace. » Une méthode théorisée par Vitor Frade il y a pas mal d’années, chérie par José Mourinho, adorée par Alain Casanova, qui a largement révolutionné ce qui était jusqu’alors en place dans les sports collectifs au cours des années 1990. Une approche qui a surtout déjà aidé Eddie Jones à briller avec le Japon – entre 2012 et 2015 – et que le technicien australien pousse au maximum.
Il y a quelques années, il avait notamment rendu visite à Pep Guardiola lorsque le Catalan était sur le banc du Bayern. Voilà pourquoi : « J’ai regardé le Bayern s’entraîner, j’ai rencontré Guardiola et je crois vraiment que nous pouvons grandement nous améliorer grâce à des ajustements dans la manière dont nous nous entraînons au rugby.(…)Le rugby et le football sont très similaires, dans le sens où vous devez en permanence déplacer le ballon dans l’espace, et les équipes de Guardiola ont développé le jeu de passes le plus fantastique qu’on ne verra jamais. Les principes sont les mêmes qu’au rugby. Les meilleures équipes arrivent à varier leur profondeur et leur formation, afin de faire le meilleur usage de l’espace disponible. Apprendre de ces équipes est donc une bonne opportunité pour nous. »
« L’idée, c’est de penser le rugby comme un élément complexe »
Lorsqu’il était sur le banc du Japon, Eddie Jones n’avait pas le choix : il lui était impératif d’améliorer le niveau tactique de sa sélection, à défaut de pouvoir répondre dans la durée sur le niveau physique et technique. Ainsi, piocher dans le foot l’a aidé à mieux appréhender l’espace, bien que le rugby et le football soient deux sports différents si l’on s’arrête sur le jeu de passes : l’un est un sport qui se construit dans la latéralité, l’autre cherche avant tout la verticalité. Reste que Guardiola est sans aucun doute le coach qui incarne le mieux un jeu de passes latérales pour construire des attaques verticales. « L’idée, c’est de penser le rugby comme un élément complexe au lieu de le fractionner, théorisait Jones dans L’Équipe il y a quelques semaines. Tous les exercices ou jeux proposés correspondent à des situations ou à des problèmes de match. Les joueurs doivent sans arrêt s’adapter, trouver des solutions. » La périodisation tactique à l’état brut. En plus de Guardiola, Eddie Jones est également allé rencontrer Claude Puel lorsqu’il était à Southampton, Gareth Southgate, Arsène Wenger, Sir Alex Ferguson, avec qui il a parlé leadership, jeu sans ballon, séances, style de jeu… « Des mines pour moi » , précisait Jones, toujours dans L’Équipe : « Récemment, je suis allé déjeuner avec Louis van Gaal, à Amsterdam. Il n’avait jamais entendu parler de moi, mais j’avais réussi à caler ça grâce à une connaissance commune. Il s’est vraiment ouvert sur sa méthode. Je voulais savoir comment il établissait sa relation avec ses joueurs et parvenait à trouver le meilleur équilibre dans son équipe. J’avais lu que lors d’une Coupe du monde, il avait fait entrer son troisième gardien pour une séance de tirs au but qui leur avait permis d’aller en demi-finales ! Je voulais parler de ça, comment on arrive à garder tous ses joueurs impliqués. » Eddie Jones gratte partout, pique dans tous les sports, et ajuste ensuite sa récolte au rugby. Ce samedi pourrait être la consécration suprême de longues années de voyage, comme une soutenance de thèse à ciel ouvert. Prêt ? « Nous avons eu quatre années pour préparer ce match. Nous savons parfaitement où nous voulons aller tactiquement. » Place à une nouvelle démonstration.
Par Maxime Brigand