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Comment devient t-on entraîneur sans avoir jamais joué ?
Ils entraînent ou ont entraîné les plus grands clubs. Pourtant, ces techniciens n’ont jamais touché un ballon au niveau professionnel. Une hérésie pourtant parfois synonyme de réussite. Ou comme l’a récemment montré André Villas-Boas avec Tottenham, de retentissant échec.
Tâter le cuir pour apprendre aux autres à le manier. Une condition a priori indispensable pour mener une équipe vers les sommets. Ne pas avoir goûté aux joies du professionnalisme pourrait constituer un handicap certain. Pourtant, certains entraîneurs vierges de toute expérience de joueur se sont fait une place au soleil. De Arrigo Sacchi à Gérard Houllier en passant par Carlos Alberto Parreira, ils sont nombreux à avoir fait carrière sans avoir sali le moindre maillot. Ce dernier, champion du monde avec la sélection brésilienne en 94, expliquait il y a peu au site de la FIFA les éléments de sa réussite : « Ce qui compte surtout, c’est de se doter des bonnes compétences, de suivre l’évolution du jeu, de savoir communiquer et de posséder un certain charisme. » Des ingrédients que ces coachs sans carrière ont su intégrer pour dominer leurs partenaires de jeu.
Un parcours plus technique
À l’inverse de leurs congénères dotés d’une expérience du terrain, ces entraîneurs ont dû emprunter des chemins plus originaux. Gérard Houllier, professeur d’anglais, a fait ses gammes dans le petit club du Touquet avant de se retrouver à la tête des Bleus ou de Liverpool. Moins connu que le Français, mais auteur d’un parcours similaire, Yannick Ferrera est devenu le plus jeune entraîneur de l’histoire de la Jupiler League (première division belge) à seulement 31 ans, 10 mois et 4 jours. Une performance qu’il explique par le développement d’un talent particulier et un soupçon de chance. « Mon oncle Manu Ferrera (ndlr : adjoint dans le club de Gand depuis 2008) m’a dit que si je voulais intégrer un staff pro, il fallait me perfectionner dans un domaine spécifique. Du coup, je me suis concentré sur l’analyse vidéo. Avant la finale de la Coupe de Belgique en 2010 contre le Cercle de Bruges, Michel Preud’homme(ndlr : entraîneur de ce même club de Gand) a désiré me rencontrer, je lui ai montré mon travail d’un match contre le Panathinaïkos et il m’a dit qu’il voulait la même chose pour la finale contre le Cercle. Mon travail lui a plu et Gand a gagné la coupe. » Grâce à cette préparation vidéo, Ferrera intègrera le staff gantois avant, quelques années plus tard, d’obtenir le poste de n°1 à Charleroi, puis à Saint-Trond, où il officie toujours. Désormais spécialiste de l’analyse vidéo en Belgique, le jeune entraîneur prouve que ne pas avoir foulé la pelouse n’est pas un frein à l’innovation tactique. En son temps, le grand Arrigo Sacchi utilisait la métaphore pour parler de son travail : « Je n’ai jamais pensé qu’il fallait d’abord être cheval pour pouvoir faire du cheval. Il n’y a pas de règle. L’important, c’est la volonté de s’améliorer. »
Plus récemment, ce sont les « Specials » qui représentent le mieux cette catégorie de professeurs. José Mourinho et André Villas-Boas n’ont pour le moment pas une réussite comparable, mais se sont retrouvés tout deux à la tête de grosses écuries. Un cas particulièrement notable au Portugal où bon nombre de techniciens sont passés par la case universitaire plutôt que par les stades. Pour Christophe Lollichon, entraîneur des gardiens à Chelsea et qui a côtoyé les deux hommes, le mot d’ordre est simple : travail. « Je crois que la légitimité est amoindrie. Il faut être très clair là-dessus. Mais à force de travail, de la recherche, d’analyse vidéo… tu peux compenser en partie ce que tu n’as pas vécu en tant qu’acteur. Il faut réussir à se transférer dans la peau du joueur par l’analyse. »
Le charisme, atout essentiel
Au-delà de la tactique, le football est également un sport d’homme. À l’instar d’un Laurent Blanc dont la gestion du groupe est plus souvent saluée que son organisation, le lien entre un coach et ses joueurs est essentiel. Et de fait, le manque d’expérience du terrain se doit d’être compensé : « Je m’étais dit que si un jour j’arrivais dans un vestiaire pro, il fallait les séduire et les faire se rendre compte très vite que je pouvais les bonifier. J’ai commencé avec des compils de ce qui se fait dans les plus grands clubs européens. Je tenais un discours audacieux, mais c’est ça que ce groupe-là voulait entendre :« Putain, démolis lui la gueule. » Mon jeune âge a sans doute joué. Je m’habille comme eux, j’écoute la même musique qu’eux, je regarde les mêmes gonzesses qu’eux, ça a facilité le contact » , raconte Yannick Ferrera. Pour Christophe Lollichon, le charisme est un atout indispensable dont tous ne disposent pas à dose équivalente : « L’aspect psychologique passe par un apprentissage comme Mourinho l’a fait à United et Porto. Pour AVB, arriver à Chelsea à 33 ans, c’était un gros challenge. Son adaptation a été rendue difficile vu les tauliers qu’il y avait. Je pense que le contexte joue beaucoup. Après, il faut parvenir à trouver les recettes pour légitimer son passé. » Lui aussi, devenu entraîneur des gardiens sans un parcours brillant dans les cages, a parfois souffert du manque de légitimité lors de ses débuts dans la profession à l’école nantaise : « Avec Coco Suaudeau, j’ai bien senti que ça le gênait un peu que je n’ai jamais été gardien pro. Mon ressenti me faisait penser que ça le gênait. Alors que pourtant, ça se passait très bien avec les gardiens. »
Malgré toute la bonne volonté du monde, le travail de recherche et d’analyse ne suffit pas toujours à convaincre des dirigeants de clubs pro des compétences de ces entraîneurs à part. Certains dirigeants sont, eux, bien plus facile à convaincre : « Je suis rentré à Charleroi sur la base de mes préparations power point » , confirme Yannick Fererra. Pas sûr que certains anciens grands joueurs puissent se prévaloir de cette compétence sur leur CV.
Par Raphael Gaftarnik et Martin Grimberghs