- Journée mondiale des mathématiques
Comment construire une équipe parfaite grâce aux mathématiques ?
De plus en plus présentes dans le football, les statistiques sont devenues des armes de choix pour les entraîneurs. Qui, influencés par les chiffres, s'en remettent parfois beaucoup aux mathématiques pour coucher leur onze sur le papier. Mais comment ces suites de nombre doivent-elles être manipulées, pour qu'elles soient le mieux utilisées possible ? Et peuvent-elles se suffire à elles-mêmes, pour construire une équipe parfaite ?
Billy Beane est un génie. Reconnu aussi bien par les amateurs de ballon que par les admirateurs de Brad Pitt, qui a mis ses talents de comédien au service du réalisateur Bennett Miller pour jouer le rôle de l’Américain. Sorti en 2011, le film intitulé Moneyball– ou Le Stratège, en France – raconte l’histoire d’un ancien joueur de baseball devenu directeur général des Athletics d’Oakland et employant une approche sabermétrique pour gagner en dépit du manque de moyens financiers de son employeur.
En d’autres termes, le bonhomme a utilisé au début des années 2000 un ensemble de chiffres pour créer une des meilleures teamspossibles du pays en matière de ratio masse salariale/résultats. Une aventure véridique donc, qui a modifié en profondeur les mentalités et les méthodes employées par les dirigeants exerçant dans son sport. Alors, pourquoi en serait-il différemment dans le football ? Les mathématiques n’auraient-elles pas leur mot à dire, lorsque la batte disparaît et que les pieds prennent le pouvoir ?
Matball, ou footiques ?
En réalité, les statistiques se sont déjà imposées dans le monde de Cristiano Ronaldo et continuent d’allonger leur chemin. « Ce n’est pas un secret : aujourd’hui, des bases de données sourcent tous les grand clubs qui accordent une énorme importance aux statistiques, amorce Paul Sada, mathématicien et passionné de foot.Au sein des entités, les data-analystes sont installés et ont leur mot à dire au niveau des choix sportifs. Oui, la recherche de la perfection passe par les maths. » Ok. Mais comment faudrait-il, dans l’idéal, manier les chiffres à la mode Beane pour construire une équipe prête à relever tous les défis ?
Pas si compliqué à expliquer répond l’expert, mais bien plus difficile à mettre concrètement en place : « Faire abstraction des noms, et se baser sur les paramètres les plus influents. Ces paramètres représentent la clé : en observant mathématiquement les matchs déroulés dans le passé, il faut calculer ceux qui se rapprochent le plus de la victoire en pourcentage. Déterminer ceux qui optimisent les forces d’attaque et celles de défense tout simplement, ceux qui permettent d’accéder à l’objectif final évident : maximiser le nombre de buts marqués, limiter le nombre de buts encaissés. » Avec, au bout, l’instauration d’un algorithme complexe définissant quel joueur doit être titularisé dans le onze plutôt qu’un autre et associant différents critères pour trouver l’association parfaite entre partenaires.
Objectivité chiffrée, star déglorifiée
Ces fameux critères, quels sont-ils ? Là est toute la question. Ratio nombre de tirs tentés/nombre de buts marqués pour un attaquant, nombre de passes entre tel et tel joueur, pourcentage de tacles réussis dans sa propre surface pour un défenseur, pourcentage de touches réalisées avec de l’élan… Les possibilités sont infinies, et dégoter celles qui augmentent le plus la probabilité de victoire relève d’une difficulté assez élevée.
Cas pratique ultra simplifié, avec le Paris Saint-Germain. Edinson Cavani comme numéro un, Neymar en deux, Kylian Mbappé en trois… Stars ou pas, chaque nom est remplacé par un numéro. Croulant sous un boulot monstre et testant un maximum de paramètres liés – ou non – à un fort taux de victoires (interventions dans les seize mètres, penalty raté, kilomètres parcourus…), le statisticien de Thomas Tuchel remarque que les succès de la capitale ont très souvent lieu lorsqu’un de ses milieux fait plus de quinze interceptions dans la rencontre. L’Allemand s’empare de la feuille de stats de son assistant, et choisit le joueur qui réalise le plus d’interceptions par match sur une année.
Navas au milieu, attention à la boulette
« Ensuite, le statisticien lui indique que ce taux de succès augmente encore quand un deuxième milieu réussissant plus de 64% de passes vers l’avant est associé au premier, reprend le spécialiste, qui n’a pas d’algorithme pour établir des équipes, mais qui en a en revanche créé un nommé L’Algo de Paulo pour prédire leurs résultats. Hop, on cherche le joueur qui fait le plus de passes vers l’avant… et qui correspond au poste, sinon tu te retrouves avec Keylor Navas dans l’entrejeu ! Il s’agit alors du numéro 6 – peut-être bien Marco Verratti -, qui excelle dans cette mission. » L’objectif étant toujours, à terme, que tout soit regroupé dans un seul algorithme aussi précis qu’efficace à ajuster suivant le rôle du joueur.
Autre facteur à absolument prendre en compte, au moment de coucher sa liste sur papier : l’adversaire. Là encore, il convient de scruter attentivement les critères majoritairement présents lors de victoires obtenues par l’équipe à affronter. Cette dernière a tendance à s’imposer quand elle a la possession ? Privilégions les éléments qui savent monopoliser et faire circuler le ballon. « Les maths sont intimement liées à l’adaptabilité, embraye Paul Sada.Les freins à diagnostiquer proviennent donc également de l’environnement extérieur : l’adversaire, mais aussi le terrain, la météo… Si la possession de Barcelone diminue de 6% quand il se déplace sur une pelouse super sèche et que ses points chutent simultanément de 0,4, il y a bien entendu des conclusions à tirer. »
Spé maths pour Pep, Mou, Loco, Klopp et Conte
S’ils ne peuvent pas encore s’appuyer sur un algorithme hyper développé, les meilleurs entraîneurs modernes de la planète ont bien sûr compris l’intérêt des maths dans le foot et sont fortement influencés par la géométrie ou les chiffres. Les exemples sont légion : les triangles de Pep Guardiola, la réflexion de José Mourinho, la quête du temps par le (contre-)pressing de Jürgen Klopp, la limite des espaces par la défense à trois d’Antonio Conte… « Aujourd’hui, tout est millimétré. Même la folie des entraîneurs, considérés comme dingues, est calculée, note le mathématicien. Bielsa leLoco reste un féru des nombres, Mourinho ne parle que de chiffres en conférence de presse. Idem pour Zinédine Zidane, dès qu’il est bousculé par un journaliste. À raison : aucun événement footballistique n’est jamais venu contredire les mathématiques… Même pas le coup franc de Roberto Carlos ! Un ballon de foot gonflé d’air frappé par un gaucher surpuissant, ce n’est pas du plomb balancé par un canon droit. »
D’où la question, qui effraie certains : en cas d’apparition d’algorithmes défiant toute intelligence sportive, n’est-on pas à l’orée d’un foot déshumanisé qui ressemblerait davantage à un jeu vidéo où il suffirait de mettre les plus rapides en attaque pour gagner et où le charme de l’incertitude ne se manifesterait plus ? « Je ne sais pas si on peut arriver à un stade où les maths incarneraient le monopole et décideraient de tout, où le fait d’aligner une équipe offrirait automatiquement et systématiquement les trois points. J’ai quand même l’impression que le football, et c’est ce qui fait sa beauté, n’est pas chiffrable dans son ensemble. Il y a trop d’humain, dans le sport, rassure Paul, qui gagne sa vie en liant foot et maths. La détermination du joueur, son état psychologique, sa relation avec l’entraîneur, son intégration dans le vestiaire… Tous ces critères ne sont pas chiffrables » , même si PES avait eu la bonne idée d’inclure des flèches pour donner de la place au prépondérant aspect mental. Et de conclure : « Le management, c’est le facteur X et c’est aussi ce qui différencie l’excellent entraîneur du bon. L’énergie et l’ambiance qu’a véhiculées Zidane dans son groupe ces dernières années, c’est de la magie. Pas des maths. »
Par Florian Cadu
Propos recueillis par FC