- Joyeux Noël !
Comment Carlo Ancelotti prépare-t-il son sapin de Noël ?
C'est bien beau de jouer en 4-3-2-1 en sapin de Noël et d'avoir une armoire à trophées pleine à craquer. Mais quand vient le moment de Noël et qu'il faut dresser un sapin, un vrai, que fait Carlo Ancelotti ? Tentative de réponse au milieu des guirlandes, des branches et des aiguilles.
Les souvenirs de cette sale soirée de septembre ne sont pas si loin. Le calvaire avait commencé par un but de Dani Alves à la deuxième minute, puis Cavani et Neymar étaient venus planter les autres clous du cercueil. Encaisser un 3-0 en phase de poules de Ligue des champions quand on est le Bayern, ça la fout mal, surtout contre une bande de nouveaux riches, alors Carlo Ancelotti avait été prié de plier bagage dès le lendemain. Depuis ce jour, l’homme aux sourcils fous mène la vie délicieuse d’un coach inactif : un peu de plateaux télé, quelques interviews pour régler ses comptes avec ceux qui l’ont viré, et des rumeurs à gogo sur son avenir. Mais pour Ancelotti, pas question de passer les fêtes de fin d’année en traînant en débardeur sur le canapé devant un film de Noël bidon. En sueur dans son salon, l’Italien sait que, quand vient le douzième mois de l’année, il est attendu au tournant et doit tout donner au moment de composer son sapin. Exactement comme à l’époque où il couchait à chaque match ce 4-3-2-1 en sapin sur ses schémas tactiques, cet Albero di Natale devenu sa marque de fabrique et qui a fait tant de dégâts, Carlo se doit d’assurer. Et du choix de la variété de l’arbre à ses dimensions en passant par les décorations, rien n’est laissé au hasard quand on est un professionnel de la chose.
Une affaire de proportions
D’après Frédéric Naudet, qui dirige les pépinières Naudet, premier producteur de sapins en France, Carlo Ancelotti était même prédisposé à jouer en 4-3-2-1 en sapin : « C’est un Italien du Nord. Ce sont des régions où il y a des résineux, des arbres pointus, donc on peut penser qu’il a été inspiré par leur forme. Le 4-3-2-1, ça forme un trident, ou une flèche. Un sapin, ce n’est ni plus ni moins qu’une espèce de flèche. » Un schéma rigoureux, précis, qui mise sur quatre lignes séparées et dont les préceptes doivent être suivis par les joueurs pour qu’il soit efficace. Dans son livre Mes secrets d’entraîneur, maître Ancelotti lui-même martelait : « Je définis le sapin de Noël comme un système de jeu basé plus sur le positionnement que sur le mouvement des joueurs. »
Un équilibre qui dépend en grande partie de la solidité de sa base, cette défense à quatre qui sert de premier étage à l’édifice. Sauf qu’à cause de l’absence d’ailiers devant, les latéraux doivent être très offensifs et multiplier les courses dans leur couloir, au risque de laisser des trous derrière. Sauf que, si l’on écoute Frédéric Naudet, la réussite d’un sapin dépend justement de la largeur de cette première ligne : « Le modèle idéal, c’est celui dont la hauteur fait deux fois la largeur, grosso modo. Si vous voulez, il y a un standard qui dit qu’un très beau sapin respecte cette proportion. Après, plus il est haut et moins ce que je vous dit est vrai. Pour un sapin de deux mètres, il va faire entre un mètre et un mètre cinquante de large. Pour le sapin du 4-3-2-1, effectivement, ça pourrait être ça. » En somme, tout va bien tant que les latéraux ne foutent pas en l’air les fondations.
Attention à la pousse
Là où le bât blesse, selon le boss des pépinières Naudet, c’est au niveau de la strate juste au-dessus, ce fameux « 3 » qui dépend tellement de la qualité des joueurs placés juste devant la défense. Quand Ancelotti avait Pirlo, Ambrosini et Gattuso sous la main à l’AC Milan, tout allait bien, mais Monsieur Naudet préfère avertir : « Il faut que le 3 ne soit pas trop étroit ! Parce que sinon, c’est embêtant. Les bonnes équipes, ce sont quand même celles qui ne sont pas trop mauvaises au milieu. » Reste le sommet du sapin, la pointe de la flèche. Dans un monde parfait, elle est composée de deux gaillards capables de distribuer des bons ballons à la chaîne pour l’attaquant de pointe, isolé et qui doit être chirurgical dans la finition.
« La pointe du sapin s’appelle la pousse » , précise Frédéric Naudet avant d’annoncer la mauvaise nouvelle, « et on ne la maîtrise pas toujours. Cette partie est souvent un peu dégarnie parce que plus le sapin monte, plus il est grand et plus la partie supérieure est disproportionnée par rapport au reste. C’est pour ça qu’on a toujours du mal à avoir un grand sapin qui est bien proportionné. Il faut une pousse bien proportionnée pour ne pas que l’attaquant soit séparé du reste de l’équipe. Parce que s’il n’a pas le ballon… » Les techniques pour magnifier la pointe d’un sapin sont nombreuses, certains aiment la poésie d’une étoile dorée, d’autres se contentent de la laisser grossièrement à nu. Un peu comme Ancelotti, qui a parfois dû composer avec Pippo Inzaghi, et parfois avec Jean-Christophe Bahebeck.
Pas de parapluie
La décoration du sapin est d’ailleurs un sujet vite balayé. Quand on est éleveur de sapin comme Frédéric Naudet, forcément, on apprécie la sobriété : « C’est une affaire de goût, on aime ou on n’aime pas. Mais quand vous ne voyez plus le sapin parce qu’il est recouvert par tout un tas de trucs, vous vous dites que c’est dommage. On aime bien quand il n’y en a pas trop et qu’on voit encore le sapin en dessous, évidemment. » Une ligne de conduite suivie par Ancelotti, qui a toujours fait passer le respect de son système avant l’individualité de tel ou tel joueur. La rigueur tactique est acceptée, pas les grigris inutiles ni la décoration superflue. Et pour que l’ensemble tienne la route, les branches du sapin doivent bien sûr être assez solides et les aiguilles assez piquantes, d’où la nécessité de miser sur le bon cheval : « Le sapin d’Ancelotti, il faut qu’il ait des branches partout et qu’il couvre bien le terrain, qu’il occupe la place. Il y a plein de variétés, mais le modèle qui domine le marché, c’est le Nordmann. Il vient du Caucase, je ne sais pas s’il y a de grandes équipes là-bas. Tbilissi, ce n’est pas franchement La Mecque du foot. C’est un sapin qui ne perd pas trop ses aiguilles, une bonne équipe ne perd pas les siennes non plus. Et il a de la longévité. » Mais dans le fond, la seule erreur absolue à éviter pour Frédéric Naudet est le sapin en plastique : « Pour nous, ce n’est même pas un sapin. C’est un truc qu’on plie et qu’on déplie, c’est comme un parapluie. » Un parapluie qui n’aidera pas Carlo Ancelotti à passer un bon réveillon, et qui n’aurait même pas pu lui éviter l’orage de septembre dernier.
Par Alexandre Doskov
Propos de Frédéric Naudet recueillis par AD